"Pantagruel" - François Rabelais
"Quand tu mettras ton nez dans mon cul, dit panurge, n’oublie pas d’enlever tes lunettes."
Le "Pantagruel" de Rabelais, écrit en 1532, figure dans le second (Lettres Classiques), et était également présent, par un heureux hasard, dans l’une de mes piles (celle que je garde pour ma retraite, qui compte entre autres une édition quarto Gallimard bilingue regroupant Les cinq livres des faits et dits de Gargantua et Pantagruel).
J’ai entamé ce texte un peu intimidée, et avec quelque appréhension quant à son accessibilité… j’ai vite été rassurée, notamment grâce au travail des traducteurs qui ont converti la langue de Rabelais en français moderne. Sans doute ai-je lu, à l’occasion de mon cursus scolaire, des extraits de Pantagruel ou de Gargantua, mais j’avoue n’en avoir pas gardé grand-chose. J’avais simplement en tête la dimension épicurienne et vaguement gaillarde à laquelle on associe l’auteur. Vaguement gaillarde… j’étais loin du compte ! Si j’osais, je qualifierais François Rabelais d’obsédé sexuel, dont la lourdeur devient vite assez pénible… Membres démesurés, braquemarts dont on vante la vigueur et la constance, mais aussi plaisanteries scatologiques (le narrateur semble prendre un grand plaisir à décrire excréments et flatulences) abondent dans le récit, qui heureusement contient d’autres aspects plus intéressants et plus plaisants.
C’est plus précisément un certain Alcofribas Nasier (anagramme de François Rabelais) qui nous conte les "faits et prouesses épouvantables" -ainsi que le précise le sous-titre- de Pantagruel, de sa naissance à sa vie de jeune homme.
Fils du géant Gargantua, qui l’a engendré alors qu’il était âgé de 484 ans, et de Badebec, ses proportions gigantesques ont coûté la vie à cette dernière, qui n’a pas survécu à l’accouchement. Sa fantastique croissance s’accompagne de l’acquisition d’une force surpassant celle d’Hercule, qui n’a plus qu’à aller se rhabiller… quand Pantagruel, par exemple, tête une vache (il faut ça pour alimenter le colossal nourrisson), c’est presque par inadvertance qu’au passage il lui dévore une partie de la chair et des organes…
(Oui, ce n’est pas que grivois, c’est souvent gore, aussi…)
Sont ensuite évoquées les pérégrinations de Pantagruel étudiant à travers la France, son père l’exhortant à s’instruire tout en plaçant par-dessus tout l’amour et la crainte de Dieu, puisque (et c’est là que l’on retrouve la fameuse maxime) "science sans conscience n’est que ruine de l’âme". Il est accompagné de quelques compagnons, dont son précepteur Epistémon, et surtout Panurge (celui des moutons, mais l’épisode qui se rattache aux ovins figure dans un autre texte), qu’il "prend en amour" dès qu’il fait sa connaissance. Il faut dire que bien que d’aspect misérable, ce joyeux luron fait preuve d’une faconde réjouissante, et que c’est un grand malin qui n’aime rien tant que faire les quatre cents coups…
S’ensuit une succession d’épisodes où nos héros résolvent toutes les situations avec une facilité déconcertante, faisant aboutir un procès dans lequel sont empêtrés les hommes de loi, sortant vainqueurs d’un débat pseudo-philosophique mené en langue des signes, ou mettant fin à la guerre menée contre Utopie, contrée maternelle de Pantagruel. Qu’il s’agisse de raisonner ou de combattre, tous leurs subterfuges -y compris les plus absurdes- triomphent.
La satire est évidente, l’auteur fustige avec un humour féroce et souvent grivois entre autres les romans de chevalerie, la religion -on apprend notamment que les femmes d’Avignon "jouent volontiers du serre croupière" car elles vivent en terre papale-, une institution judiciaire dont les circonvolutions langagières et les lourdeurs administratives interdisent tout bon sens, ou encore un ordre social inique…


Il y a près d'un an j'ai acheté gargantua, en édition 'bilingue' ^_^, mais toujours pas lu!!!
RépondreSupprimerJ'attendrai un peu avant de lire Gargantua...
SupprimerUn petit choc culturel en ouvrant ce livre... C'est un autre monde.
RépondreSupprimerTu ne dis rien de la langue (il faut dire qu'on peut être assommé et un peu perdu devant ces histoires sans queue ni tête, enfin, si avec beaucoup de queues justement) : j'ai eu l'impression qu'elle renvoyait les surréalistes au statut de petits enfants en comparaison. Mais à la réflexion, je me dis que c'est peut-être plus marqué dans Gargantua, qui est peut-être moins farcesque en comparaison.
