LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"La voix" - Seichō Matsumoto

"(...) à travers le monde, il doit bien y avoir de nombreux crimes restés ignorés et des meurtriers qui courent toujours."

Six récits, publiés entre 1956 et 1958, composent ce recueil. Ils sont liés par des points communs qui leur confèrent parfois une telle ressemblance que quelques jours après la lecture, j’avoue ne pas avoir gardé un souvenir très net de chacun d’entre eux. Tous, (à l’exception d’un) mettent en scène des individus ordinaires, ou du moins sans histoire, qui poussés par la cupidité, la jalousie, ou la crainte de perdre leur situation, deviennent des criminels.

Dans "Le complice", Hikosuke, un ex-représentant de commerce a fait fortune à Fukuoka en montant son propre magasin. Sa réussite est gâchée par son angoisse grandissante à l’idée qu’existe quelque part un individu qui sait que son affaire a été financée grâce au butin d’un cambriolage qui ne fut jamais élucidé. Obsédé par cette angoisse, Hikosuke embauche un détective privé pour retrouver l’homme, et le surveiller.

La même préoccupation tourmente le héros mis en scène dans "Le visage". Acteur dans une troupe de théâtre amateur, il est sélectionné pour jouer un petit rôle dans un film, qui lui ouvre ensuite d’autres opportunités cinématographiques, son "expression impénétrable, froide et indifférente" attirant les metteurs en scène. Mais il y a une ombre -et de taille- au tableau- : ses rêves de célébrité et de richesse risquent d’être contrecarrés à peine réalisés : quelqu’un, quelque part, sait sur lui quelque chose de terrible, et pourrait le confondre en reconnaissant son visage… 

C’est par un aveu écrit que le héros de "Au-dessus de tout soupçon" révèle son crime, hésitant encore quant à la destination de son texte : confession intime restant à jamais secrète, ou lettre adressée à la police ou à un avocat ? Il est en tous cas persuadé d’avoir commis le crime parfait. Il lui a fallu pour cela être très patient…

Dans "Le roman feuilleton", une femme de Tokyo s’abonne à un journal régional, sous prétexte d’y lire le roman feuilleton découvert lors d’un séjour dans la province où il parait. On comprend vite, à la manière quais compulsive dont elle décortique les faits divers, que ce n’est pas le roman qui l’intéresse...

"La collaboratrice d’une revue de haikus" n’évoque a priori pas un crime, puisqu’il y est question de la mort d’une femme malade et gravement condamnée mais il ne faut pas se fier aux apparences…

La nouvelle, enfin, qui a donné son titre au recueil diffère légèrement de celles qui précèdent, le crime dont il y est question étant l’œuvre de malfaiteurs aguerris. Et l’histoire s’attarde cette fois davantage sur la victime, quand elle est dans les autres textes focalisée sur l’assassin.

Dans ces intrigues qui évoquent les tourments d’hommes ou de femmes piégés par les éventuelles conséquences de leurs actes, nulle trace de remords ou de sens moral, les criminels sont uniquement préoccupés de leur impunité et du maintien de conditions d’existence parfois mal acquises, quitte à devoir pour cela perpétrer un nouveau crime. L’ironie veut que bien souvent, c’est de manière plus ou moins directe les actes ou les comportements que guide leur angoisse d’être découverts qui leur sont fatals, et c’est souvent un élément anodin qui les perd, un détail qui turlupine un tiers personnage qui, d’abord saisi d’une vague intuition, va tirer un fil ténu lui permettant finalement de démasquer le criminel. Les intrigues sont ainsi composées comme des puzzles dont les morceaux ne prennent sens qu’une fois assemblés, une chute surprenante venant parfois les colorer d’une touche d’humour noir.

Une lecture plutôt plaisante -j’ai aimé qu’on y prenne souvent le train !-, malgré son empreinte fugace.


Un autre titre pour découvrir Seichō Matsumoto : Tokyo express

Le Mois du Japon, chez Lou et Hilde

Commentaires

  1. Bonjour Ingannmic, j'ai lu ce recueil il y a plusieurs années comme d'autres titres de cet auteur. Il faut remercier les éditions Philippe Picquier qui a fait connaître le polar japonais. Bonne journée.

