"Trust" - Hernán Díaz
"La plupart d’entre nous préfèrent croire que nous sommes les sujets actifs de nos victoires mais seulement les objets passifs de nos défaites."
Cela commence par un portrait, celui de Benjamin Rask, génie de la finance ayant perpétué puis considérablement accru sa fortune familiale. Issu d’une lignée de riches négociants en tabac de la côte est Etats-Unis, il tranche sur ses ascendants par une personnalité quasi misanthrope et son désintérêt total pour tout signe extérieur de richesse. Fasciné par les mouvements financiers et la possibilité d’influer sur leurs cours, il a un don pour en maitriser les contorsions. L’agilité intellectuelle et le sens de l’anticipation avec lesquelles il décrypte et s’empare des mystères des mécaniques monétaires acquiert une dimension qui confinerait presque à l’ésotérisme.
Benjamin est un héros de son temps, celui du début du XXème siècle, un temps de croissance économique et de miracle industriel où production et bénéfices atteignent des sommets inédits. Celui, aussi, des prémices d’un système dont le temple est Wall Street, fondé sur l’argent, la spéculation, et l’organisation de toute la société autour de l’impératif consumériste, alimenté par l’instauration puis l’entretien du mythe dans lequel chaque citoyen, ne serait-ce que par la possibilité de profiter de ce miracle, se pense inclus.
Lorsqu’il rencontre Helen Brevoort, fille d’aristocrates désargentés, tous deux comprennent qu’ils sont faits l’un pour l’autre. Tous deux sont de grands solitaires à l’esprit vif et vorace. Dès son plus jeune âge, la future épouse Rask a montré d’extraordinaires capacités que son père, érudit multidisciplinaire, a encouragées et développées. Sa mère déployait pendant ce temps ses talents à maintenir une vie mondaine dont leur déchéance sociale aurait dû les priver, n’hésitant pas à exploiter les dons de sa fille pour impressionner ses auditoires, lui imposant une sociabilité à l’encontre de son goût pour l’étude et la solitude. Son union avec Benjamin lui permit ainsi de faire d’une pierre deux coups : permettre à ses parents de cesser de vivre aux crochets des autres, et accéder à la liberté et l’indépendance que ses parents autoritaires lui avaient refusées.
Alors on est installé dans le récit, et si comme moi on est tête de linotte, on a oublié le sommaire… la bascule dans la suite m’a donc un peu désarçonnée (ce qui n’est pas plus mal). Ce n’est pas un renversement spectaculaire, plutôt une réécriture du récit, dont nous est livrée une nouvelle version aux variations plus ou moins subtiles. Un certain Andrew Bevel s’essaie, d’après ce que l’on comprend, à rédiger une autobiographie censée rétablir une vérité mise à mal par le roman qui précède. L’atteindra-t-on vraiment, cette vérité ? Il faudra pour le savoir, parvenir à la version ultime, mais aussi la plus intime, de l’histoire… Avant ça, il faudra subir l’arrogance d’Andrew dont la prétention à vouloir réhabiliter la mémoire de sa défunte épouse ne fait guère illusion face à sa propension à se mettre constamment en avant, notamment en tant que bienfaiteur d’une Amérique dont il a contribué, prétend-il, à asseoir la puissance économique…
Ceci dit, "Trust" est bel et bien une histoire de pouvoir, plus précisément une histoire américaine du pouvoir, fondé sur l’argent, la masculinité, et l’appartenance à l’élite Wasp. Et ceux qui détiennent ce pouvoir sont aussi les maîtres des récits qui posent les bases d’une doctrine sociétale à partir de laquelle sont fixés des objectifs collectifs qui ne profiteront qu’à quelques-uns. C’est me semble-t-il ce qu’a voulu démontrer Hernán Díaz avec ce roman fort habile, qui à la fois fait le constat de cette domination et la déconstruit, en laissant le dernier mot à celles que l’on a cantonnées à l’ombre et au silence.
Bien que je n'ai pas d'appétence pour l'univers de la finance, j'ai beaucoup apprécié ce roman. comme toi, je l'ai trouvé habilement construit. C'est un peu déstabilisant au départ mais on se prend au jeu.
RépondreSupprimerL retournement à la fin est arrivé un peu tard pour que j'apprécie pleinement.
RépondreSupprimerencore un auteur qui est sur ma liste à découvrir ! Il y en a tant !
RépondreSupprimerJ'ai été plutôt déroutée par ce roman et la manière dont il est construit, et finalement sa lecture m'a intéressée mais je ne sais pas si j'ai envie de me plonger pour autant dans une autre lecture de Hernan Diaz de si tôt...A voir donc ! J'ai déjà noté "Au loin" alors si je le croise je me laisserai peut-être tentée :)
RépondreSupprimeril faut donc, si je lis ce livre, me préparer à surmonter deux obstacles : m'intéresser au monde de la finance, et à être désarçonnée par la structure du récit, ce deuxième aspect me plaît plus que la finance !
RépondreSupprimerJ'ai adoré Au loin, et j'ai donc "évité" ce roman jusqu'ici de crainte d'être déçue, même si sa construction habile m'intrigue pas mal... A voir !
RépondreSupprimerUne belle surprise pour moi, ce roman, d'autant plus que je n'avais pas lu le sommaire.:) Il faut vraiment que je case Au loin. J'espère pour 2025.
RépondreSupprimerj'ai adoré Au loin et je sais que celui ci est différent. Je repousse ma lecture, peut-être 2025 ? mais je confirme qu'il est très bon.
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