Oui, tu as raison, sans doute parce que comme tu le soulignes, on est un peu déstabilisé, voire dépaysé, aussi bien par le contenu que par la forme... et j'ai été surprise par la liberté totale que s'est autorisée l'auteur. Ton commentaire me rend curieuse du Gargantua, que je ne lirai pas tout de suite, mais que je vais tout de même feuilleter un peu...
SupprimerJe comprends ta première appréhension, j'aurais eu la même. au final, ça a été une lecture sympathique.
RépondreSupprimerJ'ai vu ce texte comme une véritable curiosité au final. La liberté de ton, les inventions formelles de l'auteur sont surprenantes...
SupprimerBonjour Ingrid! De très anciens souvenirs de lycée pour moi, pour ce livre... mais plutôt bons, dans le genre qui fait rire (gras) et réfléchir. Bonne semaine à toi!
RépondreSupprimerBonjour Daniel, je pense que je garderai un souvenir assez net de cette lecture, qui s'est révélée frappante... un choc culturel, comme l'écrit très justement Nathalie !
SupprimerHou la la ! Tu me renvoies à ma prime jeunesse….. Honnêtement je ne sais pas si j’ai lu ce roman ou pas. Bien sûr j’en ai étudié de multiples extraits à l’école mais après ? Ca peut néanmoins être une bonne occasion de lecture ?
RépondreSupprimerOui, d'autant plus qu'il est relativement court, et se lit assez facilement, les aventures s'y déroulent en deux temps trois mouvements !
SupprimerQue de souvenirs... quand j'ai préparé l'agrégation, "Le Tiers Livre" était au programme, en français du 16e siècle bien sûr. J'ai tout lu à l'époque mais j'en serais incapable aujourd'hui...
RépondreSupprimerJ'ai dans mon ouvrage les deux versions, mais je ne me serais pas aventurée dans celle en ancien français !
SupprimerJ'en ai relu des extraits avec plaisir lorsque mon fils travaillait dessus au lycée.
RépondreSupprimerCela ne m'étonne pas, au-delà de l'humour "gras", c'est assez réjouissant à lire !
SupprimerJe n'ai jamais lu le texte intégral seulement un texte abrégé dans les classiques abrégés de l'Ecole des Loisirs si mes souvenirs sont bons avec j'imagine les passages grivois ou trop gores un peu édulcorés je pense :) en tous les cas c'est un classique à découvrir. Je me souviens des extraits en vieux français découverts en cours, c'était pas évident à comprendre ! Merci de nous le présenter, je ne suis pas trop tentée pour l'instant.
RépondreSupprimerIntéressant ton commentaire, sur l'édulcoration du texte... je me dis qu'aux Etats-Unis, ce texte serait non seulement censuré, mais probablement brûlé....
SupprimerUn chef d'oeuvre! La lecture n'en est pas toujours des plus aisée cependant, même dans la translation que tu présentes. Il faut s'accrocher. Et c'est encore plus vrai des volumes suivants.
RépondreSupprimerJ'avoue avoir survolé certains passages, oui... et ce que tu dis des volumes suivants m'effraie un peu...
SupprimerJe ne sais pas si ta chronique me donne envie de (re ?) découvrir ce monument mais elle est fort rondement menée !
RépondreSupprimerCe texte ci est assez court, et relativement accessible... ceci dit, je doute de le relire un jour...
SupprimerRavie qu'il ait été sélectionné et de pouvoir lire un avis dessus car il faisait partie des titres envisagés de mon côté, avant de reculer par manque de temps (et pour cause d'intimidation, je l'avoue, face à un classique aussi étonnant et éloigné de mes lectures habituelles). J'ai un peu peur de passer à côté de ce texte... Mais apparemment, il reste lisible même sans un solide appareil d'analyse annexe ?
RépondreSupprimerSa forme (et la traduction) le rend en effet accessible, et la plupart des références littéraires, philosophiques..., sont précisées par des notes de bas de page claires et succinctes. Après, certaines subtilités m'ont forcément échappé.
SupprimerC'est connu, bien sûr, mais je ne l'ai pas lu et je ne le lirai sans doute jamais.
RépondreSupprimerCe n'est pas une obligation...
SupprimerVoilà typiquement une œuvre que tout le monde "connaît". Mais combien l'ont lue en entier ? Pas moi en tout cas lol
RépondreSupprimerJe ne suis pas sûre d'avoir très envie de lire Pantagruel après ta chronique. Et puis l'ancien français, ce n'est pas ma tasse de thé...
