"L’eau rouge" - Jurica Pavičić
Ceux qui restent.
La police retrouve dans le jardin familial un paquet d’héroïne. Des suspects sont interrogés, puis relâchés, le temps d’ouvrir la porte aux rumeurs et aux soupçons qui, malgré l’absence d’accusation, entacheront définitivement certaines réputations, biaisant les relations, installant un climat de méfiance et de rancune. L’enquête est menée par Gorki, flic empathique et obstiné, fils d’un héros de temps rouges et bientôt révolus. L’affaire Silva Vela se dissout dans le marasme politique et socio-économique qui gangrène la Croatie, annonçant la guerre…
Les Vela, eux, restent pétrifiés dans le temps de l’après disparition.
Vesna entretient une image idéalisée de sa fille et ne parvient pas à dépasser l’état de catatonie qui la maintient des journées entières allongée dans son canapé, incapable de reprendre son travail d’enseignante ou d’assurer l’entretien de la maison. Elle s’imprègne peu à peu d’une aigreur dont elle ne se départira jamais, repliée sur son malheur, comme absente au monde, et perdant toute empathie pour autrui. Les longues absences de Jakov, qui d’abord court les routes pour retrouver sa fille, ne sont plus avec le temps qu’un prétexte pour fuir un foyer dont l’ambiance est devenue insupportable. Pour Mate, témoin de la vulnérabilité et de l’impuissance parentales, la disparition de sa sœur est à l’origine d’une intranquillité qui malgré un mariage puis la naissance d’un enfant ne lui laissera aucun répit, le faisant s’acharner à d’incessantes recherches à travers le monde, sempiternels espoirs systématiquement suivis de désillusions. Au-delà du gouffre creusé par l’absence et de la douleur d’un deuil que l’incertitude rend impossible, il y a aussi la culpabilité qu’alimente le moindre "et si… ?", ou le sentiment de trahison que provoque la découverte des secrets de la disparue, qui amènent par ailleurs à de douloureuses interrogations sur la nature de la relation que l’on avait à l’autre, que l’on croyait à tort connaître par cœur.
Savoir si l’on retrouvera Silva un jour est finalement secondaire, l’intérêt du récit résidant dans l’auscultation des effets de sa disparition sur ceux qui restent, ainsi que dans le contexte accueillant l’intrigue, qui témoigne des mutations qu’a connues la Croatie ces trente dernières années. Après une guerre dont certains ont su tirer profit pour rebattre les cartes de leur destin, place au capitalisme et à sa course à l’argent. La Croatie s’ouvre au tourisme, bétonne sa côte. Misto n’échappe pas à ce climat propice aux investissements, voit fleurir les projets immobiliers qui justifient que d’ancestrales terres agricoles s’achètent à prix d’or…
Un roman qui vaut pour l’attachement et la curiosité que suscitent certains de ses personnages -principaux comme secondaires- et leur évolution dans le temps, ainsi que pour sa toile de fond.
Commentaires
nathalie
Vu le succès des deux premiers titres qui ont été traduits, je ne serais pas étonnée d'en voir d'autres suivre..