"Après la guerre" - Hervé Le Corre
"Croire savoir ce qu’on attend pour oublier ce par quoi on est attendu".
Années 50.Bordeaux est aux mains d’un jeune et beau maire dont la mission est de retaper "cette grande traînée et sa marmaille de bourgeois, de négociants en vin, de flics, de journalistes locaux toujours contents au bout de leur nouvelle laisse". Ce qui devrait se faire sans mal : on est là dans la capitale, calme et ordonnée, de la modération politique, qui a prouvé, une dizaine d’années auparavant, qu’elle savait faire le ménage de manière redoutable et efficace… Mais après la guerre, la guerre souvent continue, silencieuse, invisible. Les morts parfois reviennent, et ce ne sont pas toujours ceux qu’on espérait revoir…
C’est ce que va apprendre le commissaire Albert Darlac, salaud notoire, homme froid, cynique et redoutablement malin dénué de tout principe hormis celui de tirer profit de toute situation et d’exercer son insidieux ascendant. Un de ceux qui pendant l’occupation se sont rangés du côté des plus forts, reprenant ensuite leur place parmi les vraies ordures et les faux résistants, ceux qui ont senti le vent tourner en 43, se sont inventé des actes de bravoure et fabriqué des alibis. Mais silence… il s’agit, conformément au pacte tacite passé entre le maire et le chef de la police, de réveiller la "belle endormie" sans pourrir l’ambiance avec le souvenir de ses cauchemars. D’ailleurs, une nouvelle guerre, qui ne dit pas son nom, distraie déjà les esprits…
Pour l’heure, Darlac enquête justement sur l’assassinat d’un truand dont les accointances avec la police de l’occupation et notamment avec le commissaire étaient de notoriété publique. Et lorsque sa propre fille, seule personne au monde à qui il voue quelque affection, se fait agresser par un inconnu, il est conscient qu’il ne peut s’agir d’une coïncidence. L’incapacité d’un homme à tirer un trait sur les abjections du passé entraîne Darlac dans un bras de fer avec un mystérieux narrateur rescapé des camps, ex-flambeur des nuits bordelaises, qui entre souvenirs de l’horreur et vengeance à accomplir, est bien déterminé à avoir la peau du commissaire.
Le rapport avec Daniel, jeune mécano fan de cinéma appelé en Algérie, ou avec Annette, la magnifique et soumise épouse de Darlac ? Avec Abel, qui agonise d’une longue maladie aux côtés de Violette, la volcanique putain qu’il a sortie du trottoir et qui depuis partage sa vie ?
Je vous laisse le découvrir au fil de ce roman à la fois dense et haletant…
A cette occasion, Hervé Le Corre non seulement vous embarque pour une intrigue policière efficace, portée par des scènes d’action percutantes, à la précision parfois cinématographique, mais surtout vous fait louvoyer, au fil d’un sombre lyrisme, au cœur d’une ville, vous immergeant dans son atmosphère. Une ville crasseuse et humide, couverte d’un voile gris qui semble suinter de la noirceur de la pierre et que même le soleil ne parvient à soulever, une ville qui pue le gas-oil, le salpêtre de ses caves de pierre et la vase de son fleuve brun. Une ville dont on visite les troquets ouvriers, les bouges à truands, et les bordels glauques, mais aussi les quais, avec ses entrepôts et les chais des grands négociants en vins, les quartiers dont les effondrements et les béances témoignent encore des bombardements… Par contraste, des incursions en Algérie, aux côtés du jeune Daniel qui découvre, horrifié, qu’il aime faire la guerre, nous font plisser les yeux sous l’implacable soleil qui brûle les étendues caillouteuses parsemées de rares buissons secs et malingres.
"Après la guerre", enfin, vous met à hauteur des retentissements discrets mais abominables de l’Histoire, dans une ville où résonnent encore pour certains, marqués par la terreur des rafles et de la torture, le bruit des bottes, une ville où règne une paix viciée, plombée par la détresse des survivants et l’impunité des bourreaux ou de ceux qui ont tiré profit de l’horreur, la lâcheté de ceux qui ont laissé faire, et surtout par la chape de silence posée sur toute cette ignominie.
A lire.
Un autre titre pour découvrir Hervé Le Corre : "Dans l'ombre du brasier".
Un auteur que j'ai noté depuis un bon moment, mais je n'ai pas encore eu l'occasion de le lire.
RépondreSupprimerJe n'ai lu que 2 de ses titres, mais je n'en ai pas fini avec lui, c'est sûr !
SupprimerIl existe un titre à la bibli, je pourrais tenter le coup!
