"Les mandragores" - Marius Degardin

"Moi, j’ai un petit problème avec l’amour. Je m’en méfie comme des prêtres."

Une partie de la fratrie Cipriani vit dans les vestiges du restaurant que tenaient leurs parents à Paris, l’Amore e Gusto. La mère les a élevés à coup de claques et de galères avant de se faire la malle, dix ans auparavant, et le père n’a quant à lui plus donné de nouvelles depuis la naissance de son benjamin, qu’il a tout de même pris le temps de baptiser Benito, ayant viré fasciste depuis sa participation à la Guerre d’Algérie. 

Benito, qui préfère se faire appeler Benoît, est le narrateur. Il vient juste d’avoir dix-huit ans, et de louper sa tentative de suicide. Il vit avec sa sœur Chiara, une hyper sensible rebelle qui ne supporte pas l’injustice, aide-soignante à la maternité et affublée d’un bec de lièvre, et son frère Piero, musicien dans un lupanar. Piero est aveugle -sans doute une conséquence de l’alcool dans lequel il a baigné pendant neuf mois-, ce qui ne l’empêche pas de peindre des baleines "jusqu’à l’écœurement". Il boit beaucoup, aussi. 

L’aîné, Primo, vit ailleurs. Il a été élevé par le riche aristocrate M. De P., que le père a connu en Algérie, et qui lui avait alors promis d’être le tuteur de son fils. Cela n’a pas vraiment été une chance... Si Primo est devenu un grand violoniste, c’est à coup de brûlures de cigarettes et au prix d’autres sévices dont une simple allusion fait comprendre l’ampleur. Il entretient, au cours de dîners de famille où la fratrie ne mange pas, sinon ses diatribes, la mémoire parentale à coups de haine et de rancune, s'acharnant sur "la carcasse de (leurs) parents absents", avant de donner à ses frères et sœur un peu d’argent pour subsister jusqu’à la prochaine réunion. 

Or, la mère vient d’envoyer une lettre pour prévenir ses enfants de son retour.

Peut-être avez-vous, à la lecture de ce qui précède, soupçonné mon agacement… La plume de Marius Degardin est pourtant portée par une belle énergie, qui mêle la spontanéité et la familiarité de la voix de Benoît à une séduisante éloquence, empreinte d’humour subtil et de lyrisme. Mais c’est aussi une éloquence suspecte de la part d’un narrateur qui, à un moment du récit, appose un X à la fin d’un formulaire à signer… Ceci dit, même avant cet épisode, je n’y ai pas cru. J’ai trouvé l’ensemble "trop écrit", dissonant, révélant l’écrasante intention de l’auteur aux dépens de la véracité de son héros. Quant au contenu, il m’a donné l’impression d’une mixture qui n’aurait pas pris, par excès d’ingrédients trop caractérisés. Toxicité familiale, abus sexuels, alcoolisme, disgrâces physiques, pauvreté, mal-être… tout cela est mis en scène par un cumul bancal de poncifs ou de pseudo (car trop explicites) allusions, auquel s’ajoute une touche de bohême et d’originalité… pour aboutir à une espèce de happy end que j’ai personnellement trouvé incongru… bref, je n’y ai pas cru non plus.

Cela fait tout de même une participation à "Sous les pavés, les pages", la ville, avec ses bruits, ses odeurs, ses dénivelés…, s’insérant naturellement dans le texte à l’occasion, entre autres, des virées cyclistes de Benoît dans les rues de Paris.

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