"A l’ombre des loups" - Alvydas Šlepikas
C’est notamment le cas de Heinz, jeune adolescent parti en Lituanie où, errant de ferme en ferme, il propose ses services contre quelques pommes de terre ou, plus rarement, un morceau de lard. Il assure ainsi la survie de ses frères et sœurs qui, restés en Allemagne avec leur mère Eva, vivent dans leur remise depuis que leur maison est occupée par la famille d’un officier russe. Les expédients et le peu d’entraide qui s’organise entre proches suffisent à peine à tenir jusqu’au lendemain. On se résigne à manger des rats, et certains parents en arrivent à offrir un de leurs enfants comme main-d’œuvre à de parfaits inconnus pour pouvoir sauver les autres.
Constamment pris de vertiges liés à la faim, englués dans un quotidien qu’ils ne parviennent plus à distinguer de leurs cauchemars, ils ont en plus à subir la crainte des soldats russes qui, guidés par profond désir de vengeance et endurcis par plusieurs années guerre violente, violent et brutalisent.
Alvydas Šlepikas précise dans sa postface s’être inspiré pour écrire ce titre d’une réalité méconnue des allemands eux-mêmes, celle de la multitude de gamins, souvent orphelins, qui lors de cette débâcle rôdaient entre villes et campagnes en quête de nourriture, mendiant et volant. Parce qu’ils trouvaient refuge dans la forêt, on les appelait des wolfskinder, des "enfants-loups".
En un style sobre et percutant, il fait naître des images terribles, représentatives de cet univers où l’horreur est devenue la norme et rend prégnant l’étrange et asservissant désespoir mêlé d’impuissance qui mène à la résignation, puis au désir de mourir, de ces vaincus que l’on écrase sans humanité.
Un sujet très intéressant et un texte frappant, donc. Je dois toutefois mentionner être restée sur ma faim : dans sa deuxième moitié, l’intrigue prend plusieurs directions que l’auteur ne mène pas à leur terme. Cela m’a laissé, une fois la dernière page refermée, une impression de roman "tronqué".
Dommage.
Mois de l'Europe de l'Est, chez Patrice & Eva.
Petit Bac 2022, catégorie ANIMAL.
Commentaires
Je pense que l'auteur est resté sur la réserve car il est toujours très malvenu de critiquer les exactions communistes... cela prend une connotation particulière depuis l'invasion de l'Ukraine :-)
(...) oui, je viens de retrouver son billet : http://yspaddaden.com/2020/01/31/loiseau-bariole-de-jerzy-kosinski/
Quant au fait qu'il manque de contextualisation, c'est un reproche qui ne m'est pas venu à l'esprit : le choix de l'auteur est de se focaliser sur le seul aspect du quotidien, à un moment T (ou M ?!), de ses héros, en les détachant en effet de tout cadre historique. Peut-on le lui reprocher, dans la mesure où son texte est une fiction, et non un récit historique ?