LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"A l’ombre des loups" - Alvydas Šlepikas

"Dans ce pays sombre, la forêt sans fin encercle les fermes et les villages comme un mur noir. Les loups ne craignent plus les hommes – ils se nourrissent de leurs cadavres gelés.
Les routes en sont pleines."

Alvydas Šlepikas nous propose avec son roman un changement de perspective : l’horreur de la Seconde Guerre Mondiale du point de vue de victimes allemandes. On est à la fin du conflit. Les armées du Reich sont en pleine débandade, poussées par les troupes soviétiques qui progressent inéluctablement vers l’ouest. Les habitants des confins est de l’Empire allemand, en Prusse-Orientale, sont chassés de leurs maisons. Affamés et exposés à un froid intense, ils craignent par ailleurs les représailles des soldats soviétiques. Leur seul espoir est de gagner la Lituanie pour trouver de quoi se nourrir. Comme toujours, les plus vulnérables sont les femmes et les enfants. Mais ce sont aussi ces derniers qui trouvent le courage de passer la frontière en quête de nourriture.

C’est notamment le cas de Heinz, jeune adolescent parti en Lituanie où, errant de ferme en ferme, il propose ses services contre quelques pommes de terre ou, plus rarement, un morceau de lard. Il assure ainsi la survie de ses frères et sœurs qui, restés en Allemagne avec leur mère Eva, vivent dans leur remise depuis que leur maison est occupée par la famille d’un officier russe. Les expédients et le peu d’entraide qui s’organise entre proches suffisent à peine à tenir jusqu’au lendemain. On se résigne à manger des rats, et certains parents en arrivent à offrir un de leurs enfants comme main-d’œuvre à de parfaits inconnus pour pouvoir sauver les autres. 

Constamment pris de vertiges liés à la faim, englués dans un quotidien qu’ils ne parviennent plus à distinguer de leurs cauchemars, ils ont en plus à subir la crainte des soldats russes qui, guidés par profond désir de vengeance et endurcis par plusieurs années guerre violente, violent et brutalisent.

Alvydas Šlepikas précise dans sa postface s’être inspiré pour écrire ce titre d’une réalité méconnue des allemands eux-mêmes, celle de la multitude de gamins, souvent orphelins, qui lors de cette débâcle rôdaient entre villes et campagnes en quête de nourriture, mendiant et volant. Parce qu’ils trouvaient refuge dans la forêt, on les appelait des wolfskinder, des "enfants-loups".

En un style sobre et percutant, il fait naître des images terribles, représentatives de cet univers où l’horreur est devenue la norme et rend prégnant l’étrange et asservissant désespoir mêlé d’impuissance qui mène à la résignation, puis au désir de mourir, de ces vaincus que l’on écrase sans humanité.

Un sujet très intéressant et un texte frappant, donc. Je dois toutefois mentionner être restée sur ma faim : dans sa deuxième moitié, l’intrigue prend plusieurs directions que l’auteur ne mène pas à leur terme. Cela m’a laissé, une fois la dernière page refermée, une impression de roman "tronqué".

Dommage.

Mois de l'Europe de l'Est, chez Patrice & Eva.


Petit Bac 2022, catégorie ANIMAL.

Commentaires

  1. Je m'étais réjoui à l'époque qu'un livre lituanien soit traduit en français et qu'il y ait de l'écho autour de lui. Il est toujours sur ma liste même si je note tes réserves ; ce sont des épisodes de l'Histoire moins connus qu'il est très intéressant de découvrir. Merci pour ces nouvelle contribution à notre mois thématique !

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    1. Je ne regrette pas ma lecture malgré mes bémols, ne serait-ce que pour sa dimension instructive. Et puis, c'est un titre très court.

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  2. Je ne sais plus où j'ai lu récemment que c'était un aspect encore tabou, la fin de la guerre en Allemagne et les souffrances du peuple, qui ne pouvait pas se plaindre puisque c'était un "juste" retour des choses aux atrocités qu'ils avaient commises ailleurs. Dommage que le roman ne soit pas trop réussi.

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    1. Il commence très bien, mais vers son milieu, l'auteur part dans plusieurs directions, pour n'en suivre presque aucune, finalement. Mais il reste intéressant, et certains passages sont assez forts.

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  3. je l'ai lu l'an dernier et c'était une découverte pour moi, le sort des Allemands et des enfants-loups sous le joug communiste! il m'a laissé un souvenir fort, malgré les "égarements" de la partie terminale...
    Je pense que l'auteur est resté sur la réserve car il est toujours très malvenu de critiquer les exactions communistes... cela prend une connotation particulière depuis l'invasion de l'Ukraine :-)

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    1. Moi aussi j'ai découvert cette triste facette de l'Histoire avec ce titre, et rien que pour ça, je suis contente de l'avoir lu..

