LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Plexiglas" - Antoine Philias

"Cholet, on peut y naître. Y mourir. Y travailler. Y faire escale pour pisser. Mais choisir d’y rester…"

A l’instar d’un Nicolas Mathieu, Antoine Philias nous livre avec "Plexiglas" un roman sur la France périphérique et ses citoyens anonymes. Parmi eux Elliot et Lulu, et leurs existences dont la modeste banalité est évoquée, en alternance, au gré de brefs chapitres. Le premier, à bientôt trente ans, revient dans sa ville natale de Cholet (Maine-et-Loire) après quelques années passées à Rennes, à vivoter de petits boulots. Il occupe, le temps qu’elle soit vendue, la maison de son grand-père qui vient d’être admis en EHPAD. Il a professionnellement peu d’ambitions car peu de besoins, et se démène davantage sur les applis de rencontres pour trouver, sinon l’âme sœur, des candidats au flirt, que sur les sites d’offres d’emploi.

C’est au Balto, le bistrot de la galerie commerciale de son quartier, qu’il rencontre Lulu, caissière à Carrefour. Veuve, elle aussi vit seule depuis que son fils est parti étudier à Paris. Syndicaliste à l’époque où elle travaillait chez Bébé Confort avant d’être victime d’un plan social, elle a gardé le contact avec certains militants, et participé à quelques manifestations des gilets jaunes. Chez Carrefour, elle évite de faire des vagues. Elle dépend de son maigre salaire pour boucler les fins de mois, et ne peut pas se permettre, à trois ans de la retraite, de perdre son emploi.

Un emploi qui devient "essentiel" avec l’arrivée du Covid. Lulu n’est pas dupe, consciente que l’expression est rapidement vouée à disparaître. Et elle est bien placée pour mesurer la contradiction entre la grandiloquence des discours qui les érigent, elle et ses semblables, en héros, et la réalité de conditions de travail pénibles, à composer avec les moyens du bord, à subir la répétition des gestes, les douleurs musculaires et les clients agressifs. Le confinement renforce en revanche la tendance à l’oisiveté d’Elliot, qui procrastine devant Facebook et les séries Netflix. 

A partir de l’amitié à la fois franche et respectueuse qui s’instaure entre Lulu et ce dernier, Antoine Philias décrit les vies de ses protagonistes avec réalisme, mais aussi une tendresse et un humour mordant qui nous les attache et nous les rend familiers. Ce sont des vies au bord de la précarité, laborieuses et usantes, insérées dans une morne routine qui n’offre guère d’occasions d’épanouissement. On est pourtant souvent saisi par la lumière, produite par la simplicité bienveillante de certains des héros, qui traverse aussi le roman.

L’auteur questionne par ailleurs notre manière d’habiter ces territoires qui ne sont plus tant des lieux de vie que des lieux de stagnation et de consommation, ces villes sans charme au centre mort, encerclées de grandes chaines de magasins dont les enseignes ont remplacé les noms de rues, de places, comme repères spatiaux. La galerie commerciale est devenue le nouveau lieu de promenade et de rendez-vous, le prétexte à certains rituels familiaux, évolution impulsée par une volonté supérieure qui crée les conditions de notre soumission au tout-puissant consumérisme en déployant des stratégies de séductions et d’ancrages dans des mécanismes mercantiles auxquels on adhère volontiers, parce que c’est facile et accessible, les victimes du système participant à sa pérennité. Triste paradoxe.

La succession rythmée des chapitres, le ton à la fois incisif et sensible, rendent la lecture plaisante, et donnent à l’ensemble, malgré la morosité du propos, une réelle fraîcheur.


Une double participation aux activités "Monde Ouvrier & Mondes du travail" & "Sous les pavés les pages" :

Commentaires

  1. Dans les années 70, les centres commerciaux étaient déjà des lieux de sortie familiaux dans les milieux populaires, je m'en souviens très bien.
    Aujourd'hui, je n'en peux plus d'entendre les gens pleurer la mort de leur centre ville et courir faire leurs courses chez Carrefour, ça me donne des envies de meurtres. Je vis sans mettre les pieds dans les supermarchés sauf pour les croquettes pour chat dons c'est possible, c'est une question de choix (budgétaire (je n'ai pas d'abonnement Netflix ni autres plateformes du genre...) et sociétal). C'est d'ailleurs pour ça que notre société avance tranquillement vers la catastrophe : mieux vaut ne pas choisir (réfléchir) et faire comme tout le monde, tout en ne cessant pas de se lamenter...
    Bon, il a l'air bien ce livre :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses

