LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"L’eau rouge" - Jurica Pavičić

Ceux qui restent.

Croatie, septembre 1989. Dernier automne du communisme. Le village côtier de Misto se prépare comme chaque année à sa fête des pêcheurs, qui sera pour la famille Vela le point de départ d’un interminable cauchemar. Leur fille Silva disparaît dans la nuit du 23 au 24. Elle a dix-sept ans. "L’eau rouge" est le récit de la déflagration puis de la lente érosion que cette disparition provoque dans la vie de ses parents Jakov et Vesna, et de son frère jumeau Mate.

La police retrouve dans le jardin familial un paquet d’héroïne. Des suspects sont interrogés, puis relâchés, le temps d’ouvrir la porte aux rumeurs et aux soupçons qui, malgré l’absence d’accusation, entacheront définitivement certaines réputations, biaisant les relations, installant un climat de méfiance et de rancune. L’enquête est menée par Gorki, flic empathique et obstiné, fils d’un héros de temps rouges et bientôt révolus. L’affaire Silva Vela se dissout dans le marasme politique et socio-économique qui gangrène la Croatie, annonçant la guerre…

Les Vela, eux, restent pétrifiés dans le temps de l’après disparition. 

Vesna entretient une image idéalisée de sa fille et ne parvient pas à dépasser l’état de catatonie qui la maintient des journées entières allongée dans son canapé, incapable de reprendre son travail d’enseignante ou d’assurer l’entretien de la maison. Elle s’imprègne peu à peu d’une aigreur dont elle ne se départira jamais, repliée sur son malheur, comme absente au monde, et perdant toute empathie pour autrui. Les longues absences de Jakov, qui d’abord court les routes pour retrouver sa fille, ne sont plus avec le temps qu’un prétexte pour fuir un foyer dont l’ambiance est devenue insupportable. Pour Mate, témoin de la vulnérabilité et de l’impuissance parentales, la disparition de sa sœur est à l’origine d’une intranquillité qui malgré un mariage puis la naissance d’un enfant ne lui laissera aucun répit, le faisant s’acharner à d’incessantes recherches à travers le monde, sempiternels espoirs systématiquement suivis de désillusions. Au-delà du gouffre creusé par l’absence et de la douleur d’un deuil que l’incertitude rend impossible, il y a aussi la culpabilité qu’alimente le moindre "et si… ?", ou le sentiment de trahison que provoque la découverte des secrets de la disparue, qui amènent par ailleurs à de douloureuses interrogations sur la nature de la relation que l’on avait à l’autre, que l’on croyait à tort connaître par cœur.

Savoir si l’on retrouvera Silva un jour est finalement secondaire, l’intérêt du récit résidant dans l’auscultation des effets de sa disparition sur ceux qui restent, ainsi que dans le contexte accueillant l’intrigue, qui témoigne des mutations qu’a connues la Croatie ces trente dernières années. Après une guerre dont certains ont su tirer profit pour rebattre les cartes de leur destin, place au capitalisme et à sa course à l’argent. La Croatie s’ouvre au tourisme, bétonne sa côte. Misto n’échappe pas à ce climat propice aux investissements, voit fleurir les projets immobiliers qui justifient que d’ancestrales terres agricoles s’achètent à prix d’or…

Un roman qui vaut pour l’attachement et la curiosité que suscitent certains de ses personnages -principaux comme secondaires- et leur évolution dans le temps, ainsi que pour sa toile de fond.

J’ai en revanche été parfois agacée par certaines lourdeurs stylistiques, notamment des descriptions superflues de gestes anodins et sans apport pour l’intrigue (de savoir que tel héros enfile son manteau ou que tel autre met ses clés dans ses poches est sans intérêt…).



Une nouvelle participation au Mois de l'Europe de l'Est, chez Patrice & Eva :


Petit Bac 2023, catégorie COULEUR

Commentaires

  1. Pas assez enthousiaste, dis donc.

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    1. Euh, j'ai plutôt aimé pourtant, malgré ces "limites" stylistiques que je pointe = ce n'est pas tout le temps, et le fond reste prenant malgré tout..

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  2. J'ai plutôt aimé ce roman, et les lourdeurs de style ne m'ont pas gênée. Ce genre de détails sont fréquents dans les romans policiers, mais si parfois cela se justifie pour fournir des indices au lecteur, là, cela semble moins évident.

