"Mythologie du .12" - Célestin de Meeûs

"Les grandes fenêtres bleues renvoyaient les rayons obliques du soleil et l’asphalte du parking fondait, formant de petites flaques de goudron noir, nauséabondes, auréolées de halos jaunes, verts et violets (…)" 

Célestin de Meeûs, dans ce texte à la langue aussi souple que précise, fait se rejoindre deux trajectoires que les circonstances vont rendre antagonistes.

Celle de Théo est une trajectoire à venir. Il est à l’aube de sa vie d’adulte. Les résultats du Bac, qu’il vient de passer, décideront de sa poursuite d’études ou de son entrée dans la vie professionnelle. Il préfère pour l’instant éviter de faire des plans sur la comète, même s’il se prend à rêver de départ. En attendant, c’est le premier jour de l’été, plus précisément un début de soirée. Il est avec son pote Max sur le parking d’un centre commercial où ils fument des joints et enchainent les bières avant de rouler au hasard, Max racontant avec fanfaronnade sa beuverie de la veille. Théo l’écoute d’une oreille distraite, son esprit divagant au fil d’incongrus surgissements d’un vague mal-être existentiel, d’une insondable tristesse dont il saisit mal l’origine … 

Rombouts est à l’inverse sur une trajectoire descendante. S’il a « réussi », puisqu’il est médecin, il est loin d’avoir atteint l’envergure dont il rêvait -s’imaginant une carrière américaine marquée par la célébrité-, exerce dans un hôpital de la province bruxelloise. Sa femme, tirant prétexte d’une infidélité sans lendemain, vient de le quitter en emmenant leurs deux fils. C’est un homme aigri et psychorigide, intransigeant envers les faiblesses humaines, bien que son métier l’oblige à composer avec. Il éprouve entre autres une puissante aversion pour les fumeurs, déplore que la jeunesse ait perdu le goût de l’effort et la valeur du travail en se laissant abrutir par les écrans, et méprise tous ceux qui ne rentrent pas dans le moule. Il se console de la médiocrité de sa vie en jouissant de la paix que lui offre sa maison ridiculement cossue, entourée de bois. En cette belle soirée de solstice d’été, un appel de son ex-femme réamorce le sentiment de son échec et une irritation latente qu’un rien peut métamorphoser en violence. Lui aussi se met à boire, non pas des bières, mais du whisky.

Le roman alterne d’abord entre ces deux camps, d’un côté le monologue de Théo, porte-parole d’une jeunesse post-adolescence oscillant entre désœuvrement et amusement et de l’autre, le flux de pensée du quinquagénaire qui rumine son ennui et évite toute remise en question. Puis les deux espaces se rapprochent avant de se confondre, en un mouvement inéluctable et tout en tension, qui confère à l'intrigue une dimension hautement tragique.

Le texte, qui se déroule en longues phrases sans points, est paradoxalement d’une grande fluidité, grâce à l’attention particulière que porte l’auteur à sa précision et à sa musicalité.

En cent cinquante pages d’une intrigue aussi efficace que puissante, l’auteur parvient sans jamais tomber dans la superficialité à poser, comme entre les lignes, un territoire, celui d’un entre-deux entre ville et campagne, décor d’asphalte sans âme, ponctué de bâtisses laides et fonctionnelles, qui s’incarne dans la zone commerciale -lieu de tous les repères-, et à en faire naturellement surgir des questionnements existentiels qui rendent son roman d’autant plus pénétrant.



Commentaires

  1. D'ordinaire je ne suis pas très attirée par ce genre de livre, mais comme il est court... C'est quoi ce .12?

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  2. Bon, c'est pas très joyeux tout ça mais le sujet pourrait m'intéresser. Ce qui me fait peur ce sont les longues phrases sans point.

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  3. ça semble très dramatique, mais bien fait... je crois qu'il est dans ma "petite" bibli de village : à voir !

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  4. Evidemment, je me dis que Théo va avoir un accident et que le médecin va devoir aller à son secours ... Mais tu dis que le roman ne tombe pas dans la superficialité, donc ce doit être autre chose, dont me voici bien curieuse d'ailleurs.
    Et j'ai publié sur Plexiglas, on était donc toutes les deux dans le même type de territoire urbains ...

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