LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Les éphémères" - Andrew O’Hagan

"(…) être jeune est une sorte de guerre dans laquelle le grand ennemi est l’expérience."

Plusieurs décennies séparent les deux parties de ce roman, qui pose en vis-à-vis deux moments clés d’une existence placée sous le signe de l’amitié. 

Eté 1986. Nous faisons connaissance par la voix de Jimmy, le narrateur, d’une bande de six jeunes vivant dans le quartier ouvrier d’un comté du sud-ouest écossais. Ils sont liés par leur amour de la musique, leur obsession pour les disquaires indépendants et la connaissance de dizaines de citations tirées des films qu’ils ont vus et revus, dont ils émaillent à l’envi leurs conversations. Décomplexés et gentiment rebelles, ils partagent une détestation pour Margaret Thatcher qui vient d’entamer un bras de fer cruel et inégal avec les mineurs en grève, dont certains font partie de leurs proches.

La personnalité attachante et singulière de Tully en a fait le leader naturel du groupe. Agé de vingt ans, déjà entré dans la vie active -en tant que tourneur-, c’est un jeune homme à la fois brillant et désinvolte, d’une effronterie absolue, aussi audacieux que généreux. Le spectacle du renoncement paternel (ancien ouvrier rongé par l’amertume et l’échec, son père est devenu alcoolique) l’a empreint d’une conscience aigüe de la tristesse du monde, mais aussi de la volonté farouche de ne pas se laisser envahir par elle.

Jimmy vient quant à lui d’avoir dix-huit ans. Il a décidé de "divorcer" de ses parents défaillants, et bien que ce ne soit pas "le genre de la famille", de faire des études, encouragé et accompagné par une enseignante qui a remarqué sa passion pour la lecture.

Le temps d’un week-end qui prend des allures d’orgie épique, les six amis vont vivre ce qui avec le recul apparaîtra comme l’acmé ou le symbole de leur jeunesse, à l’occasion d’un festival de rock punk à Manchester, placé non seulement sous le signe de la musique, mais aussi de l’alcool et autres substances euphorisantes.

2017. Tully, qui a repris trente ans plus tôt ses études, est enseignant, et Jimmy écrivain. Tous deux sont en couple. Restés fidèles à eux-mêmes, ils ont conservé leur amour de la musique, du cinéma et de la littérature, leur humour et leur vivacité d’esprit comme leur capacité à ne pas se prendre au sérieux. Tully a besoin d’aide, et sollicite celle, au nom d’une affection qui ne s’est jamais démentie, de son vieil ami.

En fondant son roman sur la juxtaposition de ces deux épisodes, Andrew O’Hagan crée un contraste révélateur de ce que le temps imprime aux existences, en même temps qu’il démontre la persistance des caractéristiques qui définissent profondément les êtres. Campés avec autant de vitalité que de délicatesse, ses personnages nous touchent parce qu’ils ont su rester fidèles aux autres comme à eux-mêmes, ainsi qu’à leur volonté de contrer la médiocrité de la vie, non pas en réalisant des actions extraordinaires, mais en préservant une liberté d’esprit et une sincérité dénuée d’emphase comme de tabou. Ils sont en même temps riches d’une humilité qui leur permet d’opposer à la tragédie l’humour et la richesse des joies simples.

Un bel hommage à l’amitié et à la loyauté sans failles qu’elle requiert, porté par une écriture aussi subtile qu’énergique.

Une belle découverte.

"On dit qu’on ne sait rien à dix-huit ans. Mais il y a des choses qu’on sait à dix-huit ans et qu’on ne saura plus jamais."

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