"Une rétrospective" - Juan Gabriel Vásquez
La forte personnalité de ce père, figure célèbre du monde du théâtre, de la télévision ou même du cinéma, et l’emprise qu’elle lui octroyait sur son entourage, expliquent sans doute les sentiments ambivalents de Sergio. Fausto, barcelonais d’origine, a connu l'exil, alors adolescent, pour fuir la guerre d’Espagne et le danger qui menaçait son père et surtout son oncle Felipe, héros républicain auquel il a toujours voué une immense admiration. Installé en Colombie avec sa famille, porté par une force de travail et une détermination hors du commun, il a rapidement fait son chemin dans le domaine du théâtre puis de la télévision, et s’est très tôt rapproché des milieux communistes révolutionnaires.
Avec Luz Elena, son épouse, femme d’extraction bourgeoise mais partageant ses convictions gauchistes, ils ont deux enfants, Sergio et Marianella. Très tôt, les choix politiques et idéologiques de leur père influent très fortement sur leur vie. Ce dernier est d’une intégrité sans faille, refusant toute compromission, ne renonçant jamais à ses principes. Il initie aussi Sergio à la carrière artistique, l’emmenant très jeune sur les plateaux télé, lui faisant parfois même interpréter un rôle au sein de ses pièces.
La situation se dégradant en Colombie, Fausto profite d’une proposition des autorités chinoises pour déménager avec sa famille à Pékin. Dans le cadre de sa politique révolutionnaire, le gouvernement de Mao Zedong est à la recherche de professeurs de langues étrangères, pour comprendre le reste du monde et y faire circuler sa propagande et son message. C’est l’époque du Grand Bond en avant, des efforts et des sacrifices insensés ayant épuisé une population encore meurtrie par les effets d’une des famines les plus meurtrières de son histoire. Mais la Chine est aussi le terreau d’expérimentation d’une nouvelle forme de socialisme qui prend ses distances avec l’Union Soviétique de Staline, se réclamant de marxisme-léninisme.
La relation de ces événements met en évidence l’influence de ce père aussi charismatique qu’intransigeant sur le parcours de ses deux enfants, précocement imbibés de culture socialiste, dont il a toujours exigé une rectitude et une force morales fondées sur un engagement allant au-delà de la seule adhésion à la cause. C’est ainsi que lorsque le couple Cabrera rentre en Colombie, Sergio et Marianella sont laissés en Chine, afin d’y parfaire leur éducation révolutionnaire. Et il se conforment au credo paternel, orientant leur vie et choisissant leurs relations selon leurs convictions politiques, rejetant tout ce qui émane de la classe bourgeoise, malgré les signes de plus en plus évidents démontrant que le régime du président Mao est une dictature.
Ils n’ont pas encore la vingtaine que les enfants Cabrera, guerilleros formés au combat, s’engagent dans la lutte clandestine aux côtés des insurgés Colombiens.
Le récit, passionnant, se laisse peu à peu envahir par la mélancolie. Après l’aveuglement de l’endoctrinement, vient le doute, non pas tant sur la légitimité de la révolution que sur la violence meurtrière perpétrée en son nom, sur l’égarement et la folie auxquels elle peut conduire.
Commentaires
En tous cas, garde bien celui-là dans ton gratte-ciel livresque, c'est vraiment un très bon roman..