"Zola à bicyclette - Libre et dans le vent" - Jean-Paul Vespini
"À bicyclette, je vis dans le vent, je ne pense plus et rien n'est d'un aussi délicieux repos."
Zola amène sa bicyclette à Médan, où il a sa maison de campagne, et en commande une deuxième pour Jeanne, sa maîtresse de vingt-sept ans sa cadette, qu’il installe pour l’été à Verneuil, et qu’il pourra ainsi aller visiter à vélo… Sa femme Alexandrine préfère quant à elle le tricycle.
Cette acquisition est-elle une lubie de l’auteur des Rougon-Macquart (dont il vient de terminer le cycle) ? A vrai dire, son médecin la lui a conseillée pour lutter contre l’obésité. Et puis, en visionnaire, il a toujours pressenti que la sédentarité détraque le corps, prônant l’activité physique à une époque où la majorité des intellectuels la honnissent. Mais, et Emile ne l’avouera pas, une autre raison, secrète, a motivé cet achat…
Toujours est-il qu’il se prend bientôt de passion pour son engin, effectuant régulièrement les trente-quatre kilomètres qui séparent Paris de Médan, cherchant la difficulté en empruntant les itinéraires les plus pentus, bravant le vent et la pluie. Contrairement à la marche, dont la pratique n’entrave pas la pensée, pédaler le soulage de tout effort intellectuel, et l’éloigne de ses soucis, sa double vie amoureuse qui le tiraille, ses échecs à l’Académie…
Il se forge ainsi, sans le vouloir, une réputation de spécialiste, est sollicité pour devenir membre d’honneur du Touring Club de France.
Il faut dire que l’époque est à la ferveur cycliste. L’automobile n’étant pas encore démocratisée, la liberté qu’offre la bicyclette bouleverse le siècle. On voit fleurir les vélos-écoles où l’on apprend à pédaler et tenir l’équilibre dans de ce qu’on appelle, comme en équitation, des "manèges". Chacun a sa spécialité, certains sont fréquentés par les dames de l’aristocratie, d’autres par les artistes… il en existe même un pour les aveugles ! La petite reine -qui ne porte pas encore ce nom, il y a d’ailleurs tout un nouveau vocabulaire à inventer autour de cette nouvelle tendance...- est réputée soigner toutes les maladies, notamment la neurasthénie, mal du siècle s’il en est.
(Zola & et les enfants qu'il a eus avec Jeanne)
La bicyclette, c’est aussi toute une philosophie, que s’est bien appropriée Zola, qui y voit un bienfait social et un symbole d’émancipation, notamment pour les femmes, dont on découvre qu’elles pédalent aussi vite que les hommes, les plus affranchies osant même le faire en pantalon !
Les usines de bicyclettes se multiplient, non seulement en France mais aussi outre-Manche et outre-Atlantique où l’on en compte, avec la démesure coutumière aux Américains, plus de huit-cents. Et pour vendre ces machines, en prouver la solidité, on n’hésite pas à se lancer dans d’insensés défis, comme cette course de 1200 kilomètres entre Paris et Brest, organisée en 1891. Bientôt les facteurs distribuent le courrier à vélo, les ouvriers l’enfourchent pour se rendre au travail.
Octave Mirbeau, Alphonse Allais, Jules Renard, Georges Feydeau, Clémenceau, Maurice Leblanc, pour qui le vélo augmente l’homme en perfectionnant son corps, et qui peut parcourir jusqu’à 200 kilomètres en une journée… tout le monde pédale, même les rois et les reines.
Et quand survient l’affaire Dreyfus, Zola s’y impliquant de la manière que l’on sait, le vélo a là aussi son rôle à jouer, les reporters qui la suivent au palais de justice s’assurant les services de cyclistes pour acheminer leurs comptes-rendus.
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