LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La Scierie" - Anonyme

"C’est insensé, il faut être malade pour se fourrer dans une crève-bonhomme pareil."

C’est le récit d’un inconnu, qui n’avait aucune intention de le publier… c’était sans compter sur l’écrivain Pierre Gripari qui, après en avoir eu le manuscrit entre les mains, n’a pu se résoudre à ce qu’il tombe dans l’oubli, et s’est arrangé pour le faire paraître, tout en gardant secrète l’identité de son auteur.

Le narrateur y relate son expérience du travail, entre ses 18 et ses 20 ans. Il vient alors d’échouer au baccalauréat et son frère, qui est aussi son tuteur, a mis un véto à sa volonté de s’engager dans la Marine. Nous sommes dans les années 1950, dans une région rurale des bords de Loire où l’agriculture est le principal employeur. Mais "les paysans (le) font chier" et la seule idée d’un emploi de bureau le dégoûte. Désireux d’exercer un travail physique, il se fait embaucher dans une petite scierie.

Issu d’un milieu bourgeois, et conscient qu’il est par conséquent attendu au tournant par ses collègues ouvriers, il tire une sorte de vanité à faire mieux que les autres. Il s’y emploie avec une hargne qui, associée à sa propension à "envoyer chier le patron", lui vaut bientôt le respect de l’équipe.

L’écriture crue et directe rend très concrète la réalité de ce travail monotone et harassant qu’il exerce dix heures par jour, dans des conditions non seulement difficiles mais aussi dangereuses. A l’effort physique que réclame les diverses tâches auxquelles il est assigné, s’ajoutent la douleur aigue du froid hivernal puis le pénible engourdissement des chaleurs estivales qui, en diminuant la vigilance, augmente les risques d’accidents, déjà élevés en raison des économies faites sur les dispositifs de sécurité. Pressés de travailler toujours plus vite pour optimiser le rendement, les ouvriers se blessent fréquemment.

La vie du narrateur est vampirisée par les stigmates qu’imprime le travail sur son corps comme sur son esprit. Perclus de douleurs, il est plombé chaque jour, dès le réveil, par une « fatigue à tomber ». Libérées par la nature manuelle de ses tâches, ses pensées se focalisent sur la médiocrité de ses perspectives, il est pris d’aigres accès de mélancolie qui le rendent dur et méchant. 

Mais ce n’est rien au regard de ce qu’il va vivre par la suite…

Notre jeune apprenti ouvrier accepte de participer au projet de Garnier, un contremaître bien connu -et très redouté- dans la région pour sa force hors du commun et son caractère impitoyable, qui souhaite monter sa propre scierie. Ils sont trois à se lancer dans cette aventure quasiment vouée à l’échec.

"La Scierie" est la relation d’une expérience personnelle, qui doit à la lucidité et à l’honnêteté de son auteur sa justesse de ton et son énergie. Sa démarche est dénuée de toute dimension sociale, de toute vocation idéologique, et le regard qu’il porte sur ce monde fruste et brutal est sans complaisance. Il n’est pour autant ni dégoûté ni condescendant. Ce que raconte le narrateur, c’est une immersion dans un monde d’hommes, au sens viril du terme, et avec la connotation désuète et machiste que cela suppose. Toute notion de lutte ou de solidarité ouvrière est ainsi absente de ce microcosme où règnent surtout rivalité et coups fourrés, la fatigue du quotidien empêchant le recul nécessaire à l’analyse d’une condition dont l’iniquité du rapport dureté/rémunération confine à l’absurde.


Une nouvelle participation à l'activité "Monde Ouvrier et Mondes du travail".

Commentaires

  1. Tu es tombée sur une sorte de curiosité, parfaitement pour ce 'monde ouvrier'

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