"Dernier cri" - Hervé Commère

"Dans les affaires, on n’assassine pas après, on élimine avant."

Dans une autre vie, Etienne Rozier a été flic. Trouvant ce métier bien peu rémunérateur au vu de l’investissement requis, il est devenu garde du corps pour sommités politiques, avant de se faire engager par des lobbyistes pour lesquels il se charge des basses œuvres, notamment en intimidant les idéalistes susceptibles d’empêcher les puissants de gagner leurs millions en toute impunité. Une reconversion qui ne lui pose aucun problème de conscience, puisque "le monde ne s’en porte pas plus mal", et qu’il s’en met plein les poches… Sa vie personnelle est elle aussi source d’épanouissement. Sa femme Nelly et lui sont les parents d’une lumineuse petite Telma, eue sur le tard, et d’un adolescent un peu rebelle, avec qui la communication est parfois difficile -rien que de très banal, en somme…

Sa vie bascule lors d’une escapade à Rotterdam où il retrouve une ancienne camarade de classe rencontrée quelques jours plus tôt. Devenue journaliste réputée, Anna Dufossé a conservé le charme et l’intelligence qui faisaient d’elle la fille la plus populaire du lycée. Leur aventure est sans lendemain, tient sur la seule nostalgie d’un flirt qui ne s’était alors même pas amorcé. Mais Anna est assassinée dans leur chambre d’hôtel. Conscient que tout l’accuse, Etienne décide de prendre la fuite, et de mener sa propre enquête pour trouver le meurtrier.

Sa cavale l’emmène d’abord dans une ZAD, où il change d’identité, puis dans sa ville natale d’Elbeuf, où la journaliste défunte lui avait dit mener une enquête sur une grande entreprise de nettoyage, au sein de laquelle elle s’était fait embaucher comme femme de ménage (référence assumée au travail de Florence Aubenas). Il intègre à son tour les effectifs de la société en question.

Le récit alterne avec un deuxième parcours, celui de Rafi, un migrant originaire du Bengladesh venu en France gagner l’argent qui permettra de sauver sa sœur des griffes d’un oncle auquel on l’a obligée à se marier.

L’intrigue se déploie ainsi sur plusieurs pans et dans plusieurs contextes (la ZAD, une usine de textile au Bangladesh, une entreprise écoresponsable de vêtements « trop polie pour être honnête ») qui sont pour l’auteur l’occasion d’aborder les questions d’exploitation de la main d’œuvre étrangère voire clandestine, la déréliction des villes touchées par la délocalisation de leurs activités industrielles, ou encore les ravages écologiques occasionnés par la mondialisation des marchés…

La ville d’Elbeuf, dont est originaire l’auteur, y occupe une place prédominante (c’est ce qui m’a d’ailleurs incitée à acheter ce livre, à l’occasion d’une rencontre avec Hervé Commère sur un salon). Lorsque le héros y revient, il n’y a pas remis les pieds depuis ses jeunes années. Il a toujours considéré Elbeuf comme une ville que l’on quitte, dont les habitants souffrent d’un complexe d’infériorité entretenu par les préjugés soi-disant véhiculés par ceux de Rouen, grande ville voisine regardant de haut des Elbeuviens considérés comme des ploucs. Il y constate les témoignages de la grandeur déchue de l’ancienne cité drapière, dont les grandes demeures bourgeoises ont été reconverties en salles à louer, en EHPAD, ou en centres de formation. Toutefois, les rencontres qu’il y fait l’amènent peu à peu à revoir son jugement sur cette ville ou beaucoup font aussi le choix de rester…

Je découvre Hervé Commère avec ce titre, et je dois dire que la rencontre est peu concluante. Le roman est empreint d'intentions, sans doute fort louables, mais qui transparaissent de manière trop évidente, qu’il s’agisse de sa volonté de réhabiliter son personnage principal (en démontrant, après en avoir fait un individu fort peu sympathique, qu’il est capable d’empathie et de solidarité) ou d’exprimer ses considérations sur l’état du monde. Chaque occasion d’évoquer à partir de l’intrigue une problématique générale -politique ou sociale-, est prétexte à une explication souvent didactique, qui alourdit le texte. J’ai par ailleurs eu du mal avec le dénouement, qui m’a paru invraisemblable. Les pièces que constituent les différents pans du récit certes s’emboitent, mais un peu au forceps, laissant l’impression d’un puzzle un peu tordu…

Une déception, donc.


Et c'est ma dernière participation à l'édition 2025 de Sous les pavés, les pages.

Commentaires

  1. Je n'ai jamais encore eu envie de lire cet auteur... pas grâce à un flair infaillible, mais parce que je n'ai pas lu d'avis qui m'a tentée ! :)
    Rien à changer aujourd'hui donc !

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  2. Je suis rouennaise donc la partie elbeuvienne aurait pu me motiver, mais vu ton avis final, je ne pense pas me lancer.

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  3. Les thématiques m'auraient vraiment intéressée, mais ton dernier paragraphe est rédhibitoire !

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  4. Dommage car les thèmes semblaient intéressants mais comme on est dans un roman et pas un essai, il est vrai qu'on est en droit d'attendre qu'ils soient intégrés à l'histoire et non assénés sans subtilité. Quant au protagoniste, je reconnais qu'entre sa reconversion et sa tromperie, il ne me semble guère attachant.

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