"Dem" - William Melvin Kelley

"Chaque fois qu’il croisait un Noir, son cœur cognait sous son manteau. Il poursuivait son chemin en espérant que l’homme ne le suivait pas."

New York, années 1960.

Nous suivons le quotidien du couple que forment Mitchell et Tam, au gré d’épisodes hétéroclites, et empreints d’une étrangeté souvent malaisante. Le récit se dote même parfois d’une tonalité à la fois macabre et vaguement absurde, mais je ne vous en dis pas plus, je ne voudrais pas gâcher l’effet de surprise (voire l'effarement) que suscitent -volontairement- certaines scènes… 

Assez vite en tous cas, le lecteur est acquis au fait que nos deux héros, ainsi que la plupart de ceux qu’ils fréquentent, sont de détestables personnages. Les conversations sont émaillées de réflexions racistes ou, selon les interlocuteurs, sexistes. Incapables de remettre en cause leur système de pensée, ils adaptent la réalité, quitte à la tordre, aux préjugés dont ils sont pétris. 

Tout semble leur réussir, ils vivent dans un bel appartement qu’entretient leur bonne noire -une perle-, qui s’occupe par ailleurs de leur petit garçon. Et pourtant, Mitchell en est conscient, leur couple vacille. Tam, enceinte, est de plus en plus distante, ne semble plus éprouver de désir pour lui. 

Des péripéties plus ou moins loufoques, mais d’une ironie et d’une cruauté constantes, ponctuent l’intrigue. L’auteur joue sur beaucoup sur l’incongruité des réactions de ses personnages face aux événements, et invite le lecteur à se repaitre l’impuissance croissante du pathétique Mitchell, aussi couard que méchant, à gérer des situations qui remettent en cause des certitudes et la légitimité jusqu’alors jugée inamovible de son mode de vie.

Dressant le portrait d’une Amérique prisonnière de son héritage esclavagiste, William Melvin Kelley pointe la violence institutionnelle de ses inégalités raciales et insiste sur l’incommunicabilité qu’elle a instaurée entre les communautés blanches et noires, en même temps qu’il étrille la bêtise et la perversion de ceux qui en tirent profit.

Féroce et drôle (et ne lisez pas la quatrième de couverture !).


Commentaires

  1. "Féroce et drôle", là, tu m'as ferrée !

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    1. Comme Un autre tambour, c'est un titre surprenant par son ton et son intrigue, et une manière originale, là aussi, d'aborder la ségrégation. Et on est en même temps dans un registre différent, l'auteur s'adonnant ici à un humour noir, mêlant grotesque et cruauté..

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  2. Féroce et drôle, ça m'intéresse. C'est noté.

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    1. Oui, c'est à la fois cinglant et cocasse... l'intrigue est un peu foutraque, on passe d'un épisode à l'autre de manière parfois abrupte, mais ce n'est pas gênant, il y a tout de même un fil conducteur..

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  3. Voilà qui semble très différent du précédent (que, je persiste, tu racontes très bien !) : tu vas lire toute son oeuvre ?
    (Mon com' ne part pas ce matin, 7 h 25)

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    1. J'ai, je crois, une petite préférence pour Un autre tambour, mais j'ai vraiment apprécié la capacité de l'auteur à varier son approche, sur un même sujet. Les contextes sont également différents : on passe de la ruralité sudiste à New York, pour faire le constat que, bien que s'exprimant de manière un peu différente, le racisme est tout autant présent en ville qu'à la campagne, dans le nord que dans le sud.. et non, je ne vais pas lire toute son œuvre, même si cette expérience m'a donné envie de revenir, plus tard, vers cet auteur. Les deux m'ont été offerts par mon conjoint : d'abord Dem, puis il s'est rendu compte que c'était Un autre tambour qu'il voulait en réalité m'offrir :)

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  4. j'aime bien l'idée de lire des personnages racistes aux USA car d'habitude les écrivains sont de l'autre côté de ce sentiment qui est si largement partagé dans ce pays, mais je me doute que la situation se renverse , je lirai donc la quatrième de couverture ou le dernier chapitre pour en être certaine.

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    1. Oh mais non, il faut le lire dans l'ordre, et sans avoir pris connaissance de la 4e de couv, ni d'autres billets sur ce titre, la plupart dévoilant le "nœud" de l'intrigue, qui survient aux deux tiers du livre ! Sinon tu perds tout l'effet de surprise..

