"Des poignards dans les sourires" - Cécile Cabanac

"- Ils sont étranges dans cette famille, hein ?
- Imprévisibles, surtout…"

Désireuse de quitter Paris pour tenter de digérer l’échec de son mariage, la capitaine Virginie Sevran a demandé sa mutation à la SRPJ de Clermont-Ferrand. C’est la fin de l’hiver lorsqu’elle s’y installe, mais la neige y est encore abondante. Sa première enquête ne lui laisse guère le temps de se poser. 

François Renon, entrepreneur issu d’une famille bourgeoise de la ville, a disparu, ce dont son épouse Catherine semble étrangement peu s’émouvoir. Elle n’a d’ailleurs signalé la disparition, sur l’injonction d’une belle-mère à l’inverse morte d’inquiétude, que très tardivement. Il faut dire que son mari, volage et alcoolique, n’en est pas à sa première escapade. Elle a d’ailleurs trouvé dans ses papiers les preuves de l’existence d’une maîtresse. Aussi, malgré une absence qui s’éternise, plutôt que de remuer ciel et terre pour le retrouver, elle décide de se relever les manches et de reprendre la tête de la petite entreprise que la négligence de François, comme elle le constate en découvrant les dettes qu’il a laissées derrière lui, périclitait. 

On suit la progression de l’enquête au jour le jour, qui révèle à la fois l’ambiguïté des rapports qu’entretenait François avec ses proches, et le nombre anormalement élevé d’individus qui avaient intérêt à lui nuire. Seul son fils Maxime semble sincèrement désespéré par cette disparition dont il rend sa mère responsable. L'entrepreneur n’avait quasiment aucune relation avec ses deux sœurs, maltraitées durant l’enfance par une mère violente et insensible. Et même avec cette dernière, prétendument dévastée par la disparition de ce fils qu’elle a toujours préféré à ses filles, ses relations étaient distendues.

L’enquête exhume certains des secrets de la famille Renon, notamment les malversations, restées impunies, d’un père député dorénavant défunt, et ravive les haines qui couvaient au sein du clan. C’est un univers bourgeois hypocrite et froid, où l’on met tout sous cloche, où l’on évite de parler sentiments non par pudeur mais parce qu’on n’en a pas, où l’on invoque Dieu avec un opportunisme qui confine, bien qu’involontairement, au cynisme.

Pendant ce temps, notre capitaine prend ses marques, découvre avec ses nouvelles fonctions dans ce morne coin de province un monde d’hommes où l’incompétence est souvent proportionnelle à la froide condescendance que lui vaut son statut de femme, sympathise avec une légiste abrupte et sans filtre qui l’encourage à ne pas se laisser marcher sur les pieds.

La progression de l’intrigue policière, lente et minutieuse, ne suscite pour autant aucun ennui, joue sur l’ambivalence des jeux de domination et sur la tromperie des apparences. C’est bien ficelé, l’auteure multiplie habilement les pistes, et nous achemine doucement mais sûrement vers l’inattendu dénouement final.

Commentaires

  1. Intéressant, je ne connais pas du tout et j'adore le titre.

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    1. C'est une découverte pour moi aussi, je ne connaissais pas cette auteure, rencontrée sur un salon, et à vrai dire c'est mon conjoint qui a acheté ce titre, qui ne me tentait pas. Son enthousiasme suite à sa lecture m'a incitée à tenter... sans regrets !

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  2. Ma bibliothèque l'a mais il n'est pas empruntable ! va savoir pourquoi ... par contre il y a quatre autres titres. Je tenterais bien pour voir son style.

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    1. Le style est plutôt classique, mais efficace sans être simpliste. J'ignore ce que valent ses autres titres, mais je vais m'y intéresser aussi...

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    2. En allant récupérer le lien du billet de Fabienne sur ce titre pour Keisha, je constate qu'elle en a lu un autre, qu'elle a beaucoup aimé aussi : https://livrescapades.com/2020/11/11/requiem-pour-un-diamant-cecile-cabanac/

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    3. Merci pour le lien ; je vais me pencher de plus près sur cette autrice.

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  3. Pareil, connais pas, alors pourquoi pas?

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    1. Oui, c'est une chouette découverte. J'ai depuis trouvé à son sujet un billet enthousiaste chez Fabienne : https://livrescapades.com/2020/08/26/des-sourires-dans-les-poignards-cecile-cabanac/

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    1. Oui, très bon même. Les personnages sont bien campés, l'enquête habilement déroulée..

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  5. Le milieu bourgeois et hypocrite qu'explore ce polar me tente bien. Si en plus, le dénouement réussit à nous surprendre, c'est parfait.

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    1. L'intrigue se focalise en effet sur cette famille Renon, dont certains membres sont odieux... un très bon roman !

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  6. On l'aurait bien vue chez Chabrol, cette famille bourgeoise... Je ne connais pas encore l'autrice, je prends note.

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    1. C'est exactement ce que j'ai pensé à la lecture, il y a vraiment du Chabrol dans la description de cette bourgeoisie provinciale ! Je pensais d'ailleurs l'avoir mis dans mon billet mais non...

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  7. sujet intéressant et visiblement l'écriture t'a beaucoup plu , mais c'est quand même un polar alors j'hésite .. (Pour Aifelle à ma médiathèque, il arrive que les livres ne puissent pas être empruntés le temps que le club de lecture les lise, c'est peut être ton cas ?)

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    1. J'ai en effet aimé ce titre, qui bénéficie, je trouve, d'un bel équilibre entre contexte social, mise en scène des personnages, et enquête policière.

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  8. Ton écriture me fascine, Ingannmic. Toutefois je n’ai pas apprécié ce roman autant que toi.

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    1. C'est gentil :).. je suis allée lire ton billet, nous n'avons en effet pas retiré du tout le même sentiment de cette lecture !

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  9. Un roman qui pourrait me plaire. La description du milieu bourgeois me semble des plus pertinentes.

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    1. C'est un des points forts du récit..il faut dire que pour représenter cette bourgeoisie provinciale, l'auteure a choisi un personnage particulièrement repoussant...

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  10. Il faut absolument que je me remette à lire plus de thriller / polar, cela redonnera peut-être du peps à mon rythme de lecture toujours pas folichon

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    1. Les polars sont en effet souvent un bon remède aux pannes de lecture, à condition de tomber sur un titre suffisamment prenant. C'est le cas de celui-là !

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  11. J'ai fait le plein de polars hier ( et oui, j'ai craqué mais c'était pour la bonne cause, une de mes amies vient d'ouvrir sa librairie ...) mais je note quand même ce titre qui, en ce qui me concerne, me fait penser à du Simenon ... Mais Simenon et Chabrol sont souvent bien proches !

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    1. Quelle chance d'avoir une amie libraire (tant pis pour la pile...) ! Ta référence à Simenon est tout à fait juste, concernant l'atmosphère de ce titre, dont l'écriture est toutefois moins "sèche" que celle du maître...

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