LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Sourde colère" - Arthur Nesnidal

"Etudiez donc les hommes, et mesurez leur étroitesse : vous n’en mènerez pas large."

A peine a-t-on commencé la lecture qu’on est embarqué par l’énergie de la plume d’Arthur Nesnidal, et plongé dans la noirceur du monde qu’il dépeint. Un monde à la temporalité vaguement définie, par moments presque anachronique, ce qui donne au récit des allures de fable (noire). Il est pourtant suffisamment familier pour qu’on le reconnaisse comme étant le nôtre, dans ses aspects les plus laids et les plus violents. Marqué par de cruelles inégalités, il a à sa tête des élites avides à l’esprit comptable, mues par d’insensibles logiques. Le peuple, qu’on laisse croupir dans l’indignité, y est méprisé, culpabilisé, la pauvreté étant quasiment considérée comme un délit. L’indifférence et l’individualisme permettent la perpétuation des injustices. Mais la rage et la fatigue inspirée par les usines et les mines des banlieues font monter la colère…

On pénètre dans cet univers par la géographie d’une ville, l’un des personnages nous y servant de guide.

Le sénateur Clérivoit, considéré comme un extrémiste de gauche, est rendu malade par le cynisme et l’iniquité de ce système pourri par l’argent. Anti-lobbyiste, il a dans le collimateur un de ses pairs très proche du monde de la finance, Cartera, qui est en passe de faire voter un texte liberticide. Pour l’en empêcher, il tente de le coincer pour une affaire de corruption sur laquelle Andrieux, modeste flic, est chargé d’enquêter. Ses investigations tournent court -on ne fouine pas impunément dans les alcôves du pouvoir-, et notre héros est vite renvoyé à des tâches subalternes, des opérations de "nettoyage" consistant entre autres à déloger migrants et sans-abri de refuges trop exposés à la vue des honnêtes citoyens.

Il nous fait ainsi découvrir tous les aspects d’une ville dont l’organisation reflète, et par un impitoyable cercle vicieux entretient, les inégalités sociales. Parti à la découverte des avenues cossues exhibant les bâtiments monumentaux des grandes administrations et leurs oasis de verdure sublimée mais contrainte, le lecteur, après un bref passage dans un quartier historique au charme précieusement entretenu, se rapproche d’une banlieue sans arbres ni oiseaux, où des immeubles délabrés se dressent dans l’air vicié par l’infection des usines. L’ultime étape de cette descente dans les strates socio-urbaines le confronte à la jungle où survivent des migrants qui y confrontent leurs rêves de culture occidentale et d’Etats de droit à la réalité des tabassages policiers et de l’enfer des centres de rétention.

Andrieux n’est pas un idéologue, et s’était jusqu‘à présent contenté d’obéir aux ordres sans se poser de questions. Mais ce n’est pas non plus un violent, et les missions auxquels il participe -s’efforçant de conserver une posture de spectateur- l’amènent à douter du bien-fondé des instructions de sa hiérarchie comme de sa conduite. 

Un roman bref et nerveux, constitué de chapitres courts mais denses, l’auteur installant en quelques phrases contextes, décors et enjeux. Les fréquentes énumérations, dont la succession font portraits, donne au texte un rythme efficace et le ton, vif et férocement ironique, n’est pas en reste.

A lire.

Une nouvelle participation à "Sous les pavés, les pages"

Commentaires

  1. Nous avons déjà lu un livre portant ce titre, n'est-ce pas... La ville décrite ici ressemble pas mal aux nôtres.

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    1. Oui, j'ai aussi relevé la coïncidence... et les similitudes avec nos environnements urbains est bien sûr volontaire...

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  2. Je n'ose pas te demander s'il.y a une lueur d'espoir quelque part dans ce roman ..

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    1. Euh... une toute petite, mais ceux qui se révoltent contre le pouvoir sont bien fatigués et relativement impuissants.

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  3. Dommage que cet auteur soit inconnu de ma médiathèque. Cette exploration des différentes states sociales de cette ville me semblait bien intéressante en effet et j'aurai bien fait sa connaissance. Je vais le noter tout de même.

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    1. Je ne sais plus sur quel blog j'ai repéré ce titre, que j'ai eu la chance de trouver d'occasion... une chouette découverte, et un texte coup de poing.

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  4. J'étais un peu sceptique au début de ton compte-rendu. Le sujet est intéressant mais j'avais peur que son traitement soit un peu lourd. Apparemment ce n'est pas le cas

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    1. Ton commentaire est pertinent, parce qu'en y repensant, je ne peux pas nier qu'il y a une dimension un peu démonstrative dans la manière de faire résonner strates sociales et environnements urbains, et même dans celle d'évoquer les maux de notre monde. Mais il y a aussi une puissance, dans l'écriture, qui fait passer le côté un peu schématique (et à mon avis complètement assumé) du discours.

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  5. j'ai vraiment du mal avec ce genre de romans , le noir pour le noir je n'y crois pas sauf en Afghanistan quand on est une femme !

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    1. Le fait de situer l'intrigue en un lieu et une époque incertaines pourrait permettre une certaine prise de distance, mais la volonté de décrire précisément le pire de nos sociétés fait qu'en réalité, tout cela est d'une familiarité glaçante...

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  6. Je vais passer par manque de temps mais aussi parce que les énumérations m'ennuient généralement...

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