Ce livre a cependant le mérite d'être le moins cher des livres sélectionnés pour l'agrégation :-)
Je ne l'ai pas lu en ancien français, j'en aurais été bien incapable ! Et je ne suis pas sûre que son prix modique suffise à multiplier le nombre de ses lecteurs !!
SupprimerWow bravo pour cette lecture ! C'est en effet une très bonne idée de classique à caser pour combler ses lacunes, mais j'avoue qu'aujourd'hui, je n'en ai plus vraiment envie.:)
RépondreSupprimerJe n'ai pas trop de mérite, comme précisé ci-dessus, il est plutôt court, et certains passages sont constitués de longues énumérations que l'on survole assez vite...
SupprimerJe ne suis vraiment pas tentée ; je ne pense pas que je passerais le cap de l'obsédé sexuel !
RépondreSupprimerJ'avoue que cet aspect est franchement agaçant... mais il y a aussi beaucoup de drôlerie, et la satire est savoureuse (bien qu'assez lourde aussi)..
SupprimerJ'ai passé beaucoup de temps avec Rabelais lors de mes études et je n'ai pas détesté mais je ne me vois vraiment pas y retourner maintenant.
RépondreSupprimerJe comprends. Je ne regrette pas ma lecture, mais j'attendrai un peu avant de revenir éventuellement vers l'auteur.
SupprimerMais quand même, je me dis que pour aborder la liberté d'expression avec des élèves, c'est un exemple très parlant ..
lu il y a longtemps, j'en garde plutôt un bon souvenir
RépondreSupprimerJe crois qu'avec le recul, c'est surtout la grande liberté de ton et l'humour féroce que j'en retiendrai...
SupprimerJe l'avais lu et étudié au lycée et c'est l'un des rares livres obligatoires que j'avais détestés. Il faudrait que je retente car je pense qu'à l'époque, la forme m'avait trop rebutée pour que je reconnaisse les qualités du fond.
RépondreSupprimerLa traduction fait sans doute beaucoup quant à la facilité à s'approprier ce texte... je crois que celle de mon édition est très récente. Je serais curieuse de ton avis après une relecture...
SupprimerJe ne suis pas tentée mai très heureuse que ce livre existe et soit toujours étudié car, comme tu le dis, la liberté d'expression n'est pas un acquis.
RépondreSupprimerOn a l'impression en lisant ce titre qui a 5 siècles, que par certains aspects, la parole était plus libre qu'en certaines périodes plus "modernes"..
SupprimerTu parles de grivoiserie mais dans cette grivoiserie il y a une imagination débordante, une originalité, une prolixité, une richesse réjouissantes. On sent un amoureux de la langue qui joue sur les mots, qui invente avec une liberté de ton extraordinaire, une créativité lexicale qui a d'ailleurs enrichi la langue française, un humour qui n'exclut ni la férocité, ni la satire, ni les valeurs morales. Allons, avoue que les femmes d’Avignon qui "jouent volontiers du serre croupière" car elles vivent en terre papale-, c'est bien trouvé et cela cible l'hypocrisie religieuse en plein dans le mille.
RépondreSupprimerOui, c'est bien trouvé pour les femmes d'Avignon, et c'est typiquement le genre d'humour que j'apprécie. Et oui, il y a toute une part d'humour subtil aussi dans ce texte qui m'a bien plu. Ce qui m'a agacée, c'est la récurrence de l'évocation de "gros braquemarts" ou de "queues aussi longues que grosses"... (je vais finir par me faire retoquer par blogger...!)...
SupprimerJ'avoue être totalement hermétique à la créativité de la langue de Rabelais, à son humour et à sa fantaisie narrative ! Et ce n'est pas faute de ne pas l'avoir lu ( bien obligée, vu mes études !)
RépondreSupprimerJe crois que c'est l'association du ton et de l'époque à laquelle ont été écrits les textes de Rabelais qui constitue en ce qui me concerne leur principal intérêt...
SupprimerBonjour Ingrid, bravo pour ta chronique. Elle est très intéressante. De mon côté, je ne sais pas... on dirait que ce titre ne m'intéresse pas.Il aurait fallu qu'il soit obligatoire lors de mes études pour que je me lance...
RépondreSupprimerMerci Nathalie. Je comprends que l'on ne lise pas ce titre lorsque n'y est pas obligé !! Mais j'étais tout de même curieuse...
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