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"Le sang des promesses" - Volets I et II – Wajdi Mouawad

"Le sang des promesses" est une tétralogie théâtrale dont "Littoral" et "Incendies" sont les deux premiers volets. Chacun des quatre textes, non liés par une suite narrative, peut se lire indépendamment du quatuor, mais j’ai bien l’intention de lire les deux suivants, l’intérêt étant de comprendre le projet, dans son ensemble, de Wajdi Mouawad, qui avec ces pièces évoque les thèmes de l’héritage, du deuil, de l'exil et de la guerre.

Dans "Littoral", Wilfrid apprend la mort de son père alors qu’il est, selon ses propres mots, "en pleine partie de baise". Un père qu’il n’a pas connu, puisque, orphelin d’une mère morte à sa naissance, il a été élevé par la famille de cette dernière, qui refuse, dans l’expression d’une rancœur haineuse, que le défunt soit enterré dans le caveau familial aux côtés de son épouse. Le fils décide alors de lui offrir une sépulture dans son pays natal. C’est le début d’une quête macabre…

Le pays d’origine du père, territoire innommé mais que l’on devine au Proche-Orient, bordé par la Méditerranée, est en guerre. Wilfrid, chargé d’un cadavre de plus en plus pourrissant, de plus en plus nauséabond, est refoulé de village en village, car les cimetières saturés ne peuvent accueillir un corps supplémentaire, qui plus est celui d'un homme que l'exil a transformé en étranger.

Son périple est ponctué d’étranges rencontres avec de jeunes gens, qui ont comme point commun d’être eux aussi orphelins. Leurs parents, lorsqu’ils les ont connus, ont été assassinés, torturés… hantés d’une douleur à la fois intime et universelle, liée aux exactions indissociables des guerres qui s’éternisent, ils sont aussi porteurs de symboles exprimant la révolte contre la violence, la volonté de l’endiguer, par des moyens qui peuvent parfois sembler dérisoires. Ainsi, une jeune femme chante des histoires pour éveiller les consciences, une autre ne se sépare pas d’annuaires sur lesquels elle inscrit le nom des morts, afin qu’ils ne sombrent pas dans l’oubli… 

Wajdi Mouawad entremêle dans ce texte crudité sordide, références flagrantes à la tragédie antique, et un imaginaire qu’il matérialise de manière parfois incongrue, comme avec ce personnage issu de la Table Ronde Arthurienne, figure enfantine et réconfortante invoquée par Wilfrid. Naviguant entre fantasmagorie et modernité de la mise de la mise en scène, horreur et humour, lyrisme et brutalité, le résultat en devient parfois un peu brouillon. Les expérimentations de l’auteur, bien qu’originales et intéressantes, amoindrissent ainsi l’intensité de son texte.

"Incendies" débute aussi avec la mort d’un parent, celle de la mère de Simon et Jeanne, jumeaux qui se voient transmettre un étrange héritage. Leur mère a légué à chacun une enveloppe, l’une à remettre au père qu’ils croyaient mort, et l’autre à un frère dont ils ignoraient l’existence. Sous l’égide d’un notaire au vocabulaire fantaisiste, tous deux doivent donc entreprendre une quête pour retrouver les deux hommes, à laquelle se refuse dans un premier temps Simon, très en colère vis-à-vis de la défunte, depuis que plusieurs années auparavant, elle s’était murée dans silence aussi total qu'inexplicable. Il finira néanmoins par rejoindre Jeanne dans le pays natal de leur mère, qui présente de nombreuses similitudes avec celui du père de Wilfrid. Une interminable guerre fratricide y a laissé les traces de ses atrocités -viols, tortures-… 

On suit en alternance Jeanne et Simon sur les traces de ces père et frère inconnus, et Nawal, leur mère, au gré d’incursions à l’époque de sa jeunesse, dévoilant peu à peu l’innommable tragédie à l’origine de son silence. Le passé et le présent ainsi s’enchevêtrent et se répondent au fil du texte, matérialisant le cercle d’une haine et d’une vengeance se transmettant de générations en générations, victimes et bourreaux inversant les rôles, et que Nawal, à travers ses volontés posthumes, a espéré voir ses enfants briser. Mais cela ne pourra se faire qu’au prix de la survie à une vérité inacceptable.

C’est violent, sanglant, fortement empreint là aussi de références mythologiques qui se mêlent inextricablement à une barbarie à la fois contemporaine et intemporelle. Et la fin, terrible, vous coupe le souffle.

Malgré les bémols exprimés suite à la lecture de "Littoral", je sors de cette lecture avec l’envie de découvrir la suite de cette tétralogie intensément tragique, dont le deuxième opus m'a sacrément secouée.


Un autre titre pour découvrir Wajdi Mouawad : Anima

Cette lecture est une participation au Mois de la littérature libanaise organisé par Maeve.



Le titre "Littoral" me permet par ailleurs de compléter la catégorie "Lieu" du Petit Bac d'Enna.



Commentaires

  1. J'ai vu "Incendie" au cinéma, et c'est un film qui m'a marquée, mais je n'ai pas lu le texte.

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    1. J'ai vu le film aussi, qui est une bonne adaptation, et cela n'a pas amoindri la force du texte..

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  2. Heu pas franchement envie actuellement... J'ai déjà des lectures éprouvantes!

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    1. Dans ce cas, tu peux en effet passer ton chemin. C'est âpre, et très glauque !

