LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La fille qu’on appelle" - Tanguy Viel

"(…) dans un monde normal on n’aurait jamais dû se rencontrer.
Un monde normal… mais qu’est-ce que vous appelez un monde normal ? ils ont demandé.
Je ne sais pas… Un monde où chacun reste à sa place".

Laura, vingt ans, fait face à deux policiers dans le bureau d’un commissariat d’une ville de bord de mer, qui ressemble à s’y méprendre à Saint-Malo. Elle est là pour déposer plainte, même si ce n’est pas évident d’emblée, tant le témoignage qu’elle déroule s’orne de digressions, de considérations parfois surprenantes.  Et puis elle a une attitude un peu désaffectée, comme si se elle regardait elle-même raconter son histoire, commentant ses erreurs, analysant en même temps qu’elle le décrit son propre comportement. En même temps, cette étrange attitude pare sa démarche d’une spontanéité qui la rend sincère. Elle le dit d’ailleurs elle-même, elle veut être honnête, pour une fois ne pas mentir, "il faut dire les choses telles qu’elles eurent lieu".

Ses interlocuteurs s’impatientent un peu. Le lecteur aussi. A l’unisson de la sinueuse logorrhée de son héroïne, Tanguy Viel enrobe, chantourne. Chaque geste, pensée ou événements, sont l’occasion d’un examen qui semble parfois trop approfondi au regard de leur banalité, ce qui force la concentration, et détache un peu du propos. Et puis le temps de s’accoutumer, peut-être, à sa prose, on s’y glisse, un peu comme dans un vêtement qu’on a du mal à enfiler car il est à la fois trop ajusté et compliqué de lacets ou de fermetures éclair, mais une fois qu’on est dedans, on s’y sent bien au point de l’oublier.

Alors, on se refocalise sur l’intrigue. La plainte, donc. Une sordide histoire d’abus de faiblesse, Laura ayant sollicité le maire de la commune pour l’obtention d’un logement sur les conseils de son père, chauffeur depuis dix ans dudit maire. Elle s’est alors retrouvée prise au piège d’un chantage tacite facilité par l’emprise à la fois sociale, générationnelle, et masculine exercée par l’édile sur cette jeune fille qui n’a d’ailleurs à aucun moment dit "non", parce qu’il ne lui est même pas venu à l’esprit qu’elle était en droit de le faire. Est-ce parce qu’elle savait ne pas être la victime idéale ? Car il fut un temps où son corps d’adolescente encore mineure s’est étalé en sous-vêtements sur les affiches des abribus, avant d’être exposé dans des publications plus discrètes, cette fois totalement dénudé, ce qui n'a pas pu échappé au maire.

Et puis il y a le père, Max Le Corre, boxeur sur le retour à deux doigts de renouer avec la célébrité : après un long passage à vide il vient de remporter, à quarante ans, son trente-cinquième combat, et les journaux annoncent le prochain comme la concrétisation de sa renaissance. Une renaissance bienvenue car il ne lui reste rien des gains de sa gloire passée. Max a tout flambé. Projeté dans un milieu qui n’était pas le sien, celui de la nuit et des excès en tout genre, il n’a pas su garder la tête froide. En attendant, il conduit monsieur le maire. Ce dernier lui doit bien ça, après avoir lui aussi récolté les fruits de la célébrité du boxeur, tout comme son ami Franck Bellec, directeur du casino que ses magouilles et ses accointances avec les pontes de la municipalité ont fait surnommer "le grand argentier de la ville", le casino étant lui-même désigné comme le "ministère des finances". C’est d’ailleurs au dernier étage de l’établissement, dans l’un des appartements réservés à ses employés, que le maire a déniché un logement pour Laura.  

Un contexte explosif, Laura étant "le baril de poudre introduit dans le casino, Max l’allumette qui ne demande qu’à être craquée". La tension nous envahit, l’intrigue s’acheminant vers une inéluctable et triste issue.

"En un sens c’est heureux que le corps se souvienne et crie à l’empoisonnement en vous faisant vomir dans les chiottes d’un train".


Un autre titre pour découvrir Tanguy Viel : La disparition de Jim Sullivan (qui, je précise, ne m'a vraiment pas emballée...)

Petit Bac 2022, catégorie FAMILLE

Commentaires

  1. Eh bien je n'ai encore jamais lu Tanguy Viel, quelle lacune ! Mais je pensais que c'était plus drôle que ça, le titre dont tu parles semble bien sombre (en fait, j'en ai un peu marre des auteurs qui écrivent des romans dans l'air du temps, comme en ce moment les histoires d'abus sexuels). J'ai retrouvé il y a peu une vieille liste de livres à lire sur un compte de bibliothèque et dessus il y avait "Article 353 du code pénal".

