LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Ada ou l'ardeur" - Vladimir Nabokov

"Le feu que tu as allumé a laissé son empreinte sur le point le plus vulnérable, le plus pervers, le plus sensible de mon corps. Aujourd'hui il faut que j'expie l'excès de vigueur prématurée avec lequel tu as raclé la rouge écorchure, comme le bois calciné doit expier d'être passé par sa flamme."

"Ada ou l'ardeur" fait partie de ces romans dont je garderai un léger goût de frustration. Une frustration liée à sa complexité, et au sentiment conséquent, récurrent, d'être laissée sur le bord de la route... Et en même temps, cette sensation est tempérée par la conviction d'avoir vécue une expérience rare, en pénétrant l'univers singulier et profus d'un auteur hors du commun.

L'immersion a d'emblée été abrupte, dans cet environnement à la fois familier et énigmatique que plante Valdimir Nabokov, à cheval entre monde réel et fantasmé, comme s'il distordait la réalité, créant d'improbables osmoses, imaginant une géographie hybride et fantaisiste, en trompe-l’œil, évoquant un territoire américain où se seraient invités quelques pans de Russie.

Van Veen, quatre-vingt dix sept ans, y est notre guide, le roman se présentant comme la chronique, dont il est l'auteur, de l'amour indéfectible qui le lia à sa jeune cousine -en réalité sa sœur, leurs parents ayant été amants-, amour qui traversa le temps, malgré de longues périodes de séparation imposées par l'impossibilité sociale et familiale de le vivre au grand jour. Ada, objet de cette passion, l'assiste dans cette tâche, ajoutant à son texte des notes, des réflexions, de brefs correctifs. Sont ainsi reconstitués les débuts de leur amour, sa révélation, sa concrétisation physique débridée dans le domaine familial d'Ardis, qui se pare d'une dimension édénique et magique, et où, sincères et naturels, ils s'adonnèrent à leurs ébats avec une absence totale de mauvaise conscience, en ennemis de la médiocrité et de la fadeur.

Leur passion débute alors alors qu'Ada n'a que douze ans, et Van quatorze, mais leur jeunesse est accessoire, j'ai presque envie de dire illusoire, car occultée par le caractère fascinant et quasi monstrueux de leur précocité intellectuelle et de leur savoir encyclopédique, qui donnent au texte sa profusion à la fois ardue et jubilatoire... 

L'amour entre Ada et Van irrigue l’ensemble de cette fresque de sa lumière, de son intensité, et rythme de sa constance leurs existences, dont nous sont dévoilées, avec une lente minutie, les joies, les blessures et les tragédies mettant parfois en scène certains de leurs proches, plus ou moins intimes, dont certains se brûleront les ailes au contact de leur ardente idylle... Mais je vous tais volontairement les multiples développements de la foisonnante intrigue de ce roman si singulier, objet de l'alternance entre moments de lecture rétifs, abrupts, voire d'exaspération face à l'obscurité du propos ou l'opacité des multiples références culturelles ou linguistiques et phases de pure fascination face à cette maîtrise de la langue -et en l’occurrence de la traduction- que l'auteur, par son inventivité et sa musicalité, rend personnelle et unique, véritable feu d'artifice de jeux de mots, d'anagrammes, d’anachronismes volontaires, de novations idiomatiques, qui instillent en permanence humour, fantaisie et érudition dans ce texte qui nous offre sans doute par ailleurs certaines des pages les plus belles, les plus sensuelles et les plus troublantes de la littérature amoureuse...


>> Un autre titre pour découvrir Vladimir Nabokov : Feu pâle 

Cette lecture me permet par ailleurs d'afficher une deuxième participation à l'activité de Brize : "Les pavés de l'été".