RépondreSupprimerMais oui, c'est du polar dense avec un contexte intéressant. "Dans l'ombre du braiser", qui se déroule pendant la Commune de Paris, est très bien aussi.
SupprimerJamais lu cet auteur et pour cause, je ne lis presque pas de polar.
RépondreSupprimerMais oui, c'est ce que j'ai cru comprendre, à mon grand étonnement d'ailleurs, car toi qui aimes les ambiances sombres, tu devrais y trouver ton compte...
SupprimerC'est le côté enquête qui m'agace, on nous met sur de fausses pistes, puis sur d'autres, trop de suspense... j'ai l'impression que tous les polars sont fabriqués sur le même moule. Bref, mais c'est peut-être parce que je n'ai pas encore découvert de bons textes de ce type.
SupprimerSans doute, en effet. Dans celui-ci par exemple, pas de fausse piste ou de rebondissement inattendu, c'est surtout le contexte et les personnages qui comptent.
Supprimerje l'ai lâché en route car son inspecteur m'a horripilée... J'aime les flics cabossés, mais là c'était trop
RépondreSupprimerdommage j'aurais bien aimé rencontrer"Le jeune maire fringant " comme je le disais à l'époque...
Darlac n'est d'ailleurs pas vraiment "cabossé", au contraire, il est capable des pires ignominies sans éprouver une once de scrupules, et ne se met jamais à la place des autres. Un monstre de froideur et de cynisme... mais les autres personnages compensent.
SupprimerQuant au maire, on en est un peu revenu depuis... c'est suite à la fin de son très long règne que Bordeaux s'est finalement "réveillée" !!
j'avoue que je connais (pour lire pas mal de polars) ce personnage et que j'ai toujours hésité à le lire vu son passé et sa vision des choses. Je vois que Eve-Yeshé l'a lâché et il se pourrait que je fasse de même. par contre, je peux le passer à mon beau-père pour avoir son avis. J'ai lu Limonov, un beau salaud et j'ai aimé ma lecture mais là on revient à la seconde guerre mondiale ..
RépondreSupprimerTu parles de l'auteur ? .. qui a en effet une vision très sombre et très dure de sa ville, comme j'ai pu le constater en l'écoutant à l'occasion d'un salon.
SupprimerLe roman n'est pas consacré au personnage de Darlac, on alterne entre plusieurs, dont la plupart sont touchants.. mais un test sur ton beau-père c'est une bonne idée, tu en as de la change d'avoir un "goûteur littéraire" !!!
Et "Limonov" est sur ma PAL...
Je n'ai lu qu'un roman d eLe corre, L'homme aux lèvres de Saphir, que j'avais beaucoup aimé. Il faudra que j'en lise d'autres...
RépondreSupprimerEt tu as du choix, car il a une bibliographie conséquente ! En tous cas, tu l'auras compris, je recommande fortement celui-là.
SupprimerC'est avec ce roman que j'ai découvert Le Corre, grand bien m'en a pris !
RépondreSupprimerJ'ai voulu lire ton avis, mais n'ai pas trouvé de billet sur ton blog. Pas grave, j'ai (re)noté Prendre les loups pour des chiens, dont tu avais fait ton cœur de l'année 2017.
SupprimerUn thème intéressant ! C'est un titre que je retiens ! Je le ferai "goûter" à mon testeur littéraire personnel !
RépondreSupprimerAh mais vous avez bien de la chance d'avoir à disposition un conseil personnalisé ! Moi c'est le contraire, je fournis mes proches en lectures, en essayant de trouver à chaque fois le titre qui convient à leur petit appétit livresque !
SupprimerJ'adore Hervé Le Corre, mais si j'ai entendu d'excellentes critiques d' " Après la guerre", je n'ai pas encore eu le plaisir de le lire ! je me le reserve pour des vacances quand je pourrai le savourer tranquilou ! en attendant ta chronique donne bien envie !!!
RépondreSupprimerOui, il est très bon, dense et noir comme j'aime... tu as des titres à me conseiller pour continuer sa découverte ?
SupprimerMoi aussi, je suis la gouteuse de la famille ... Ce qui est une lourde tâche quand on te dit, tu aurais quoi de bien pour moi, sous la main ? Pas intérêt à te louper ! En même temps, j'adore. Hervé Le Corre est un des auteurs préférés de mon fils, mais il n'a pas celui-ci, tu seras gouteuse à ma place, cette fois !
RépondreSupprimerJ'en suis ravie, d'autant plus que ce titre est excellent ! J'ai noté Prendre les chiens pour des loups, qui a l'air très bien aussi. Et ton fils me semble être un jeune homme fort recommandable !!
SupprimerJe l’ai dans ma pile depuis mille ans ... j’ai peur de le lire ...
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