    1. J'avoue que j'achète plus que les croquettes de mon chat en grande surface, notamment pour des raisons de proximité (j'habite juste derrière un centre commercial..) mais j'essaie, de plus en plus, au moins pour l'alimentaire, de m'approvisionner dans d'autres structures. Comme tu le dis, c'est une question de choix, mais encore faut-il en être arrivé à la conscience qu'il y a un choix à faire (et choisir de faire un choix en quelque sorte..).
      Et oui, c'est un bon roman. J'ai trouvé au départ que la structure narrative -l'alternance entre les deux personnages- posait un problème de rythme : les chapitres étant court, j'étais un peu frustrée d'avoir à peine le temps de côtoyer un personnage avant de passer à l'autre. Mais ça s'est évaporé au cours de la lecture, notamment parce que le lien étant fait entre Elliot et Lulu, beaucoup de passages leur sont communs.

      Supprimer
  2. J'ai eu envie de le retenir, ce livre, pour cette année. Evidemment, sans être fascinée par les galeries commerciales où je ne vais qu'une ou deux fois par ans, ce type de lieu, confinés pour ceux qui y travaillent, divertissement pour ceux qui y passent m'intéressent beaucoup. Tu dis "fraicheur" et "humour", alors me voilà convaincue.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Au-delà du cadre, c'est surtout à ses personnages que s'intéresse l'auteur, et il y a dans sa façon de les aborder une authenticité qui rend son récit crédible et par moments assez drôle, oui.

      Supprimer
  3. Je connais bien le problème évoquée par Sandrine. Dans ma ville, le centre piétonnier se meurt. Les commerces traditionnels ne peuvent plus payer les loyers exorbitants et, dans le meilleur des cas, sont remplacés par des chaînes ou des fast food... mais la plupart du temps, les commerces migrent à la périphérie où les visiteurs peuvent se garer juste devant les devantures. Pas besoin de marcher !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La plupart des centres-villes sont colonisés depuis des années par les agences immobilières, les banques, les opticiens, et les chaines de fast-food, comme tu le soulignes ... et ils ont du même coup perdu tout attrait. Et je ne parle pas même pas de la verdure, qui a déserté la plupart des milieux urbains (pour qu'on y remette ensuite des arbres en pot parce qu'on réalise qu'en été, un arbre, c'est utile pour protéger de la chaleur...). Du coup, consommer autrement qu'en grande surface quand on vit en milieu urbain demande en effet un effort, qui passe d'abord, comme le souligne Sandrine, par une prise de conscience éclairée et impliquée.

      Supprimer
  4. Je pourrais recopier le commentaire d'Athalie... et hop, noté !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. A garder pour la prochaine édition de "Sous les pavés", alors...

      Supprimer
  5. Je note avec plaisir, ce que tu en dis, le titre, la couverture et la référence à Mathieu me parlent beaucoup !!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est un roman plaisant malgré son contexte morose, le regard que porte l'auteur sur ses personnages est sincère et empathique (je crois d'ailleurs qu'il s'est pas mal inspiré de sa propre expérience).

      Supprimer
  6. Je l'avais repéré (mais chez qui ?) et tu confirmes ici qu'il vaut le coup. Re-noté donc !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crois que je l'ai noté chez Nyctalopes... et oui, je ne suis pas déçue, l'écriture est vive, et le sujet traité avec lucidité et humanisme.

      Supprimer
  7. Comme Sandrine je me souviens des débuts où pour pas mal de gens les galeries commerciales devenaient un centre culturel .. heureusement qu'il y a de l'humour parce que ça me paraît très déprimant.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bizarrement, je ne suis pas sortie déprimée de cette lecture, alors que le sujet et les vies qui sont dépeintes devraient a priori susciter une certaine morosité. Je crois que cela tient à l'humour, en effet, mais aussi à la familiarité qu'instaure l'auteur entre nous et ses personnages.

      Supprimer
  8. Je note ce roman, car je le trouve positif et j'en ai assez de tous les romans qui décrivent le malheur de ce genre d'endroits et de catégorie sociale, on peut être heureux de façons tellement différentes.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le quotidien de ses héros est plutôt difficile, mais jamais l'auteur ne tombe dans le misérabilisme. Et il y a l'amitié, les liens avec la famille, ainsi qu'une certaine solidarité, qui éclairent tout de même leurs vies...

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Compte tenu des difficultés pour certains d'entre vous à poster des commentaires, je modère, au cas où cela permettrait de résoudre le problème... N'hésitez pas à me faire part de vos retours d'expérience ! Et si vous échouez à poster votre commentaire, déposez-le via le formulaire de contact du blog.