"Traverser la nuit" - Hervé Le Corre
Louise vit sur le fil. Celui d’une précarité à laquelle elle échappe de peu grâce à son boulot d’auxiliaire de vie. Et celui d’une peur permanente, provoquée par la violence d’un ex qui la harcèle et la maltraite. Depuis une jeunesse dont les excès lui ont laissé davantage de souvenirs amers et de connaissances peu recommandables qu’une quelconque nostalgie, elle est à deux doigts de rejoindre la cohorte des paumées qui font la pute pour leur prochaine dose, en attendant qu’on les retrouve un matin crevées dans un coin. Mais il est hors de question de franchir la limite fatale. Parce qu’il y a Sam, son petit garçon, qui la fait se tenir droite et la maintient dans l’espoir solide de lendemains peut-être pas meilleurs, mais qui valent de toute façon la peine d’être vécus, puisqu’il est là.
Jourdan, lui, est au bout du rouleau. Inspecteur de police, il ne parvient plus à garder la distance avec le désespoir et la pourriture dont il est chaque jour témoin, hanté par les victimes que la barbarie met sur sa route. Il ne dort plus, ne trouve plus de sens à sa mission, s'éloigne irrémédiablement de ses collègues comme de ses proches, avec lesquels il ne communique plus depuis longtemps. L’impression que sa vie lui a échappé sans lui laisser une seule chance de la rattraper l’écrase.
Le dernier est un anonyme, un homme qu’une mère incestueuse et le souvenir d’une guerre dans le désert a détraqué. Devenu prédateur, il rôde, la nuit, dans Bordeaux, s’acharnant à coups de couteaux sur les prostituées qui ont eu le malheur de croiser sa route.
Leurs trajectoires se déroulent en parallèle, avec Jourdan comme vague trait d’union, son travail d’enquêteur le lançant sur les traces du meurtrier (sans grand succès, l’enquête piétine) ou lui faisant rencontrer Louise suite à une nouvelle agression de son ex. Leur détresse commune crée un sentiment de reconnaissance qu’ils réfrènent par pudeur et par crainte d’une déception de plus.
"Traverser la nuit" fait ainsi se côtoyer horreur et violence "ordinaire". L’ensemble est plombé d’une grisaille mortifère, qu’accentuent l’évocation d’une pluie que l’on dirait incessante et celle d’un ras-le-bol généralisé qui envoie dans la rue des milliers de quidams affublés de gilets jaunes.
La plume d’Hervé Le Corre est à la fois sombre et éloquente, qui nous immerge dans une urbanité obscure et sordide, de squats en logements misérables où survit, louvoyant entre misère et dangers, une faune qui reste, pour beaucoup, invisible.
Et au cas où cela ne suffirait pas, son final achève de nous assommer…
Bon, j'ai compris, assez désespérant! Je vais prudemment éviter...
RépondreSupprimerOui, c'est noir. Il y a bien le personnage de Louise qui amène un peu d'espoir, mais il est fragile...
SupprimerComme Keisha ! Je n'ai lu qu'un roman de l'auteur, mais au moins c'était un roman historico-policier, il ne nous renvoyait donc pas notre monde contemporain à la figure, en le parant de noir, très noir.
RépondreSupprimerLa prochaine fois, je lirai peut-être d'ailleurs "L'homme aux lèvres de saphir", qui se passe au XIXe, histoire de souffler un peu !
SupprimerUn auteur que j'aime beaucoup et que je n'ai jamais lu ! C'est pour l'avoir écouté à Etonnants Voyageurs, à plusieurs reprises ... Monsieur l'auteur a le verbe éloquent aussi et un engagement loyal. J'ai ses deux romans sur la Commune sur des étagères depuis donc ... longtemps ...
RépondreSupprimerComme toi, j'ai d'abord fait sa connaissance "de visu", et il m'avait passionnée, par sa fougue et son intelligence. J'ai déjà noté d'autres titres .. et je pense qu'il te plaira (la citation en amont de mon billet donne un bon aperçu de sa plume).
SupprimerAïe ! ça envoie pas du rêve ton histoire. Un peu sombre peut-être ;-) J'ai un titre dans ma PAL (je ne sais plus lequel) mais ce n'est pas celui-ci.
RépondreSupprimerCe n'est en effet pas très gai, mais je crois que c'est le ton général de l'œuvre de cet auteur. Après, comme l'écrit Kathel, on peut lire ses romans à dimension plus historique, qui sont sans doute moins démoralisants puisqu'ils permettent davantage de prise de distance...
SupprimerJe l’ai dans ma pile depuis mille ans ... j’ai peur de le lire ...
RépondreSupprimerbéa
Si c'est la noirceur qui t'inquiète, je confirme... peut-être peux-tu prévoir de le faire suivre d'une lecture plus distrayante ?
Supprimertrop de violence, donc je vais passer...
RépondreSupprimerJ'ai tenté de lire "après la guerre"et je ne l'ai pas terminé donc pas retenté l'expérience :-)
Et celui-ci est tout aussi sombre...
SupprimerLa citation est très éloquente. La noirceur me tente fort ces temps-ci, après mon avalanche de romans plus légers...
RépondreSupprimerIl devrait te plaire, alors. Je suis curieuse de ton avis sur cet auteur. J'aime beaucoup son écriture.
Supprimerje sors d'un polar très noir avec un capitaine alcoolo....je vais un peu attendre!
RépondreSupprimerEuh oui, dans ce cas, une pause me semble raisonnable ! Mais c'est un auteur à retenir.
SupprimerLe ciel trop souvent gris en Bretagne cet été ne m’encourage pas à lire des romans très sombres que de toute façon j’évite déjà en temps ordinaire.
RépondreSupprimerQue cet été, le ciel gris en Bretagne ?! Oh que je suis vilaine.. d'autant plus que j'adore la Bretagne... et si cela peut te consoler, le ciel est gris à peu près partout cette année. Et si tu n'aimes pas le "noir", je te conseille en effet d'éviter Le Corre, l'est pas très gai, l'animal !!
SupprimerJ'avais lu il y a deux ans "prendre des loups pour des chiens" et j'avais été plombée par l'histoire !! alors je passe mon tour :)
RépondreSupprimer"Plombée", oui, c'est un terme juste pour définir l'état d'esprit dans lequel nous plongent les romans de Le Corre. Mais je dois être un peu maso, j'aime ça ! Du coup, je compte bien lire "Prendre des loups...".
SupprimerOn m'a souvent conseillé cet auteur. Notamment le titre suggéré par Sandrion. Je compte justement le lire.
RépondreSupprimerJe le lirai aussi. "Après la guerre" est également très bien, et j'ai "Les effarés" sur ma pile, que je n'ai pas encore lu.
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