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  5. Voici donc ta deuxième lecture de W M Kelley !
    "Incapables de remettre en cause leur système de pensée, ils adaptent la réalité, quitte à la tordre, aux préjugés dont ils sont pétris." Tu décris bien un genre de personne qui prend de plus en plus de place dans l'espace public... malheureusement. Je note et promis, je ne lirai pas la quatrième de couverture !

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    1. ET c'est intéressant de le lire après Un autre tambour, l'auteur variant son approche du sujet.. je suis curieuse de ton avis sur celui-là, du coup.

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  6. Cet African-american historique month est décidément l'occasion de belles découvertes. Je ne connaissais pas l'auteur, que je note avec gourmandise. Dommage que j'ai raté l'événement de ce mois-ci, mais trop de choses à lire (dont un "petit" Roth à finir)

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    1. Tu pourras te rattraper l'année prochaine : tu trouveras chez Enna une bibliothèque géante de suggestions de lectures sur la thématique. Et j'ai hâte de voir de quel Roth il est question !

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  7. Ta présentation est pour le moins intrigante et séduisante. En me renseignant sur l'auteur, que je ne connaissais pas, j'ai vu que le roman date de 1967. Le style ne semble pas avoir pris une ride et comme le propos est (malheureusement) toujours d'une brûlante actualité, je vais me laisser tenter.

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    1. Le titre a en effet très bien vieilli, en grande partie grâce à une écriture sans fioritures, et à son humour cinglant qui vire parfois au gore.. On pense de temps en temps à Tarantino...

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  8. Comme toi j'ai aimé Un autre tambour alors si je le croise je me laisserai sans doute tenter !
    Merci pour cet avis!

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    1. N'hésite pas, d'autant qu'il permet de profiter d'une autre facette du talent de l'auteur.

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  9. Il avait failli atterrir dans ma PAL celui-là suite à une expédition librairie, le titre m'avait interpelée, mais comme je préfère lire en VO, le projet était de le prendre en numérique. Ce que je n'ai toujours pas fait ! Merci pour le rappel.:)

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  10. Intriguant… je pense être plus tentée tout de même pas Un autre tambour, que je n’ai toujours pas lu.

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    1. J'ai une petite préférence pour Un autre tambour, dont la structure narrative est à mon avis mieux maîtrisée.

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  11. Une de plus terriblement intriguée :) Je ne lis presque jamais la 4e de couverture, ça ira, donc... il ne reste plus qu'à trouver le livre.

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    1. Je suis ravie de donner envie de lire cet auteur injustement méconnu...

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  12. Tu titilles ma curiosité avec cet auteur et je te rassure, je ne lis jamais les quatrième de couverture et ça m'arrive cependant de le regretter :)

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    1. Disons qu'ici elle annonce un rebondissement qui survient à plus de la moitié du livre (comme de nombreux billets que j'ai lus), ce qui est bien dommage...

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  13. Je ne connaissais pas mais le ton a l'air percutant et le roman semble nous immerger dans une Amérique de la bêtise pour mieux la critiquer. Bref, je note :)

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    1. C'est tout à fait ça, et il y a en plus un aspect presque horrifique qui parachève l'originalité du texte.

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  14. Ah, je n'avais pas fait attention au fait que c'était le même auteur! C'est très fort de prendre autant son propre contrepied. Le côté tarantinesque n'est peut-être pas ce qui me plaira le plus, mais la férocité devrait l'emporter !

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    1. Il y a surtout une scène, vers le début, qui surprend par sa brutalité et son manque (volontaire) de crédibilité. Moi j'aime bien ce genre de surprise, mais je te rassure, tout le roman n'est pas à l'avenant !

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  15. Macabre, absurde et ironique, ça pourrait me plaire !

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    1. Je suis extrêmement tentée ! J’aime les romans teintés d’absurde !

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    2. (C’était Une Comète)

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    3. Alors il devrait te plaire, par moments il est même complètement déjanté !

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  16. Entre ton premier paragraphe, où je me suis dit "pas pour moi", et le dernier où je me dis "mais ça a l'air excellent", tu me fais faire une sacré pirouette. Mais pourquoi dis-tu qu'il vaut mieux lire Un autre tambour avant celui-ci ?

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    1. Tu fais référence à ma réponse à Kathel ? Ce que je voulais dire, c'est que c'est intéressant de lire les deux, peu importe l'ordre, mais comme elle a déjà lu Un autre tambour...

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