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  3. J'avais tellement été ébloui par Anima que j'avais plus ou moins prévu de lire ensuite Incendies, dont l"adaptation ciné avait été chaudement reçue. Sauf que, comme trop souvent, j'en suis resté là de mes projets...
    Suite à ton billet, je me dis que ce n'est que partie remise, que je pourrais même lire Incendies dans le cadre de la trilogie... Mais, restons réalistes, il y a de fortes probabilités que cela reste un vœu pieux pour longtemps.

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    1. J'avais beaucoup aimé Anima aussi, c'est un texte puissant. On retrouve là aussi, notamment dans Incendies, la force de l'écriture de Wajdi Mouawad.
      Et Le sang des promesses est une tétralogie : il y a au total 4 volumes, mais ils sont tous très courts. En tous cas, de mon côté, je compte bien continuer...

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  4. Je rejoins Keisha ! mais je vois que tu as aimé, tant mieux !

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    1. Oui, mais c'est sûr que je n'en lirai pas dix d'affilée, des comme ça, c'est très noir !

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  5. Lire du théâtre, le projet toujours trop timide, une ou deux par an. " Incendie " est noté depuis longtemps, merci pour le rappel !

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    1. A ton service ! Et vu la brièveté de ces pièces, c'est un projet assez facile à réaliser !

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  6. Cet auteur je l'adore ! Anima reste une lecture marquante pour moi ! J'ai vu Incendies au cinéma avant de savoir que c'était une adaptation d'une de ses pièces. C'est très noir, mais qu'est-ce que c'est profond.

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    1. Je suis d'accord, il a une écriture remarquablement intense, puissante. C'est un peu moins vrai avec Littoral, dans lequel ses "explorations stylistiques" amoindrissent un peu la force de son récit, mais Incendies... quel texte ! Et j'ai aimé aussi l'adaptation de Villeneuve, vue il y a quelques années..

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  7. Je n'ai jamais lu cet auteur même si j'ai vu ses adaptations théâtrales. Je me note ce titre et meurs d'envie de découvrir Anima également. Bonne soirée à toi !

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    1. Oh oui, Anima vaut vraiment le détour ! Et j'aimerais énormément voir les adaptations de ces pièces, tu en as de la chance... En espérant pouvoir bientôt retourner au théâtre...

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  8. Mon message d’hier est visiblement passé à la trappe ;-) pour une fois que je disais quelque chose d’intéressant, mais j’ai oublié quoi... :-) Il me semble que j’ai évoqué Anima et un cadeau... :-) (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)

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    1. Et j'ai vérifié, je n'ai pas de commentaire en attente de modération...

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    2. Pas grave, j’ai sans doute fait une mauvaise manip... (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)

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  9. Moi aussi, j'ai été éblouie par Anima, même si c'est une lecture éprouvante. Et je devais voir un de ses spectacles au théâtre, mais bien sûr tout a été annulé. Je vais pouvoir me consoler avec ces textes.

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    1. Ah, comme je me languis de la réouverture des cinémas, et des salles de spectacles en général... mais tu as raison, on peut en attendant compenser avec la lecture.

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  10. Je n'ai pas lu le premier, mais j'ai adoré 'Incendies" "tous des oiseaux" et"anima" et j'aimerais tous les lire

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    1. Je l'ai trouvé moins bien, comme je l'exprime dans mon billet, avec un goût d'inachevé au niveau de la forme, un peu chaotique. Et je note "Tous des oiseaux".

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  11. je passe mon tour, il faut que je termine déjà tous les livres en cours et j'aurais aussi besoin de lectures sans prise de tête ces jours-ci :-)

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    1. Ah, si tu ne veux pas de prise de tête, fuis, en effet !!
      Plus tard peut-être ? Si tu ne connais pas cet auteur, il faut lire Anima, une vraie lecture "coup de poing" !

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  12. lu anima et Incendie il me manque Littoral et le sang des promesses. Merci de m'y faire penser!

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    1. C'est "Forêts" et "Ciels" qui complètent la tétralogie du Sang des promesses. Il faut que je me les procure aussi...

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  13. J'ai découvert ce magnifique auteur avec "Tous des oiseaux" et j'ai écouté religieusement son journal de confinement en mars dernier : terriblement émouvant. Ton billet donne envie de poursuivre !

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    1. Ah, tu es la 2e avec Hélène à évoquer ce titre. Et un journal du confinement ?... Intéressant, je vais aller voir ça (où plutôt l'écouter !)

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  14. je n'ai lu que Littoral et c'est particulier, le fantasmagorique et le côté brouillon dont tu parles m'ont un peu perdue mais je garde aussi en tête des passages sublimes. C'est un auteur vraiment à part et Anima me marquera durablement... malgré la violence.

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    1. On se rejoint complètement sur Littoral, qui malgré ses "défauts" porte bien la marque de son auteur, avec cette écriture intense, aux accents profondément tragiques.

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  15. J'ai adoré Incendies et apprécié Littoral.

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    1. On se rejoint alors, même si Littoral m'a par moments un peu perdue..

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  16. Je n'ai lu qu'Incendies, après avoir vu la pièce au théâtre. Quatre heures d'une force inoubliable. Au point qu'en rentrant chez moi en voiture, j'ai grillé un stop juste devant une voiture de police. Les "messieurs" m'ont laissée repartir sans me mettre une amende. Ils étaient hilares parce que j'ai commencé à leur expliquer que c'était à cause d'Incendies, de la guerre du Liban, des jumeaux qui retrouvaient leur mère ... ^-^

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    1. Tu as eu de la chance de ne pas finir au poste, ou avec une camisole !! Mais oui, même le film est très fort..

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