"Amiante" - Sébastien Dulude

"La saison avait sécrété tous ses sucs. Le lourd feuillage des arbres bruissait de nonchalance, la faune était grasse. Tout semblait recouvert d’une infime brume de lait. Les vapeurs légères de nos corps transitaient dans l’air, échangées contre les caresses de la brise. La mine se taisait."

Au mi-temps de la décennie 1980, Thetford Mines est la ville phare de l’industrie de l’amiante québécoise, activité qui non seulement sculpte son paysage, mais peut aussi déterminer la manière dont on y vit, dont on y souffre, dont on y joue. Chaque jour de la semaine à 16 heures précises, la sirène de la mine hurle la fin de la journée de travail en même temps que le moment de la faire exploser pour élargir son cratère. Ses montagnes de résidu rocheux, ses collines de poudre grise et de gravier à la fois doux et coupant, sont le terrain de jeu de Steve et de ses camarades. A environ une heure de pédales, l’un de ses terrils (on les appelle ici des dompes) abandonnés, cimetière de pneus de toutes tailles, est "le site de leurs plus féroces délinquances".

Hors de ces parenthèses gentiment transgressives, Steve est seul. Garçon sensible à la larme facile, il est régulièrement pris pour cible par les brutes de son école. Et inutile de chercher réconfort ou protection auprès de ses parents. Son père, autoritaire et violent, serait capable de trouver là l’occasion de lui mettre une raclée de plus, histoire de lui apprendre à être un homme. Quant à sa mère, engluée dans une dépression qui se traduit par d’incapacitants et permanents maux de tête, elle se tient en retrait du monde.

 Jusqu’à ce qu’arrive Charlélie. Dès qu’il le rencontre, Steve sait qu’il est face à "l’ami qu’il cherchait désespérément". Le coup de foudre est réciproque ; les deux jeunes adolescents deviennent vite inséparables. Leur amitié se cimente, s’illumine à l’unisson d’un été de virées à vélo, de cabane dans les arbres à lire des albums de Tintin dont ils connaissent les aventures par cœur ou à compléter le cahier dans lequel ils compilent les articles témoignant des catastrophes qui secouent alors le monde -explosion de la centrale de Tchernobyl et de la navette Challenger, tornades, émeutes provoquées par des hooligans… Steve trouve enfin une consolation à la violence de son quotidien, un intervalle de paix où il peut prendre le temps de sentir son corps s’éveiller à la sensualité, de goûter à la sincérité d’une complicité totale.

Mais la trêve ne dure pas, et lorsque l’on retrouve Steve cinq ans plus tard, il est aux prises avec la culpabilité et le dégoût de soi, tentant de maîtriser ses hantises, de contrer la déstructuration qui le menace en s’adonnant déraisonnablement à la natation, en s’inventant des rituels mentaux qui finissent par devenir compulsifs. 

Le récit se déroule par touches, en succession d’épisodes impressionnistes, suit un fil faussement aléatoire qui tient aux associations entre situations et réminiscences qu’elles convoquent. S’y mêlent pensées et sensations, émotions et événements se teintant de nuances tantôt lumineuses et tantôt obscures.

A lire.


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