LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"Le Diable et Sherlock Holmes" - David Grann

"Le Diable et Sherlock Holmes" n’est pas à proprement parler un recueil de nouvelles, mais la compilation de sujets de reportages que le journaliste David Grann a menés au début des années 2000. Sous-titré "… et autres contes de meurtre, de folie et d’obsession", l’ouvrage évoque des personnages et/ou des événements que leur dimension extraordinaire rend toutefois dignes des meilleures fictions.

Trois parties le scindent, chacune dédiée à une thématique particulière et composée de quatre textes. Dans la première, des histoires où la vérité, parce qu’elle est inatteignable ou dissimulée (de manière consciente ou involontaire), s’incline devant le doute. Et cela démarre sur les chapeaux de roues avec un texte (peut-être l’un de mes préférés) consacré au suicide suspect d’un expert ("le plus éminent de la planète") obnubilé par Sir Arthur Conan Doyle, qui survient alors que la victime est sur le point d’accéder enfin aux précieuses archives de l’écrivain qu’il a recherchées durant une grande partie de sa vie. J'ai cru voir dans l’ouverture du recueil par cette histoire un clin d'œil sur la manière dont réalité et fiction s’entrelacent parfois, l'auteur y évoquant au passage l’existence de fanatiques considérant Sherlock Holmes comme un personnage réel.

Elle est suivie du tragique destin d’un homme condamné à tort à la peine capitale pour l’incendie de la maison où ont péri ses enfants, puis de l’incroyable histoire de Frédéric Bourdin, surnommé "Le Caméléon", homme adulte qui pendant quinze ans de pérégrinations à travers l’Europe puis aux Etats-Unis, s’est fait passer pour un adolescent maltraité ou abandonné auprès de diverses institutions qui n’y ont vu que du feu.

Bon.
Plutôt que de résumer chaque texte de l’ouvrage, ce qui s’avérerait aussi fastidieux pour vous que pour moi, retenons seulement que la deuxième partie de l'ouvrage évoque des individus hantés par une passion déterminant toute leur existence, constituant ainsi pour l'auteur "d'étranges énigmes". La troisième s’attarde quant à elle sur la facette la moins reluisante de l’homme, en mettant en scène diverses manifestations de sa violence et de sa cruauté.

Aucun de ces sujets n’est délaissé, l’auteur les abordant tous avec la même consciencieuse curiosité. Qu’il nous emmène en mer aux côtés d’un infatigable et obstiné chasseur du mythique calmar géant ou sous terre en compagnie des Sandhog ("chiens de sable"), creuseurs des tunnels alimentant en eau la ville de New-York, qu’il nous fasse rire d’admiration face aux prouesses de Forrest Tucker, roi de l’évasion qui perpétra son dernier braquage à l’âge de 79 ans, ou nous plonge avec un pompier dans les affres d'une amnésie survenue suite à son intervention sur les lieux des attentats du 11 septembre, c’est le même intérêt bienveillant qui point sous sa plume, et la volonté de traquer au-delà de l’événement journalistique ce qui singularise ces individualités. Le regard qu’il porte sur leurs obsessions, leur capacité à se dépasser pour des rêves qui pourraient sembler à d’autres bien dérisoires, est teinté d’admiration plutôt que de jugement. Il décrit ces parcours, mais aussi les regrets qui parfois y sont liés, avec une tendresse particulière mais toujours pudique pour les fêlures que les témoignages laissent par moments deviner.

Et bien souvent, il ne s’arrête pas au protagoniste principal de ses histoires. Il y introduit également des personnages secondaires qu’en quelques coups de plume il sait rendre mémorables, constituant ainsi toute une galerie de portraits d’anonymes qui en acquiert une stature extraordinaire, travailleurs de l’ombre, experts surdoués mais discrets, tels ce procureur adjoint qui se démène des années durant pour démanteler l’Aryan Brotherhood, organisation criminelle suprémaciste et ultra violente dont le faramineux réseau est né en prison et s’est développé sur tout le territoire pénitencier américain, ou ce scientifique spécialisé dans les incendies qui démonte avec méthode les dossiers d’accusation ayant conduit à mettre des innocents en prison.

Pour autant, l’intérêt de ses textes ne se limite pas à la représentation certes remarquable de toutes ces figures. Au-delà des héros qu’elles mettent en scène, plusieurs de ses histoires font émerger des problématiques sociétales qui lui permettent d’attirer notre attention sur certaines dérives de la société américaine, mais en reflètent aussi certaines des caractéristiques culturelles. 

