LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Les hommes n'appartiennent pas au ciel" - Nuno Camarneiro

"Les biographies devraient se classer par lieux et non par dates (...). Personne ne sait décrire une ville, ce sont les villes qui nous écrivent".

Je me félicite de n'avoir pas lu sa quatrième de couverture avant la lecture de ce titre, car elle m'a laissée bien perplexe. Elle y évoque le passage d'une comète comme point central du récit, alors que je n'ai vu cet événement (décrit sur quelques brèves pages) que comme un détail dispensable, un ornement stylistique dont je n'ai pas vraiment compris l'intérêt. 

"Les hommes n'appartiennent pas au ciel" est l'alternance de trois récits, ceux de trois hommes dont l'histoire est profondément ancrée dans les villes qu'ils habitent.

Karl, jeune immigré d'Europe de l'est, est laveur de vitres à New York, où il côtoie chaque jour, perché sur ses échafaudages, l'immensité vertigineuse des gratte-ciels. Sa vie fruste et solitaire, marquée par la pauvreté, suit le cours de mésaventures et de hasards qui le font finalement échouer dans un lupanar où il est à la fois homme à tout faire et barman. 

Jorge, à Buenos Aires, vit entouré de femmes : sa mère, qui lui a appris à lire, sa grand-mère Fanny, qui le nourrit d'histoires mettant en scène ses aïeux conquérants, et sa petite sœur Norah, qui lui voue une admiration sans bornes. C'est un enfant à l'imagination profuse, qui, dans ses rêves épiques, s'imagine en héros. Sa mémoire phénoménale et son insatiable curiosité l'obligent à inventer en permanence des subterfuges pour ordonner son monde intérieur, à élaborer des mnémotechnies qui deviennent de plus en plus complexes au fil du temps. Lorsqu'il entre à l'école, il doit se confronter aux rejet cruel des autres enfants...  

C'est par l'océan que Fernando est arrivé à Lisbonne, où il est accueilli par ses tantes, chez lesquelles il est hébergé le temps de faire ses études. C'est un jeune homme étrange et réservé, à la santé fragile et aux rêves prégnants. Il est hypersensible à tout ce qui l'entoure, persuadé que rien n'est inanimé, que les âmes sont partout, dans la ville et dans ses murs. Devenu fonctionnaire dans un morne bureau, il se sent prisonnier, non pas tant de cet emploi, que de sa difficulté à laisser s'exprimer ce qu'il est vraiment, cet être qui perçoit l'invisible avec acuité et dont la vocation serait de traquer les mots pour le décrire.

Il m'a fallu quelques chapitres, et surtout l'association "Fernando-Lisbonne", pour réaliser que l'auteur évoquait Borges et Pessoa. Quant à Karl, le troisième des protagonistes... c'est la quatrième de couverture, lue à l'issue de ma lecture, qui a résolu l'énigme : il est le personnage d'un roman de Franz Kafka que je n'ai pas lu, "America". Le choix de ces trois personnages m'a paru un peu bancal. Autant on rapproche naturellement les parties concernant les écrivains argentin et portugais, dont on comprend assez vite qu'elles tendent vers l'interrogation du processus créatif, et de sa maturation, autant les chapitres new-yorkais, plutôt factuels, ne semblent pas s'inscrire dans la même démarche. Est-ce le résultat d'une volonté de l'auteur d'opposer à Buenos Aires et Lisbonne, villes d'histoire propices à l'introspection et à la réflexion, la fourmillante New-York, où l'inactivité vous tue, où vous n'êtes rien si vous n'êtes pas dans l'action ?

Peu importe, puisque j'ai finalement trouvé le propos du roman assez secondaire, et que c'est pour d'autres de ses aspects que j'ai aimé ce titre. J'ai tout d'abord été séduite par l'écriture de Nuno Camarneiro, énergique et poétique, par les nombreuses sentences, presque des aphorismes, qui émaillent son texte, et charment par leur justesse. J'ai ensuite beaucoup apprécié sa façon de lier chacun de ses héros à un lieu, en une osmose qui fait des villes évoquées des personnages à part entière, dont l'individu ne serait qu'un élément. 

"Un poète n'est qu'un lieu par où le poème transite."

La Lisbonne constamment pluvieuse qu'il dépeint m'a fortement rappelé celle du titre de José Saramago -"L'année de la mort de Ricardo Reis" (à lire impérativement)- qui met en scène un hétéronyme de Fernando Pessoa.

Au final une jolie découverte. Et même si le propos parfois un peu abscons pour moi (dans la dernière partie), car trop spirituel, m'a un peu perdue, je reviendrai sans doute vers cet auteur, dont il s'agit là du premier roman.



Et... pour découvrir :
Jorge Luis Borges : Fictions
Franz Kafka : Le procès

Commentaires

  1. j'ai bien aimé le style de l'auteur, et l'approche de Pessoa et Borges, c'était moins évident avec Karl mais j'avais fait le lien. (NY qui vit à toute allure centrée sur elle-même / Procès ou même la métamorphose....
    je suis sortie de cette lecture avec "Le livre de l'intranquillité" et "Fictions" sur le dessus de ma PAL

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    1. Oui, son écriture est belle, elle m'a vraiment embarquée. Ah, le Pessoa et le Borges, très différents, ne sont pas l'un et l'autre, des lectures faciles mais La livre de l'intranquillité est de ces œuvres qui marquent une vie de lecteur. Ce n'est pas vraiment un livre à lire d 'une traite d'ailleurs, mais plutôt à parcourir, un peu au hasard.. une nouvelle édition en est parue récemment : Le livre de l'inquiétude (qui trône désormais sur mes étagères aux côtés de celui de L'intranquillité...)

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  2. J"avais noté cet auteur et ce titre à l'époque où je cherchais des auteurs portugais à découvrir absolument mais je n'avais pas été entièrement convaincue par le résumé pour me lancer dans l'urgence. En te lisant, je ne suis toujours pas sûre d'y trouver mon compte mais je me trompe peut-être.

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    1. Tu peux tenter, il est court, et vraiment bien écrit.... et en-dehors de toute référence à Borges ou Pessoa, j'ai aimé la manière dont il décrit comment ses personnages en arrivent à l'écriture.

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