"Aliène" - Phoebe Hadjimarkos Clarke
"Les rogatons de chair accrochés à la gueule d’Hannah exhalent une odeur fade et chaude, et Fauvel, malgré ses longues années de végétarisme, comprend presque l’attrait qu’il peut y avoir à plonger ses crocs dans une viande vivante."
La première aborde la trentaine, et elle est hantée par une peur qui l’habite depuis si longtemps qu’elle a fini par constituer une sorte d’ossature à sa personnalité. L’agression policière qu’elle a récemment subie lors d’une manifestation a ravivé ses angoisses, en plus de lui avoir coûté un œil. Elle ne supporte plus l’agressivité urbaine, se méfie des hommes et de la possibilité permanente de leur brutalité. Aussi, quand son amie Mado lui propose d’aller garder la chienne de son père, qui part pour un long voyage, dans la maison de campagne de ce dernier, elle se dit que c’est l’occasion d’un répit, au vert.
Le premier contact est froid. La chienne se montre peu avenante, voire effrayante : c’est un molosse, et le fait de savoir que l’animal est le clone d’une précédente Hannah adorée par son maître le dote d’une singularité malaisante. Au fil du séjour de Phoebe à Cournac, une relation de plus en plus fusionnelle se noue pourtant entre l’humaine et la bête, pendant que d’étranges et inquiétants événements se produisent dans la forêt environnante. Un jeune chasseur du coin, sorte de Dom Juan cruel et cynique, dont Hannah a agressé le chien, y rôde comme une menace. Des cadavres d’animaux sauvages sont retrouvés mutilés, les villageois soupçonnant l’effroyable clone d’être à l’origine de ces boucheries. Et pour couronner le tout, des rumeurs courent sur la présence d’extraterrestres…
Phoebe Hadjimarkos Clarke à la fois nous ensorcelle et joue avec nos nerfs.
Ode à l’intensité quasi mystique d’un monde sauvage que nous avons perverti, "Aliène" est nourri d’une sensorialité trouble et vénéneuse, invoque des sensations paradoxalement décuplées et trompeuses, une conscience exacerbée du corps, de ses organes et de ses muqueuses, de ses productions dont l’abondance fait écho à la dimension suintante d’une forêt éminemment vivante, gorgée de sèves, de sucs, de fluides… L’évocation récurrente de l’imminence d’un danger imprécis mais terrifiant dont la concrétisation se dissout dans une ellipse ou le réveil de Phoebe, qui le rêvait, entretient par ailleurs une tension permanente. La confusion, volontaire, entre homme et animal, mais aussi entre réalité et cauchemars ou fantasmes, fait qu’on ne comprend pas tout, mais cela n’a aucune importance : l’envoutement est total.
C’est un texte virtuose, porté par une langue souple, inventive et moderne, qui entremêle naturellement argot et lyrisme, se permet une crudité qui ne verse jamais dans la lourdeur…
Un grand coup de cœur !
Fauvel ou Phoebe? Pas trop pour moi, en tout cas. ^_^
RépondreSupprimerL'écriture pourrait pourtant te plaire...
SupprimerTrès curieuse de ce titre qui a pas mal divisé mes copines lectrices de la librairie où je suis bénévole, On me l'a prêté et il attend ma lecture depuis plusieurs mois maintenant ... Ton avis va le sortir de l'étagère !
RépondreSupprimerQu'il divise ne m'étonne pas... j'ai personnellement trouvé que l'auteure se risquait à des mélanges curieux, avec un résultat certes surprenant, mais surtout très réussi. Elle pose un univers singulier, qui nous semble à la fois étrange et concret, familier et onirique, et mêle plusieurs genres sans s'enfermer dans aucun. Même l'écriture entremêle des éléments a priori incompatibles, et pourtant tout est fluide, et crédible.. très fort, vraiment...
SupprimerIl est dans ma PAL. Je le regarde régulièrement et j'ai un peu d'appréhension à me lancer.
RépondreSupprimerAu mieux, tu seras emballée !! (et sinon, tu as toujours la possibilité de jeter l'éponge en cours de route...).
Supprimerah bizarrement tout ce que tu en dis me rebutes ! mais ravie de te voir crier au coup de coeur, on recherche tous ça !
RépondreSupprimerMoi qui pensais éveiller au moins la curiosité...
SupprimerCa ressemble assez à un bouquin pour moi, non ? Je le note...
RépondreSupprimerTout à fait !
Supprimeroups, je vois bien que tu as eu un gros coup de cœur mais les mots "rogatons", "viande" , "organe", "fluide" ... me tiennent définitivement à distance.
RépondreSupprimerCe n'est pas un peu glauque ?
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