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    1. Bonjour Dasola, j'ai en effet acheté ce titre en coffret, avec deux autres livres poche de cet auteur (j'avais lu l'an dernier Tokyo express) parmi les plus connus si j'ai bien compris. Les éditions Picquier ont voulu ainsi permettre de découvrir celui que l'on surnomme le "Simenon japonais"... bon, je crois que je préfère Simenon, mais j'ai apprécié d'être, avec ces textes, dans un environnement différent.
      Bon week-end,

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  2. Des nouvelles, alors. Tu fais de bonnes pioches.

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    1. Oui, c'était une lecture plutôt agréable, avec par moments un côté désuet qui n'est pas sans charme (les trains, l'absence de portable...).

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  3. Tiens, des nouvelles policières, ça change !

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    1. C'est exactement ça, c'était l'occasion d'un peu de changement. Je ne dirais pas de dépaysement car le style de Matsumoto, assez factuel (d'où son surnom, sans doute de "Simenon japonais"), et le fait que les intrigues soient focalisées sur les préoccupations de ses personnages, font que l'empreinte du contexte y est peu marquée.

      Et rien à voir (bien qu'on reste en Asie), mais je viens d'ajouter un lien dans le récapitulatif sur Les minorités ethniques vers un article qui présente un roman graphique sur les Ouïghours, cela peut t'intéresser..

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    2. Oui, en effet, on ne peut rien te cacher ! (^_-) Le sujet me touche. Je note dans ma liste à lire. Merci !

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  4. Où l'on retrouve le train... Je crois que je vais quand même en rester à Tokyo Express ( comme pour ce recueil, je me souviens du plaisir de lecture, pas vraiment de l'intrigue ).

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    1. Oui, j'ai l'impression que les horaires de train étaient sa marotte.. je crois que j'ai préféré ce recueil à Tokyo express (je viens de voir que nous l'avions lu ensemble, j'avais oublié !), dont l'aspect très factuel m'avait éloignée des personnages, et il m'avait manqué une atmosphère. Et comme ce titre fait partie d'un coffret de 3, il m'en reste un à lire (Le vase de sable je crois)... mais j'attendrai le prochain Mois japonais.

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  5. J'aime bien les polars de ce romancier, notamment point zéro ou le tokyo express en revanche, je n'avais pas trop aimé ces nouvelles...

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    1. L'aspect répétitif des intrigues peut être un peu agaçant, mais j'ai apprécié l'absence de morale des personnages, et la manière dont la plupart sont démasqués, par des anonymes qui mènent l'enquête d'une manière qui n'est pas sans évoquer une Agatha Christie ...

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  6. Ça ne me paraît pas une lecture indispensable. Alors je passe ..

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  7. Je le prendrai à la médiathèque par curiosité... et plus si affinités.

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    1. C'est une bonne idée : il est court, et on sait assez vite si on adhère ou pas.

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  8. Chouette, des nouvelles, et policières en plus ! Merci!

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    1. Mais avec plaisir cher(e ?) Sacha, et bienvenue ici ! Mon prochain billet présentera aussi un recueil de nouvelles japonais, tirant plus vers le roman noir que le policier...

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    2. C'est Sacha au féminin ;-D

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  9. De cet auteur j'avais aime son "point zero"....alors pourquoi pas ses petites nouvelles...bien intrigantes....je note...;)

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    1. Mais oui, pourquoi pas ? J'ai vu que Maggie avait aimé aussi "Point zéro", je le retiens donc au cas où. Je vais d'abord lire Le vase de sable, et je verrai si j'ai envie de continuer avec l'auteur.

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  10. Ah oui je fais partie des gens qui ont lu Tokyo Express, pas extraordinaire, mais on imagine que ça a du plaire aux voyageurs des trains japonais. Ces nouvelles n'ont pas l'air mal mais je vais sûrement m'en tenir là, sauf si elles croisent mon chemin !
    nathalie

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    1. Comme toi, je n'ai pas été très emballée par Tokyo express, et j'ai préféré ces nouvelles, qui laisse davantage de place aux personnages : dans Tokyo express, ce sont les horaires ferroviaires qui monopolisent l'intrigue !

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