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    1. Cela m'a gênée de temps en temps... ta remarque est assez juste, on retrouve pas mal ce style descriptif dans les polars, la difficulté consistant sans doute à trouver le bon équilibre entre efficacité et pertinence. Il me semble que les auteurs de polars américains sont souvent plus habiles dans ce domaine.

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  3. Si c'est un policier, j'avoue être moins gênée par les tics de langue, si je prise par l'histoire. Donc pourquoi pas, cela me changerait.
    nathalie

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    1. Comme je le précise en commentaire, malgré mon agacement (ponctuel), j'ai dans l'ensemble apprécié cette lecture, l'intrigue est plutôt bien menée, et le contexte intéressant.

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  4. Repéré chez Kathel. Je ne connais rien à la Croatie, donc je l'avais noté.

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    1. C'est un bon titre pour aborder la littérature contemporaine de ce pays, et je crois que le suivant (La femme du deuxième étage) est pas mal aussi..

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  5. Comme Nathalie, je suis généralement bon public lorsqu'il s'agit de polars. Je pense que je vais finir par lire celui-ci ou autre de cet auteur car j'en entend beaucoup parler depuis quelque temps.

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  6. Voilà une autrice abondamment chroniquée cette année ; Eva l'avait lu et apprécié mais elle a encore préféré le second opus de l'auteur qui est récemment sorti.

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    1. J'ai vu qu'Athalie faisait la même erreur sur ton blog = contrairement à ce que son prénom peut laisser supposer, Jurica est un homme !

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    2. Oh, quelle erreur, merci de me l'avoir souligné !

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    3. Et j'ai noté La femme du deuxième étage, j'attends juste sa sortie poche.

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  7. Je l'ai lu sans déplaisir mais sans non plus être captivée...

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    1. Je suis d'accord, c'est un bon roman mais pas un coup de cœur. Ceci dit, je reste curieuse de son dernier titre...

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  8. Ah je l'avais noté celui-là. Un polar croate avec autant de prix ne pouvait qu'attiser ma curiosité.:)

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    1. Je pense qu'il te plaira, c'est un roman qui suscite un intérêt au-delà de son intrigue policière, finalament secondaire.

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  9. J'ai été tellement prise par l'intrigue que je n'ai pas fait attention aux fautes de style. J'en garde un bon souvenir et j'ai lu depuis "la femme du deuxième étage", à lire également.

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    1. J'ai en effet noté son dernier titre, dont j'attends qu'il sorte en poche.

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  10. J'ai adoré ce roman ! Et je crois que les détails à la con et insignifiants sont ma tasse de thé (un peu à la façon Mankell dont j'aime tellement les polars)

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    1. Ah mais cela explique peut-être pourquoi j'ai du mal avec Mankell ! Bon, cette petite limite stylistique mise à part, j'ai apprécié, tout de même...

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  11. Mon commentaire d'hier semble ne pas être passé. Je devais y dire en substance que le genre policier est un bon moyen d'entrer dans la littérature d'un pays : même tueurs, même voleurs, même salauds, on n'est pas dépaysés...

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    1. Oui, d'autant plus que c'est un genre qui laisse souvent une belle place au contexte social..

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  12. Intéressantes toutes ces critiques et remarques ! Je viens de terminer ce livre et c'est avec beaucoup de regret que je l'ai refermé : Je me suis attachée à tous ces personnages ! C'est d'ailleurs le point fort de ce roman, s'attacher aux personnages plutôt qu'aux faits et j'ai aussi beaucoup aimé le fond historique et le fait que tout se passe dans un village. Un grand plaisir de lecture ! Dommage que beaucoup de ses romans ne soient pas traduits en français...

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    1. Nos avis se rejoignent donc beaucoup, tu soulignes tous les éléments que j'ai également appréciés dans ce roman.
      Vu le succès des deux premiers titres qui ont été traduits, je ne serais pas étonnée d'en voir d'autres suivre..

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  13. Comme Kathel, je n'ai pas du tout été gênée par ses lourdeurs de style. A vrai dire, je ne les ai pas remarquées ! Ah! Tu as du mal avec Mankell ? Mais tu as raison de dire que l'intérêt du roman réside dans l'analyse des conséquences de la disparition au niveau des individus, dans la famille et le village et, bien sûr, comment l'intrigue policière va s'inscrire dans le contexte historique tragique lui aussi.

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    1. Oui, sur tous ces points, c'est un roman bien construit, et équilibré : le contexte est explicité pour le coup sans lourdeurs, et le fait que la disparition de Silva ne soit qu'un prétexte à tous ces aspects que tu évoques est subtilement amené.

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