LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La peau du dos" - Bernard Chambaz

"Le ciel bricolait des boules de coton toutes rondes grâce auxquelles on était prêt à concevoir qu'il existât des corps qui échappaient à la loi de la gravitation universelle, un léger vent donnait le sentiment d'un élan républicain, le monde prenait des allures d'apéritif."

Mai 1870. 

Auguste n’est pas encore Renoir. Certes, la peinture est déjà toute sa vie, mais si sa "Lise à l'ombrelle" a suscité les commentaires élogieux d’un certain Emile Zola lors de son exposition en 1868, les critiques envers son œuvre sont généralement mauvaises, et font l’objet de caricatures dans la presse. Demain, il sera considéré comme "le pape de la peinture du bonheur", mais il faut patienter encore un peu.

Raoul connaîtra une gloire plus fugace, plus tragique et plus controversée, quand il sera Rigault. Pour l’heure, il est un jeune journaliste poursuivi par la police impériale pour un délit qu’il n’a prétend-il pas commis. 

Ils se rencontrent dans la forêt de Fontainebleau. L’artiste vient de replier son matériel ; Raoul arrive de la gare. Ils deviennent vite camarades, car "aucun ne fait le paon". Ce sont deux hommes simples, pas vraiment du genre à soigner leur tenue. L’un a "appris la vie" à treize ans dans un atelier de porcelaine, l’autre l’a découverte dans des livres, sur les bancs d’un lycée dont il a été renvoyé suite à ses incartades, ce qui a incité son père à lui couper les vivres.

Ils passent quelques jours ensemble à se promener sur le Chemin aux Merles, se racontant des histoires, "grillant des cibiches entre deux canons", puis chacun reprend sa route.

Ils se retrouvent à Paris quelques mois plus tard, alors que la Commune vient de se mettre en branle. Accusé d’espionnage par une femme du peuple qui juge suspect cet homme qui reste de longues heures à peindre, Auguste est arrêté, et a la surprise de tomber au commissariat sur son camarade du Chemin aux Merles, tout juste nommé à la tête de la préfecture de police.

Ils éprouvent au fil des quelques rencontres qui suivent un plaisir réciproque. Qu’est-ce qui les lie ? Pas la peinture, en tous cas. Mais ils ont tous deux ce même optimisme intuitif qui les convainc que le monde paraîtra demain sous un jour splendide, et sont tous deux des exaltés : l’un est habité par son art, l’autre par ses idéaux. Si Renoir souscrit aux valeurs de la Commune -égalité, droit et justice-, il n’adhère pas à l’action directe, et trouve que tous ces révolutionnaires se poussent un peu du col. Et puis c’est un adepte de la simplicité, qui trouve son épanouissement dans la proximité quotidienne d’une beauté qu’il a la capacité de voir dans le moindre rendu des choses, le détail d’une couleur ou la fulgurance d’une lumière. Raoul, ancré dans la réalité sociale de son temps, voit plus loin et plus haut, escompte l’apothéose du bonheur collectif. 

Voilà un texte fort habile, bref mais dense, qui allie un style judicieusement suranné mais jamais pesant et une capacité à capter en quelques mots la substance de l’instant. Ainsi, "La peau du dos" n’a pas tant goût d’Histoire que de vécu et se révèle un bel hommage à ceux qui, coûte que coûte, restent fidèles à leurs passions.


Petit Bac 2024 chez Enna, catégorie CORPS HUMAIN.

Commentaires

  1. Ce roman semble finalement dresser le portrait de toute une époque

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  2. Sans aucun doute une rencontre intéressante de ces deux jeunes hommes qui ont déjà de grands projets dans leur vie et qui bien que différents vont se retrouver et s'entraider. Pourquoi pas le découvrir, bien que je ne te sente pas plus enthousiaste que ça, je le note pour découvrir un peu cette époque.

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  3. @Je lis je blogue = c'est quand même très ciblé sur la Commune, pour le contexte, et les passages concernant Renoir restent axés sur son art. Mais il y a en filigrane l'air de l'époque, oui, et la langue de Chambaz a une belle capacité d'immersion.. Et puis c'est une belle histoire d'amitié.

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  4. @Manou = il est très plaisant à lire, car la langue est vive et en même temps poétique (Cf. l'extrait en début de billet), et on se sent bien à côtoyer ces deux-là, dont l'amitié simple et directe fait chaud au cœur. Si je devais émettre un bémol, ce serait sur la brièveté de l'ouvrage, qui du coup ne me laissera sans doute pas un souvenir durable.

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  5. C'est une époque intéressante pourtant peu exploitée en littérature. Je me demande pourquoi le nom de cet auteur me dit quelque chose... jamais lu pourtant...

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  6. ah brieveté me plaît
    j'ai tant à lire
    et j'aime les romans qui traitent de la grande Histoire mais via une autre histoire comme cette amitié

    je note !

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  7. @Sandrine = il est historien, peut-être as-tu croisé son nom en faisant des recherches sur quelque sujet ?

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  8. @Miriam = j'espère qu'il te plaira, l'écriture est savoureuse, et le choix du sujet original.

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  9. @Electra = dans ce cas il devrait te plaire : il coche toutes ces cases !

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  10. je ne vais pas ajouter ce livre à ma liste qui n'en finit pas de s'allonger mais j'ai aimé lire ce que tu en dis

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  11. @Luocine = ce n'est certes pas un indispensable, mais j'ai aimé cette parenthèse que la plume de Bernard Chambaz rend à la fois délicate et gouailleuse.

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  12. Quel beau titre ! Un brin mystérieux aussi. En ce 150e anniversaire de la naissance de l'impressionnisme, c'est une lecture de circonstance qui pourrait me tenter car j'ai visité récemment la Maison fournaise où Renoir a peint le Déjeuner des canotiers et cela m'a donné envie de mieux connaître l'homme et cette époque d'ébullition artistique et politique.

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  13. @Sacha = et on ne comprend ce titre qu'à la toute fin... c'est en effet une lecture complètement adaptée à cet anniversaire de l'impressionnisme. Bernard Chambaz rend très bien, par son écriture, le regard pictural que Renoir pose sur toute chose..

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  14. Un titre qui parle de peinture, de beauté des choses simples et d'idéaux politiques intacts ... Comment ne pas le noter !

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  15. @Athalie = et en plus c'est bien fait : plutôt que d'évoquer longuement l'artiste qui peint, l'auteur apporte une touche picturale à son texte même..

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