"Un bref instant de splendeur" - Ocean Vuong
"Qu’étions-nous avant d’être nous ? On devait être debout sur le bas-côté d’une route pendant que la ville brûlait."
Une histoire marquée par la guerre et l’exil, inscrite dans le corps et l’esprit de sa grand-mère au dos courbé et atteinte de schizophrénie, qui se réfugie sous une table pour échapper aux tirs de mortiers à chaque feu d’artifice. Une histoire qui a laissé à sa mère les souvenirs du racisme auquel sa peau trop blanche -preuve de son ascendance partiellement américaine dans un Vietnam déchiré par la guerre- la mettait en butte, et un illettrisme dû à l’interruption, à cinq ans, de sa scolarité, lorsqu’une attaque au napalm a détruit son école.
La barbarie de la guerre s’insère ainsi par flashs dans le récit, s’entremêle aux réminiscences de la propre enfance du narrateur.
L’évocation de certains épisodes révèle l’empreinte qu’a laissée la brutalité maternelle : le fils se souvient de la première fois qu’elle l’a frappé -il avait quatre ans- ou encore de celle où elle l’a enfermé à la cave parce qu’il s’était pissé dessus ; de celle, enfin, où il a dit stop, neuf ans après les premiers coups. Mais il a été tout aussi marqué par la vulnérabilité de sa mère et de sa grand-mère, par l’impuissance et l’humiliation liées à leur condition d’immigrée, dont le manque de maîtrise de la langue devenait à la fois le révélateur et le symbole, rendant les interactions impossibles, ravalant à une position d’infériorité. Alors il s’est promis de parler pour elles, d’avoir les mots à leur place. Renversant les rôles, il est devenu le sachant, "l’ interprète officiel de la famille", arborant l’anglais comme un masque, faisant du langage son bouclier mais aussi son moyen d’émancipation.
Car dans ces Etats-Unis où il est né, mais où être américain, c’est être blanc, lui aussi a subi les moqueries de ses camarades, et il a dû lutter pour acquérir une légitimité qui n’allait pas de soi. Son parcours, tracé dans l’environnement sordide de ces perdants de l’économie que représentent les rednecks et les immigrés, est marqué par la découverte de l’amour en même temps que celle de son homosexualité, mais aussi par la mort et les ravages de la drogue parmi les jeunes de son entourage.
Pris entre deux mondes, détenteur -pense-t-il- d’une identité bancale, il se penche, à l’occasion de l’écriture de cette lettre, sur ce qu’il est, et tente de trouver, entre héritage familial et acceptation de sa singularité, sa propre voie. Premier membre de sa famille à être allé à l’université, il a cru que le savoir permettrait de mieux se définir, mais réalise en être empêché par une blessure qu’il peine à exprimer avec suffisamment de justesse.
Son texte, frappant de sincérité et de crudité, nous convie ainsi à le suivre dans l’exploration, intime et douloureuse, de profondeurs qui l’ouvrent à une vision plus vaste et différente du monde, et l’amènent peu à peu à choisir le parti de la beauté, puisque "vivre encore, rien que ça c’est beau".
Une couverture choupi pour un roman qui ne l'est pas du tout, si je vois bien?
RépondreSupprimerOui, c'est un peu ça, même s'il se conclut sur une note plutôt optimiste...
SupprimerMerci pour cette nouvelle participation ! Comme je l'avais dit à Je lis je blogue, je n'ai pas réussi à lire ce livre, je l'ai abandonné avant d'arriver à la moitié. Je n'ai pas aimé le côté roue libre...
RépondreSupprimerJ'ai l'impression qu'avec sa construction narrative et son écriture singulière, ça passe ou ça casse... j'ai personnellement trouvé ce texte très beau, tout simplement !
SupprimerMon avis est plutôt proche de celui de Doudoumatous ou de Sunalee. Je ne l'ai pas abandonné parce que je l'avais acheté, mais ça a été une déception. Trop poétique, trop autofictionnel pour moi... trop de thèmes aussi.
RépondreSupprimerCa a été tout le contraire pour moi, j'ai aimé sa richesse, son intensité, et surtout sa plume... je me range donc complètement du côté de Marie-Claude, qui avait elle aussi été emballée.
SupprimerHum, je ne suis pas particulièrement tentée, mais vu ton coup de coeur, et puisqu'il est dans ma bibliothèque, je ne risque rien à le commencer...
RépondreSupprimerEn effet, tu verras vite si le style te convient, moi j'ai adhéré de suite, mais comme tu le vois, il y a deux camps...
SupprimerTu défends très bien ce livre (s'il en avait besoin). Pour ma part, je n'ai pas été très sensible à sa poésie et que j'ai été déstabilisée par le côté "roue libre".
RépondreSupprimerJe l'ai trouvé extraordinaire de maîtrise pour un premier roman, et d'une belle puissance évocatrice. Je suis même étonnée de constater que son écriture ne fasse pas l'unanimité ! :) Comme quoi, des goûts et des couleurs...
SupprimerQuel plaisir de lire ces mots! Un coup de cœur, rien de moins? Un texte qui tantôt nous rudoie et tantôt nous attendrit, c'est exactement ça. J'avais le pied sur le frein en le lisant, craignant un côté trop poétique édulcoré. Eh non, la magie a fait son oeuvre.
RépondreSupprimerAh oui complètement, j'ai tout de suite été ferrée par la plume de l'auteur. Un grand merci !