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Est-ce vraiment une lacune ? Je n'en suis pas certaine, je reste dubitative sur le style de ce titre, et le précédent que j'ai lu ne m'avait vraiment pas convaincue. Mais sa bibliographie est vaste et je suis loin d'être une connaisseuse..
      Et je comprends ta lassitude sur les "sujets à tendance", je la ressens un peu aussi...

      Supprimer
  2. Je n'ai pas eu l'occasion de lire Tanguy Viel jusqu'ici. J'en conclus que ses livres ne m'attirent pas tant que ça.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne sais trop que te dire, son œuvre a l'air assez variée, peut-être y trouverais-tu ton bonheur ?

      Supprimer
  3. Moi aussi, ce livre ne m'attire pas même si c'est un thème qui s'impose à l'heure actuelle et tant mieux si cela permet de lutter contre ces abus.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'étais pas attirée non plus au départ, et j'ai fini par me laisser convaincre par des avis successifs très positifs. Maintenant, je ne suis pas sûre que je relirai cet auteur...

      Supprimer
  4. Un auteur que j'aime beaucoup (non mais!)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Mais tu en as parfaitement le droit !! Comme je l'écris ci-dessus, je suis consciente de connaître bien peu Tanguy Viel, je suis donc mal placée pour juger l'ensemble de son œuvre..

      Supprimer
  5. Sandrine a raison , on parle beaucoup de ce sujet en ce moment. Mais j'ai trouvé que ce roman décrivait très bien ce que veut dire "l'emprise" et je crois qu'il faut continuer à en parler car il faudra du temps pour faire changer les mentalités.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La thématique du consentement (en effet très d'actualité, mais c'est vrai que c'est une bonne chose) est ici abordée avec subtilité. Et je trouve intéressante la manière d'insister sur la dimension sociale de l'intrigue.

      Supprimer
  6. Et bien comme Keisha, c'est un auteur que j'aime beaucoup, son écriture me ravit à chaque fois...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comme tu l'auras compris en lisant mon billet, son écriture m'a au départ donné un peu de mal, et bien que je m'y sois habituée au fil du récit, je reste dubitative face à ce style à mon avis inutilement alambiqué, qui amoindrit l'efficacité de l'intrigue. Dommage, car d'autres aspects m'ont vraiment plu...

      Supprimer
  7. Encore un auteur que je dois absolument découvrir pfff, je ne sais plus où donner de la tête !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. D'après ma "maigre" expérience le concernant, et si cela peut te rendre service, je dirais que tu peux le considérer comme dispensable...

      Supprimer
  8. J'ai plutôt bien aimé les quelques romans de Tanguy Viel que j'ai lus jusqu'ici. En revanche, au risque de me faire huer (et même si je ne cautionne certainement pas les comportements abusifs), je n'en peu plus de ces histoires de consentement, de harcèlement, de masculinité toxique... auxquels, on a tendance à l'ignorer, nombre de jeunes homos sont confrontés à un moment ou un autre de leurs parcours.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bah zut, j'avais loupé ton commentaire.. je ne te huerais pas, je vois exactement ce que tu veux dire... j'écoutais hier un auteur à la radio (j'ai oublié son nom). Le journaliste le questionnait sur les thèmes "peu dans le vent" de ses romans, et il a raconté qu'un éditeur lui avait un jour suggéré, pour mieux se vendre, d'écrire sur la pédophilie...

      Supprimer
  9. je n'avais pas aimé Jim Sullivan, j'ai vécu aux Etats-Unis, et je trouvais que ça sonnait faux et je n'ai pas été emballée par son style. Après, il a beaucoup de fans ici et situer ses romans en France doit mieux fonctionner. Après, j'aime le choix qu'il fait pour ses sujets même si je n'ai toujours pas envie de le relire

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Sans avoir vécu aux Etats-Unis, j'ai trouvé comme toi que sa démarche manquait de justesse. Et vu mes bémols sur celui-là -et malgré les qualités que je lui ai trouvées-, je ne suis pas sûre de relire cet auteur..

      Supprimer
  10. J’ai beaucoup aimé ce livre, et cette incroyable écriture de Viel …( Une Comete)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il a une écriture particulière, c'est sûr, et un peu déstabilisante, car elle s'attarde sur des points de détail qui ne semblent pas toujours pertinents.. du moins c'est le sentiment que j'ai eu à cette lecture. Mais dans l'ensemble, j'en ressors avec un avis positif, car j'ai été prise par le fil de l'intrigue, et sa tension croissante.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Compte tenu des difficultés pour certains d'entre vous à poster des commentaires, je modère, au cas où cela permettrait de résoudre le problème... N'hésitez pas à me faire part de vos retours d'expérience ! Et si vous échouez à poster votre commentaire, déposez-le via le formulaire de contact du blog.