"En attendant les barbares" - John Maxwell Coetzee
Quand les barbares ne sont pas ceux que l'on croit...
La lecture d'"En attendant les barbares" m'a par moments évoqué celle du "Désert des tartares" de Dino Buzzati. En effet, l'action du roman de John Maxwell Coetzee se déroule en un lieu, la Cité, dont les habitants (les colons) attendent, en vain, une éventuelle attaque des indigènes (les barbares). Cette attente, comme dans le roman de Dino Buzzati, finit par prendre un caractère irréel, symbolique.
La lecture d'"En attendant les barbares" m'a par moments évoqué celle du "Désert des tartares" de Dino Buzzati. En effet, l'action du roman de John Maxwell Coetzee se déroule en un lieu, la Cité, dont les habitants (les colons) attendent, en vain, une éventuelle attaque des indigènes (les barbares). Cette attente, comme dans le roman de Dino Buzzati, finit par prendre un caractère irréel, symbolique.
Mais à la différence de l'auteur italien, qui exploite cette morne expectative comme prétexte à une réflexion sur la fuite du temps, il m'a semblé que l'objectif de John Maxwell Coetzee était d'amener son lecteur à un questionnement d'ordre plus conjoncturel et sociétal, portant notamment sur la légitimité morale de l'expansion coloniale, et sur les dérives du pouvoir.
Autre point commun entre les deux œuvres : l'absence de référence spatio-temporelle qui permettrait de situer historiquement ou géographiquement le récit. Nous savons simplement que l'action se déroule au sein de l'Empire, dans une ville fortifiée aux portes d'un désert. De même en ce qui concerne les protagonistes, qui ne sont pas désignés par leur nom mais par leur fonction ou l'une de leurs caractéristiques.
Le personnage principal, entre autres, est le Magistrat. Il ressemble assez aux héros masculins qu'a l'habitude de mettre en scène John Maxwell Coetzee dans ses romans (du moins ceux que j'ai lus). On ne peut pas dire qu'il soit au départ particulièrement attachant. C'est un individu qui se place dans une démarche analytique vis-à-vis de ce qu'il ressent, qui fait preuve de recul face à ses émotions. Et pourtant, il manifeste -grâce justement à sa capacité d'analyse et à son intelligence- une humanité rassurante au sein d'une société inique et cruelle dont les travers ne sont pas sans évoquer les heures sombres du colonialisme. Je pense à cette façon d'humilier, de rabaisser l'indigène et de se convaincre de sa propre supériorité pour se justifier d'actes innommables, pour légitimer l'existence d'un Empire qui, telle une montreuse entité, se nourrit de son besoin d'expansion, s'invente des ennemis pour assouvir sa soif de violence et de domination. Je dis "s'invente" car il semble bien en effet que cette hypothétique attaque barbare ne soit qu'un mythe, un fantasme, dont chacun se persuade, par commodité ou ignorance.
Pour les soldats qui, dans l'attente de l'assaut, occupent la cité, agiter devant la population le spectre d'une invasion menée par ces êtres primitifs et immoraux que sont les barbares permet, en toute impunité, de se comporter eux-mêmes comme des sauvages irrespectueux de leurs semblables. Le fait de désigner un ennemi commun et étranger permet de prévenir les éventuelles récriminations de civils qui subissent le comportement abusif d'une armée censée les protéger de l’hostilité et de la convoitise des indigènes...
Le héros quant à lui se prend d'une étrange attirance pour une jeune barbare capturée par des soldats, et dont le père est mort des suites des tortures qui lui ont été infligées. Contrairement à la plupart de ses semblables, lui accepte de se rappeler que les rapports qu'ils ont eu jusqu'à maintenant avec ces barbares étaient pacifiques (ces derniers venaient ponctuellement faire du troc à l'entrée de la Cité) et il perçoit l'absurdité du comportement de ses concitoyens et de ses supérieurs hiérarchiques.
Face aux injustices et au mépris que subissent les indigènes, sa conscience s'élève peu à peu jusqu'à un point de non retour où il n'aura plus d'autre choix que celui de crier son refus de devenir lui-même un barbare, non pas au sens où l'entendent les colons, mais dans la définition plus large du terme.
Je suis tout à fait d'accord avec Gangoueus, qui écrivait que "ce texte peut livrer plusieurs niveaux de lecture" : parabole sur les méfaits de l'impérialisme, conte mettant en lumière la propension de l'homme à la cruauté et à l'intolérance, portrait d'un individu quelconque que sa révolte face à la barbarie finit par rendre extraordinaire..., et sans doute ce roman aborde-t-il encore d'autres thèmes que je vous laisse le soin de déceler...
Toujours est-il que le récit de John Maxwell Coetzee ne laisse pas indifférent, et permet de nous mener sur de passionnantes pistes de réflexion.
>> D'autres titres pour découvrir John Mawxell Coetzee :
"Au cœur de ce pays"
"L'homme ralenti"
"Disgrâce".
>> D'autres titres pour découvrir John Mawxell Coetzee :
"Au cœur de ce pays"
"L'homme ralenti"
"Disgrâce".
Quel texte!
RépondreSupprimerOui, et je te remercie d'ailleurs puisque c'est grâce à toi que je l'ai découvert.
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