LE RECAPITULATIF DE L'ACTIVITE

"L’apparence du vivant" - Charlotte Bourlard

"Madame remue dans sa chaise, elle veut voir comment on pourrit. Je dépose un euro dans l’herbe. Il résiste. J’ajoute un prospectus sur les Voies de la Vérité. Il enlève le plastique. Ça dégouline. Une flaque de pus arrose quelques pâquerettes. En grattant un peu, il pourrait nourrir les poissons."

Elle est entrée il y a plusieurs années au service du couple Martin, alors qu’elle recherchait des personnes âgées acceptant de se faire photographier nues. Mme Martin a répondu favorablement à sa petite annonce ; elle ne l’a plus quittée. Précisons que le terme de "couple", pour évoquer les Martin, n’est sans doute pas tout à fait approprié, dans la mesure où l’une de ses moitiés n’est plus qu’une enveloppe corporelle empaillée… ce qui n’empêche pas madame de faire comme si monsieur était toujours vivant, lui dressant son couvert à table, mettant ses pantoufles au pied du canapé et se couchant chaque soir à ses côtés pour se blottir dans ses bras. Elle-même se délite, lentement mais sûrement. La femme énergique qu’a connue la narratrice est dorénavant une petite vieille fragile, dont elle prend soin avec tendresse et douceur, consciente qu’elle devra bientôt, lorsqu’elle sera prête et conformément au désir de madame, l’achever.

En attendant, elle peaufine les techniques d’embaumement qu’elle lui a soigneusement enseignées, cet art de ressusciter les morts que permet l’équipement ultra-moderne qu’abrite le troisième étage de la vaste maison des Martin, ancien funérarium.  Quitte, pour s’exercer, à faire disparaître quelque chat du quartier, voire une proie humaine si l’occasion se présente…

Les deux femmes s’astreignent à de quotidiennes et joyeuses escapades dans leur quartier, la jeune transportant parfois la vieille dans une brouette. L’environnement extérieur ne détonne guère avec l’ambiance, qu’elles seraient sans doute les seules à ne pas trouver glauque, de leur maison, zone délaissée de travaux inachevés où même le tram n’a plus envie de passer, trottoirs jonchés de capsules d’azote. Y traîne une faune interlope, comptant entre autres un priapique décomplexé, des témoins de Jéhovah distribuant inlassablement leurs prospectus, un clochard dont la jambe gangrenée embaume les alentours d’une odeur de chairs décomposées…

Elles sont unies par une complicité morbide mais finalement touchante, liées par une fascination commune pour le corps dans son entièreté, leur absence de dégoût pour sa putréfaction, son intimité organique, leur attirance pour tout ce qui répugne aux autres. La vieillesse du corps y est dépeinte, par la voix de la narratrice, sans jugement, les angles du squelette et les os qui saillent, les sillons de la chair abimée, la peau translucide, semblent même faire l’objet d’un amour bouleversé par la vulnérabilité ainsi révélée.

Charlotte Bourlard a, et c’est assez fascinant, le don de faire naître chez le lecteur des sentiments contradictoires, entre l’horreur que suscite l’étrange contrat régissant les rapports entre les deux femmes, et l’attendrissement face au spectacle de la relation, profonde et authentique, qui les unit.

Un roman à ne sans doute pas mettre entre toutes les mains… moi j’ai aimé, l’humour grinçant, la sincérité totale que permet l’absence de toute moralité, la capacité à nous livrer un texte cru, voire violent, sans jamais tomber dans la complaisance, et à dépasser à la fois toute fausse pudeur et toute tentation de voyeurisme.


Une première participation au Mois Belge, chez Anne 

Commentaires

  1. Je n'ai rien contre le vieillissement des corps, mais là, c'est le cerveau qui a l'air d'en avoir pris un sérieux coup !! Je n'ai pas l'estomac pour ce genre de lecture.

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  2. Commencé mais pas fini. J'aime bien ce genre de livre pourtant, un peu dérangeant, mais là, j'avais un peu l'impression de tourner en rond... pas exclu cependant que j'y revienne.

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    1. Ah ? Il est pourtant très court... mais je crois comprendre ce que tu veux dire : le contexte de l'intrigue est certes inhabituel, surprenant, mais une fois posé, il est le cadre d'une routine assez répétitive, en effet. Ca ne m'a pas gênée, c'est une routine que l'écriture rend savoureuse, à la fois glauque et drôle..

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  3. ouh là ! J'aime l'humour noir, l'absence de moralité ne me gêne pas dans ce contexte mais je crois quand même que ce roman est un peu trop morbide pour moi !

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    1. On s'y fait ! ... comme je l'écris en réponse à Sandrine, il est court, ça peut se tenter. Il faut juste avoir par moments le cœur bien accroché ! :)

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  4. Ho ! Ho ! Pourquoi pas…. ? Ca m’a l’air vaguement dans l’esprit de certains romans de Gabrielle Wittkop dont j’ai chroniqué plusieurs livres « très particuliers » !!!

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  5. J'ai l'impression que le thème me mettrait très mal à l'aise comme quand je lis du ogawa...

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    1. Je n'ai lu qu'un titre d'Ogawa (Le petit joueur d'échecs), qui était surtout étrange. Là, on est vraiment dans quelque chose de cru (mais pourtant pas complaisant, les événements découlent naturellement du contexte et de la personnalité des héroïnes) et par moments répugnant... je pense en effet que cela ne peut pas convenir à tous les lecteurs !

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  6. Oh my God !!! C'est fascinant peut-être mais horrible ! Je ne crois pas que ça me plairait non plus mais on peut compter sur toi pour présenter des titres originaux !

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    1. Je trouve ça fort de la part de l'auteure en tous, que de susciter des sentiments vraiment contradictoires chez le lecteur, entre répulsion, fascination malsaine et attachement pour ces deux héroïnes complètement atypiques... et il faut bien le dire, effrayantes !
      Mes prochaines propositions seront plus "classiques"...

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  7. Là, on peut dire que tu commences fort le mois belge. Je crois aussi que ce roman n'est pas pour moi.

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    1. Je ne crois pas non plus !! La suite de mon mois belge sera plus "sage"...

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  8. c'est ... euh ... original en tous cas. Le pire c'est que ça pourrait me plaire. Je ne note pas, s'il croise mon chemin, je le reconnaîtrais à sa couverture :)

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    1. Oui, la couverture est à l'image du texte !! Si tu as l'occasion d'essayer, n'hésite pas en effet, il est en plus très court.

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  9. Cela fait longtemps que je lui tourne autour mais je ne me décide pas. Ton billet va peut-être définitivement me pousser à le lire.

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    1. Tente ! Tu prends peu de risques : il est court et au pire, si tu n'accroches pas, rien ne t'empêches d'abandonner... et ce sera sen tous cas l'occasion d'une expérience atypique..

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  10. Il faut vraiment que je m'y lance ! Merci de me donner la poussée nécessaire ;-)

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    1. C'est une expérience déroutante mais assez fascinante, tu verras...

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