SupprimerJe me souviens bien du billet de Je lis, je blogue et je pense que j'aurais plutôt les mêmes réserves qu'elle, mais ton billet explique bien ce qui t'a parlé et touchée dans ce livre. C'est vraiment une question de goût et de sensibilité dans lesquels se retrouveront sûrement d'autres lecteurs.
RépondreSupprimerJ'ai été tellement emportée que je m'étonne de voir qu'il divise à ce point :). Mais tu as raison, je crois que c'est vraiment une question d'association entre une sensibilité et une manière de l'exprimer finalement très personnelle, dont la résonance varie selon les lecteurs.
SupprimerEt bien j'ai déjà noté ce livre dans mes listes en attente, car en plus il est présent dans une de mes médiathèques mais je ne sais plus grâce à qui. L'histoire me plait...C'est bien d'avoir plusieurs avis positifs
RépondreSupprimerDans ce cas je t'encourage à essayer, si comme moi sa plume singulière et puissante te convainc, c'est l'assurance d'un très beau moment de lecture...
SupprimerEn te lisant, je me dis que grâce à ce titre, je trouverais moyen de lire des littératures d’Asie du Sud-Est mais en lisant les commentaires... eh bien je me dis que peut-être pas...
RépondreSupprimerTu dois pouvoir trouver des titres plus adaptés pour découvrir ce coin du monde : j'ai triché un peu (mais c'est permis par les règles de Miss Sunalee !), c'est un roman en grande partie américain, quand même..
Supprimerje l'ai abandonné, je n'ai pas du tout accroché au style et comme Sunalee, trop trop .. je ne sais pas "roue libre" ?? Marie-Claude avait adoré, je crois que je préfère le rugueux au poétique ...mais je fais partie de la minorité car il est devenu hyper célèbre dans le monde entier avec, je lis en anglais et son nom revient souvent.
RépondreSupprimerDécidemment, c'est un titre soit qu'on adore, soit qui ne passe pas... par "roue libre", je voulais tenter de restituer cette narration qui semble se dérouler de manière spontanée, sans fil conducteur.
SupprimerJ'ai toujours du mal quand c'est écrit "en roue libre".
RépondreSupprimerDans ce cas, je crois que peux t'abstenir...
SupprimerCe roman a été un de mes coups de cœur de 2019. J'avais été ébloui par le style d'Ocean Vuong et ému bien des fois par les multiples thématiques qui y sont traitées. Pour autant, peut-être par crainte de ne pas accrocher, je ne me suis pas encore risqué à lire ses recueils de poésie.
RépondreSupprimerAh, bah voilà un commentaire dans lequel je me retrouve ! Je crois qu'au-delà d'accrocher ou pas à ce titre, il faut reconnaître à l'auteur une plume aussi singulière que talentueuse, quand même... et je ne me risquerai pas non plus à lire sa poésie, c'est un genre avec lequel j'ai un peu de mal, sortie des "classiques"..
Supprimerdes commentaires contrastés: je reste dubitative sur ce roman.
RépondreSupprimerOui, les avis sont à la fois tranchés et contradictoires, difficile de savoir avant de le lire dans quel camp on se situera...
SupprimerJ'étais persuadée de l'avoir lu ... Mais non en fait. Les avis sont si tranchés que j'ai vraiment envie de tenter le coup, maintenant !
RépondreSupprimerAh, ah, je ne suis pas étonnée de voir ta curiosité éveillée ! Mais je suis bien incapable de prédire comment tu accueilleras ce roman .. pour moi, ça a surtout été une question de style, ce jeune auteur a une sacrée plume !
SupprimerJe crains le côté trop roue libre, un peu ça va mais trop ça me lasse. Comme il est à la bibliothèque je pourrai tenter sans prendre de risques.
RépondreSupprimerC'est une très bonne idée, il me semble que c'est le genre de livre dont on sait assez vite s'il est fait pour nous ou pas...
SupprimerJ'avais déjà noté, tu enfonces le clou...
RépondreSupprimerj'arrive à commenter à nouveau !! En passant par firefox, alors que ça ne fonctionnait pas il y a 2 semaines. (et merci pour ton message!!)
Quelle bonne nouvelle, pourvu que ça dure... !
SupprimerBon, je deviens très curieuse de tout avis d'autre lectrice/eur, quand je vois à quel point ce roman partage.. je guetterai le tien avec assiduité....
ça passe ou ça casse ! A mon avis, chez moi, ça ne passerait pas...
RépondreSupprimerDisons qu'il faut aimer les textes à la forme un peu déstructurée, et être sensible à une certaine forme de poésie...
SupprimerJ’étais d’abord contente de découvrir une idée de lecture pour l’Asie du Sud-Est, mais les commentaires et l’écriture en roue libre m’ont bien refroidie. A emprunter pour se faire son propre avis éventuellement.
RépondreSupprimerC'est une bonne idée : au pire, tu l'abandonnes si tu vois que tu n'accroches pas au style et au mieux, eh bien... c'est un coup de cœur, comme pour moi !
SupprimerJe suis contente de lire ton avis, ce roman me fait de l'oeil depuis sa sortie.
RépondreSupprimerJe suis contente de mon côté de voir que les retours mitigés d'autres lectrices ne semblent pas te décourager... je l'ai trouvé très beau, et très touchant.
SupprimerJ'aime tellement le titre de ce livre. Je le note. Merci!
RépondreSupprimerJe me trompe peut-être, mais il me semble que ce titre est susceptible de te plaire, notamment pour sa poésie.
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