"Rue des boutiques obscures" - Patrick Modiano
"J’avais déjà vécu ma vie et je n’étais plus qu’un revenant qui flottait dans l’air tiède d’un samedi soir".
C’est l’histoire d’un homme qui part à la recherche de
lui-même. Bon, j’admets : dit comme ça, ça sent l’imposture à plein nez, le
récit pseudo-métaphysique alambiqué et prise de tête… Mais c’est à Modiano que
nous avons affaire : le fond, s’il peut sembler complexe, est servi par une écriture
limpide et une intrigue linéaire dans laquelle il nous embarque sans
peine. Et si énigme il y a, on finit par considérer sa
résolution comme accessoire.
Guy Roland quitte l’Agence où il exerçait comme enquêteur
privé depuis dix ans, son employeur et ami Hutte prenant sa retraite. Cette
nouvelle disponibilité va lui permettre de consacrer ses compétences d’investigateur
à une quête plus personnelle, afin de tenter de retrouver la mémoire d’un passé
dont il a tout oublié, y compris son identité (Guy Roland étant le patronyme
dont l’a gratifié Hutte lors de son embauche). Dans quelles
circonstances ? Nous ne le saurons pas.
Avec pour seul matériau une photographie sur laquelle il pense
se reconnaître aux côtés d’une jeune femme russe, il remonte peu à peu un fil
fragile car fluctuant, oscillant d’espoirs en fausses pistes. Au gré des
rencontres qu’occasionne sa quête, cette dernière s’enrichit de clichés à la
netteté variable, de numéros de téléphones et d’adresses parisiennes qui mènent
le héros dans des errances parfois marquées d’un sentiment de déjà-vu, de
déclics faisant ressurgir des bribes de souvenirs.
Et ce sont ces errances qui font tout l’intérêt du roman,
déambulations dans le milieu de la nuit ou les bistros et restaurants parisiens où l’on croise des personnages -pianiste
sur le retour, anciennes reines de beauté, gigolos…- souvent plombés d’une
profonde mélancolie, mais qui tous suscitent un intérêt curieux par leur
singularité et les histoires qu’ils ont à raconter. Le narrateur, auditeur
attentif et silencieux, éveille confidences et souvenirs.
Porté par un sentiment permanent de trouble, il ressent
parfois aussi une peur indéfinissable à la vue de certains lieux, peur éveillée
par la mémoire inconsciente mais poreuse à certaine atmosphère des échos laissées
par des événements ou des êtres du passé, qui bientôt dessinent les contours des temps sombres de l’occupation, de la nécessité de la fuite, de la
disparition.
On retrouve ainsi dans ce beau texte l’obsession de Patrick Modiano pour ceux dont les traces se perdent, et en même temps cette conviction qu’il est possible, en traquant le souvenir de l’intangible -le vestige d’une qualité particulière d’air ou de lumière…- autant que celui du palpable, d’en retrouver parfois des bribes.
Je l'ai lu il y a tellement longtemps que j'ai pas mal oublié. Mais je me souviens que j'avais aimé.
RépondreSupprimerJ'ai du mal à me souvenir nettement des romans de Modiano que j'ai lu, en général, et je crois que c'est en partie dû à leur "texture", faite d'incertitudes, d'empreintes plus ou moins tangibles. On en retient davantage la nature de l'atmosphère que les faits qui s'y déroulent..
SupprimerJ'ai vérifié, je l'ai lu (avec Modiano, on peut tout mélanger ^_^), peut-être reviendrai-je à l'auteur, j'ai un titre en tête
RépondreSupprimerTon commentaire va complètement dans le sens de ce que j'ai écrit en réponse à Aifelle.. c'est certain en ce qui me concerne que je reviendrai à Modiano -il y a de quoi faire !-, peut-être avec Un pedigree.
SupprimerJ'ai adoré de chez adoré tant pour le fond que pour la forme qui se conjuguent admirablement. Du très grand art littéraire assurément.
RépondreSupprimerNous sommes bien d'accord !
Supprimerlu et beaucoup aimé à sa sortie et bien des années plus tard, la relecture a été tout aussi forte :-)
RépondreSupprimermon préféré après "Dora Bruder"
Je te rejoins sur ce classement !
SupprimerAh je ne l'ai pas lu celui-ci... mais il est dans la bibliothèque ! Un grand auteur, qui joue des variations sur une musique et qui est inimitable.
RépondreSupprimerComplètement, c'est un romancier dont on reconnait immédiatement le ton.
SupprimerJe n'ai qu'un seul Modiano au compteur; je devrais arrêter de lire tous ces livres "de l'Est" et me concentrer sur ces Français pour me mettre un peu à jour!
RépondreSupprimerAh mais non, comment on fera, nous, pour savoir vers quels auteurs de l'est nous tourner, si tu te mets à lire ce que tout le monde lit ?!!
SupprimerUn écrivain que je ne lis pas souvent, mais j'aime toujours ses romans au charme si particulier...
RépondreSupprimerC'est ça, c'est une valeur sûre, et comme le disait aussi Nathalie, un auteur avec une vraie marque de fabrique.
SupprimerJe croyais avoir déjà mis un commentaire…. Modiano une valeur sûre.
RépondreSupprimerVoilà une affirmation qui fait une belle unanimité...
SupprimerModiano, mon auteur préféré et, pourtant, je ne le chronique jamais. Lire un de ses livres, c'est endossé le vieil imperméable mastic que j'adore et me promener avec lui. Tout est atmosphère... Le dernier m'attend
RépondreSupprimerEt existe-t-il un blog où l'on puisse lire vos chroniques, cher "inconnu" (à moins que derrière cet anonymat se "cache" un visiteur habituel de ces milieux qui a eu des difficultés à déposer son commentaire ??) ..
SupprimerDepuis ma lecture de Dora Bruder, j'ai bien envie de lire d'autres romans de cet auteur...
RépondreSupprimerJe comprends, "Dora Bruder" est (à ce jour en tous cas) mon titre préféré de Modiano ! Et avec la bibliographie fournie de l'auteur, tu as l'embarras du choix ..
SupprimerLu il y a si longtemps. Mais je m'en souviens encore...
RépondreSupprimerJe crois que c'est tout le "paradoxe Modiano" : nous imprégner avec des incertitudes et des hypothèses..
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