"J’ai un nom" - Chanel Miller
"Refuser les ténèbres n’a jamais rapproché personne de la lumière."
Témoignage aussi précieux qu’édifiant, "J’ai un nom" retrace ce parcours, et détaille l’impact de l’agression et de ses suites judiciaires sur la jeune femme. Un témoignage atterrant aussi, par ce qu’il révèle du sort réservé aux victimes d’agressions sexuelles, qui rend le moment qui suit l’attaque presque pire que l’attaque elle-même.
Précisons que l’agresseur de Chanel est un fils de bonne famille et un athlète prometteur. Précisons qu’à aucun moment il ne réalisera la gravité, ni même la nature délictueuse de ses actes, et a fortiori qu’à aucun moment il ne présentera d’excuses sincères à sa victime. Sa ligne de défense réside dans un consentement que les circonstances du crime et la parole des témoins rendent inconcevable. Quand bien même, il s’agit de ne pas mettre en l’air, pour une erreur de jeunesse, un épisode certes regrettable mais n’ayant duré que vingt minutes, la vie entière d’un citoyen par ailleurs modèle...
On rend ainsi au coupable son statut d’individu complexe et entier, alors que Chanel reste réduite à celui d’une victime dont on cherche à remettre la parole en doute, occultant les conséquences du viol sur sa propre vie. Depuis le drame, elle est retournée vivre chez ses parents, a dû démissionner, et se retrouve aux prises avec un mal-être qui ne laisse guère de répit.
Les rapports sont biaisés, basculent d’un duo coupable-victime à celui de deux adversaires qui s’affrontent dans un jeu où la jeune femme part criblée de handicaps, comme si c’était elle qui, en portant plainte, avait injustement attaqué son agresseur.
Si ce que révèle l’expérience de Chanel du regard porté par nos sociétés patriarcales sur les victimes de viol, et sur les femmes en général, n’est pas surprenant, son témoignage n’en reste pas moins désespérant. On en est encore à retourner la situation en faveur des plus forts, à prendre le problème à l’envers, en reprochant à la victime de s’exposer au danger, plutôt que de s’attaquer audit danger, à dédouaner les hommes de leurs responsabilités sous le prétexte implicite qu’ils ne peuvent pas se retenir, et que c’est donc aux femmes d’être prudentes, de réfléchir à l’image qu’elles renvoient… La vague de soutien que suscite son histoire est aussi l’occasion pour de nombreuses femmes d’évoquer le harcèlement permanent dont elles sont victimes, le refus de leur droit à l’insouciance, de pouvoir s’habiller comme elles veulent, de marcher où et quand elles le veulent…
Si le récit de Chanel ne résout évidemment pas ces problématiques, il aura eu le mérite de faire prendre conscience à un large public à quel point il est difficile, en tant que victime, non seulement de faire entendre sa parole, mais aussi de faire en sorte qu’elle soit crue. Et son histoire a concrètement permis de faire avancer la cause des victimes de viol, puisqu’elle est à l’origine de deux projets de loi visant à faciliter leur parcours judiciaire.
Commentaires
Et faire porter la parole des victimes est en effet primordial, comme on le voit ici, la ténacité de Chanel Miller ayant permis de faire avancer au moins un peu leur cause.