Il y est ainsi question des limites et des absurdités d’un système judiciaire inique qui envoie des innocents à la mort, de la corruption qui gangrène des villes entières, sur lesquelles les gangs mafieux, dont les crises économiques ont renforcé le pouvoir, ont la mainmise, d’une organisation pénitentiaire incapable de gérer la violence qui continue en prison de faire des victimes… dans un registre plus léger, l’auteur évoque aussi le mythe du hors-la-loi romanesque qui a longtemps hanté l’imaginaire collectif, le "bon" méchant à la fine gâchette et tombeur de ces dames, et quelques instants sont consacrés aux gloires du base-ball…

David Grann parvient à rendre tous ces sujets prenants et accessibles, suscitant l’intérêt du lecteur pour des sujets aussi divers et a priori rebutants que l’études des incendies, le système d’approvisionnement en eau ou les méthodes de captures ou de reproduction en captivité des calmars géants.

J'aurais un seul petit reproche, que je formule sous la forme d'une question : "où sont les femmes, Mr Grann ?"...

Un autre titre pour découvrir David Grann : La note américaine

Une idée piochée chez Electra, et une deuxième participation au Mois de la Nouvelle.

Commentaires

  1. Un titre que je ne connais pas (et une conclusion-question qui me laisse un poil en retrait face à l'envie de me lancer.) Je participe aussi à ce RDV et dois justement chroniquer mon premier recueil.

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    1. Il vaut quand même le coup (même si c'est vrai, j'aurais apprécié qu'il y ait aussi des histoires de femmes)... J'attends ton premier billet "nouvelles" avec intérêt, je dois reconstituer mon stock pour l'année prochaine :)

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  2. Un titre que je n'ai pas retenu pour ce mois de la nouvelle et qui m'a l'air très intriguant. Si il n'y a pas trop de base ball dedans quand même !

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    1. Non, un seul texte en parle, et s'attarde davantage sur le joueur que sur le sport, sur le thème du déclin qui suit une fulgurante carrière. Et on apprend plein de choses intéressantes au fil des reportages !

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  3. J'aime ce Mai en nouvelles qui permet de découvrir de nombreux titres qui seraient passés sous mes radars sans un tel rendez-vous.

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    1. Tout à fait, je ne suis pas persuadée que je lirais des nouvelles sans cette activité (en tous cas j'en lirais beaucoup moins, c'es sûr...). Et ce serait dommage, certains recueils valent vraiment le détour.

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  4. Par rapport à the lost city of city of Z et La note américaine, j'avais trouvé ces articles peu attrayants... (Mon intérêt variait en fonction des thèmes). J'avais vu le journaliste à l'occasion de la sortie de ce bouquin ( interwiew dans une librairie). Il est génial !

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    1. Ah, j'ai moi aussi préféré La note américaine, mais j'ai trouvé la diversité des sujets abordés intéressante, et j'ai apprécié que l'auteur sache rendre accessible des sujets a priori assez spécifiques. Et puis c'est l'occasion de faire certaines rencontres plutôt atypiques !

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  5. Si j'ai préféré l'un de ses autres livres, j'ai beaucoup aimé lire celui-ci aussi et comme toi la première sur l'expert et la folie entourant Sir Arthur Conan Doyle m'a bien marqué !

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    1. Comme indiqué ci-dessus, La note américaine a ma préférence, mais ce recueil n'en reste pas moins très plaisant, et varié. Et j'ai vraiment accroché avec certains des "personnages"..

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  6. Je n'ai pas encore lu l'auteur mais "La note américaine" figure sur ma wishlist.

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    1. J'ai beaucoup aimé La note américaine, plus que ce titre (mais ils sont différents, et pas vraiment comparables). C'est un récit très instructif, et atterrant..

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  7. J'avais adoré La note américaine. Pas sûre de trouver mon compte dans ce recueil car je crains que ce ne soit trop foisonnant pour moi mais c'est un auteur vers lequel je reviendrai, c'est sûr.

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    1. Il est foisonnant, mais se lit assez facilement, grâce au format "nouvelles". Sinon, il y a "The lost city of Z", qui a été réédité en poche assez récemment, qui me tente.

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  8. J'ai déjà The lost city of z à lire (en bibli pour l'instant)

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    1. Je pense que je lirai aussi, j'ai vu (et aimé) le film, j'en ai trouvé le sujet passionnant, et passé à la moulinette de Grann, il doit l'être encore plus !

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  9. Je n'ai lu que La note américaine et j'avais adoré. Du coup, j'ai de plus en plus envie de lire ses nouvelles. Ça tombe bien: l'ouvrage est dans la bibliothèque de Maud. Je vais aller lui voler!

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    1. Bonne idée ! Tu verras il est très instructif, et j'aime beaucoup l'approche humaniste de Grann.

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  10. Même sans les femmes, ce livre me paraît très intéressant et tu donnes envie de le lire .

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    1. Tu as raison, c'est un petit bémol, auquel je n'ai d'ailleurs pensé qu'une fois ma lecture terminée ... pendant, j'étais happée !

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  11. Je crois bien que j'ai noté La note américaine, un jour... C'est incroyable le nombre de recueil de nouvelles...

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    1. Oui, et il y en a dans tous les genres ! Là je termine mes lectures de nouvelles avec un recueil SF. Et je ne sais pas si tu as, mais il y a déjà une belle liste de titres à noter chez Electra et Marie-Claude.

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