LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Avant la longue flamme rouge" - Guillaume Sire

"Après tout, c’est peut-être cela, la mort : une forêt sans oiseaux ni parent, avec des enfants méchants et une sorcière obsédée."

Les Inn constituent une famille ordinaire, sans doute privilégiée dans ce Cambodge de la fin des années 1960. Le père est fonctionnaire à la Chambre d’agriculture où il gère les litiges. Phusati, la mère, est professeure de littérature. Elle abreuve ses deux enfants d’histoires qui nourrissent leur imagination, surtout celle de Saravouth, onze ans, qui est d’une incroyable profusion. Le garçon s’est construit un royaume fantasmagorique, un univers avec sa géographie, ses peuples, ses villes, empruntant à l’Odyssée comme à Peter Pan, à la mythologie hindouiste comme au catéchèse du père Michel, le curé de la paroisse. Il a par ailleurs une compréhension intime de l’importance des mots, "boucliers, longues-vues, microscopes" qui permettent d’habiter la vie. Il est pourtant intuitivement conscient de leurs limites, "que si on peut tirer les échelles des mots tant qu’on est sur la terre ferme, ne peuvent nous tirer du fond d’un puits". Tout comme il va apprendre que l’imagination, aussi profuse soit-elle, ne peut servir de refuge ou de consolation que jusqu’à un certain point, qu’il va atteindre et même largement dépasser.

En 1971, le coup d’état mené par le général Lon Nol provoque la destitution du prince Norodom Sihanouk. Soutenu par les Etats-Unis, Lon Nol instaure une République et s’installe au Palais Royal où il s’entoure d’une cohorte d’astrologues, de nécromanciens et autres sorcières qui font résonner des mélodies bizarres et flotter d’étranges odeurs dans salle du trône. La volonté des Khmers rouges de reprendre le pouvoir, aidés par l’URSS voisine, fait bientôt sombrer le pays dans la guerre civile. Les catholiques, dont font partie les Inn, sont traqués.

L’horreur s’introduit dans le récit et dans la vie de Saravouth d’abord insidieusement, puis de manière exponentielle. Après la suspicion et la peur qui règnent parmi une population qui subit des pénuries croissantes, c’est le chaos total. Le pays est dévasté, devient par endroits un cimetière à ciel ouvert parsemé de cadavres dont les mutilations témoignent des viols et des tortures subis. La ville de Phnom Penh se métamorphose en un immense camp de réfugiés où les conditions de vie sont d’une dureté et d’une insalubrité à peine imaginables. Ses rues sont les lieux d’errance de multitude d’enfants dont on ne sait s’ils sont orphelins ou s’ils ont simplement perdu leurs parents.

Saravouth se retrouve seul lui aussi, et n’a dès lors plus qu’une obsession : retrouver les siens. L’interminable épreuve qu’est sa quête, entre survie et succession de traumatismes, se fond avec la réalité cauchemardesque de la guerre qui métamorphose son pays. Malgré ses tentatives obstinées pour ordonner la réalité spatiale au cœur de ses recherches à la manière dont il maitrisait celle de son royaume imaginaire, il s’embourbe peu à peu dans le désespoir et la culpabilité, en même temps qu’il perd le fil de ses navigations intérieures.

Un texte terrible et pourtant très beau, que sa postface rend d'autant plus poignant.


Une participation à l'activité de Miss Sunalee sur les Littératures d'Asie du Sud-Est 

Commentaires

  1. Même si l'auteur est français, ce livre entre compte pour l'activité sur les littératures d'Asie du Sud-Est (pour un point au lieu de deux). Je le rajoute donc au récapitulatif.

    J'ai essayé de le lire il y a quelque temps et je n'ai pas réussi à entrer dans le texte. Je l'ai abandonné après quelques dizaines de pages.

    RépondreSupprimer
  2. Qu'est ce que j'avais aimé ce texte ! Le "royaume intérieur" féérique et l'impossible retour à l'imaginaire .... La longue errance du personnage a une sacrée force évocatoire ! Il y a une vidéo qui a été tournée sur le personnage alors qu'il vivait à Central Park, tu l'as vue ?

    RépondreSupprimer
  3. @ Miss Sunalee = figure-toi que j'y ai brièvement pensé avant de laisser tomber l'idée de le proposer pour l'activité, pensant que le Cambodge n'entrait pas dans la zone définie.. j'ai pourtant noté quelque part la liste des pays "éligibles", j'aurais dû vérifier..
    Heureusement, tu veilles.. logo ajouté !

    RépondreSupprimer
  4. @ Athalie = je me souviens en effet de ton enthousiasme, qui a évité à ce roman de finir dans le carton des "à donner".. je suis allée voir la vidéo, oui (ça aurait été un plus pour moi si elle avait été sous-titrée...). Avant la postface, je pensais que le personnage de Savarouth était fictif, et c'est vraiment une sensation étrange que de voir évoluer dans la vraie vie un héros de roman.. un livre bouleversant, Guillaume Sire s'est emparé de ce destin avec beaucoup de grâce..

    RépondreSupprimer
  5. en te lisant, je me rends compte à quel point je ne connais rien à l'histoire de ce pays...

    RépondreSupprimer
  6. J'ai lu que ce roman était tiré d'une histoire vrai. Cela le rend d'autant plus poignant. Quelle époque terrible !

    RépondreSupprimer
  7. Tu m'as évité toi aussi de me délester de certains romans ( le dernier en date étant Ce que l'on sème, que j'ai, finalement, sorti de la pile et beaucoup aimé !
    Et moi aussi, j'étais persuadée que le personnage était fictif, je me souviens de l'émotion que j'ai eu à le voir en vrai !

    RépondreSupprimer
  8. @ Sandrine = je n'y connaissais pas grand-chose non plus avant de lire ce roman. C'est une histoire terrible..

    RépondreSupprimer
  9. @ je lis je blogue = tout à fait, et comme Athalie, je ne le savais pas avant les dernières pages... quel choc (d'autant plus que l'auteur donne la référence d'une vidéo dans laquelle on peut voir l'homme qui a inspiré son roman) !

    RépondreSupprimer
  10. J'aurai beaucoup à apprendre en lisant ce livre. Je réalise que je connais peu de choses sur le Cambodge. En plus si le personnage a réellement existé cela doit être encore plus poignant...je le note mais ce ne sera pas pour tout de suite. Merci pour cette belle chronique

    RépondreSupprimer
  11. @ Manou = on y apprend en effet comment a démarré la guerre qui a ravagé le Cambodge dans les années 70, mais l'auteur s'attarde surtout sur ses effets sur les cambodgiens. C'est un récit bouleversant, à retenir, oui.

    RépondreSupprimer
  12. J'ai été si émue par cette lecture et j'avais moi aussi mis en lien le reportage vidéo qui lui avait été consacré.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crois que ce roman fait l'unanimité... il faut dire qu'il est en effet bouleversant.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Compte tenu des difficultés pour certains d'entre vous à poster des commentaires, je modère, au cas où cela permettrait de résoudre le problème... N'hésitez pas à me faire part de vos retours d'expérience ! Et si vous échouez à poster votre commentaire, déposez-le via le formulaire de contact du blog.