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  4. Je le note malgré tes réserves, le point de vue semble inédit, du moins jusqu'alors dans mes lectures.

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    1. Oui, c'est son principal intérêt, en plus, soyons juste, d'une écriture sobre mais frappante. C'est juste la structure narrative qui m'a gênée, car je l'ai trouvée inaboutie. Mais comme je l'écris en réponse à Patrice, c'est par ailleurs un texte court, qui se lit vite.

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  5. c'est vrai que les allemands ont souffert après la guerre et surtout ceux qui sont tombés sous la botte russe mais c'était trop dur de les plaindre après la guerre aujourd'hui c'est plus facile de revenir sur cette période et surtout on connaît mieux la violence russe ...

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    1. Oui, tu as raison de souligner que le recul change considérablement la vision que l'on a des événements...

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  6. Dès le début de ton billet je me suis dit qu'il fallait que je procure ce texte et puis ta déception finale, mais tout de même, je le note... J'aime lire des points de vue sur des événements historiques dont on parle souvent que sous un seul angle.

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    1. Tu peux le lire tout de même : étant prévenue sur ces "raccourcis narratifs", ils te gêneront peut-être moins que moi, et puis il a des qualités aussi...

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  7. Encore une découverte instructive !

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  8. ayant étudié l'histoire du côté russe, du côté français, je savais que les Allemands - enfin, certains ont beaucoup souffert à la fin de la guerre... Malheureusement, leurs soldats avaient fait tellement de mal aux populations (lithuaniennes), les soldats "vainqueurs" se sont bien vengés... Mais bon, ça arrive à chaque fois, des deux côtés... la guerre est impitoyable. Je le note aussi car on trouve peu d'ouvrages lithuaniens.

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    1. C'est d'ailleurs ce qui m'a convaincue de le lire, le fait qu'il soit lituanien.. et tu as malheureusement raison, quel que soit le camp, la guerre est souvent l'occasion pour les "mauvais instincts" de l'homme, de s'exprimer...

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  9. Dommage que le livre ne soit pas complètement réussi ! Il me rappelle L'oiseau bariolé.

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    1. Oui c'est dommage parce qu'il est très intéressant et bien écrit. Je n'ai pas vraiment compris le choix de l'auteur, de laisser en plan certaines parties du récit... Je crois que j'avais noté "L'oiseau bariolé" chez Sandrine, il y a longtemps. Ce n'est pas ce titre qui a fait polémique quant à sa véracité ?
      (...) oui, je viens de retrouver son billet : http://yspaddaden.com/2020/01/31/loiseau-bariole-de-jerzy-kosinski/

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  10. Je viens de lire A l'ombre des loups et je suis plus positive que toi, même si, bien sûr, j'ai regretté de ne pas savoir davantage sur les autres personnages. Oui, Jerzy Kosinski aurait menti sur les gens qui l'ont reçueilli et qui n'étaient pas comme il les a décrits. Mais après tout c'est un roman, ce n'est pas une autobiographie, et la vie de ces enfants a bien été horrible. Et le talent de l'écrivain est grand !

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    1. Je viens de commenter ton article. Et le billet de Sandrine sur le roman de Kosinski était très positif, je le lirai sans doute un jour..

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  11. J'avais raté ta chronique sur ce roman, j'y viens grâce à celle de Claudia Lucia. Je suis très étonnée que tu qualifies le style de sobre et percutant. Il est dégoulinant de bons sentiments, caricatural à l'extrême (la bonne épouse, le bon mari...). Et surtout, il n'y a aucun ancrage historique, on ne sait rien sur les divers membres de la famille : quelle était leur position pendant la guerre ? étaient-ils nazis ? non vraiment, j'ai trouvé ce roman très mauvais.

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    1. Je t'avoue que je n'ai pas gardé grand-chose de cette lecture après quelques mois écoulés, mais en relisant mon billet, je n'ai incontestablement pas eu le même ressenti que toi sur l'écriture, dont j'ai gardé le vague souvenir d'un rythme vif, de quelque chose de tranchant.
      Quant au fait qu'il manque de contextualisation, c'est un reproche qui ne m'est pas venu à l'esprit : le choix de l'auteur est de se focaliser sur le seul aspect du quotidien, à un moment T (ou M ?!), de ses héros, en les détachant en effet de tout cadre historique. Peut-on le lui reprocher, dans la mesure où son texte est une fiction, et non un récit historique ?

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