Commentaires

  1. J'ai lu ce livre l'année dernière mais je ne l'ai pas terminé alors que Vladimir Nabokov est l'un des écrivains qui me marque à chacune de ses œuvres. Peut être n'étais-je pas en mesure de vraiment l'apprécier mais qu'aujourd'hui c'est le moment. En tout cas je ressens la même chose que toi, j'ai eu l'impression que la moitié du roman tourne autour d'une démonstration d'elitisme et qu'il laisse en plan son lecteur.

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    1. Ah, c'est vrai que ce n'est pas une lecture facile, et le fait de participer au Pavé de l'été de Brize m'a bien aidée, je l'avoue, à persévérer... j'ai dû finir par faire l'impasse sur certains passages, lus en diagonale, qui me sont restés incompréhensibles... mais certains autres sont tellement beaux !!

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  2. Ouh alors moi je suis restée sur une très mauvais souvenir de son autobiographie étudiée à la fac, une pure souffrance comme lecture, ça ne m'a jamais donné envie de revenir à cet auteur.^^

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    1. Ce titre est de mémoire le plus ardu que j'ai lu de l'auteur. J'ai trouvé Lolita sublime, Feu Pâle fascinant et, bien que complexe, beaucoup plus abordable que celui-ci. Je pense d'ailleurs que ce dernier pourrait te plaire, par sa construction originale (et quelle écriture !)

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  3. Nabokov fait partie de ces auteurs que je refuse de lire. Ma sœur a dû lire 2 de ses livres pour la fac et elle a tellement souffert que je n'ai même pas essayé.

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  4. "Lolita" a été un coup de foudre, mais je n'ai pas pu terminer ce livre pour cause d'ennui profond. Je me dis que je retenterai dans quelques années, en m'accordant le droit de sauter des passages. Bravo pour ta persévérance en tout cas.

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    1. J'espère que ton commentaire incitera ceux qui passent par ici et que ce billet découragerait, à ne pas faire l'impasse sur Lolita, sur lequel je te rejoins je pense d'ailleurs le relire un jour)... je comprends que tu aies jeté l'éponge avec celui-là, j'ai dû me faire un peu violence pour le finir, et le comble c'est que j'ai dû en racheter un exemplaire en librairie : celui que j'avais initialement acheté d'occasion avait les pages 725 à 750 déchirées !

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  5. Un pavé difficile à lire, quel courage ! J'ai beaucoup aimé Lolita, en son temps mais je ne suis guère tentée par ce livre que j'ai pourtant quelque part sur une étagère mais que je n'ai jamais ouvert.

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    1. Il m'a pourtant procuré des moments de pur plaisir, mais bon, je comprends ta réticence !

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  6. Eh bien, c'était un beau challenge, cette lecture ! Je ne sais pas si je saurais faire preuve d'une telle pugnacité, même si ta chronique éclaire tous les aspects intéressants et motivants de l'œuvre.

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    1. Oui, et je dois te remercier, car sans Le pavé de l'été, j'aurais probablement jeté l'éponge ...

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  7. Quelle lecture! Pour moi ça reste un auteur très compliqué ...

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    1. Tous ses titres ne sont pas aussi difficiles d'accès, même si je suis loin d'en avoir lu beaucoup, mais Lolita ou Feu pâle, par exemple, sont bien plus "lisibles" et plus courts que celui-là... (en revanche je me souviens d'une lecture très laborieuse de Regarde, regarde les arlequins).

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  8. j'ai tellement adoré Lolita que je n'arrive pas à me résoudre à lire un autre de l'auteur, de peur d'être déçue...

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    1. Je comprends, j'ai moi aussi adoré Lolita. Mais je ne crois pas que ce titre puisse décevoir, tant il est particulier. Il peut rebuter, fasciner, mais on ne peut que reconnaître le génie de son auteur, même si on n'y accroche pas... à toi de voir ! Sinon, tu peux lire Feu Pâle, extraordinaire aussi, mais plus abordable, et tellement différent de Lolita qu'il ne vient même pas à l'idée de les comparer.

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