"L’apparence du vivant" - Charlotte Bourlard
"Madame remue dans sa chaise, elle veut voir comment on pourrit. Je dépose un euro dans l’herbe. Il résiste. J’ajoute un prospectus sur les Voies de la Vérité. Il enlève le plastique. Ça dégouline. Une flaque de pus arrose quelques pâquerettes. En grattant un peu, il pourrait nourrir les poissons."
En attendant, elle peaufine les techniques d’embaumement qu’elle lui a soigneusement enseignées, cet art de ressusciter les morts que permet l’équipement ultra-moderne qu’abrite le troisième étage de la vaste maison des Martin, ancien funérarium. Quitte, pour s’exercer, à faire disparaître quelque chat du quartier, voire une proie humaine si l’occasion se présente…
Les deux femmes s’astreignent à de quotidiennes et joyeuses escapades dans leur quartier, la jeune transportant parfois la vieille dans une brouette. L’environnement extérieur ne détonne guère avec l’ambiance, qu’elles seraient sans doute les seules à ne pas trouver glauque, de leur maison, zone délaissée de travaux inachevés où même le tram n’a plus envie de passer, trottoirs jonchés de capsules d’azote. Y traîne une faune interlope, comptant entre autres un priapique décomplexé, des témoins de Jéhovah distribuant inlassablement leurs prospectus, un clochard dont la jambe gangrenée embaume les alentours d’une odeur de chairs décomposées…
Elles sont unies par une complicité morbide mais finalement touchante, liées par une fascination commune pour le corps dans son entièreté, leur absence de dégoût pour sa putréfaction, son intimité organique, leur attirance pour tout ce qui répugne aux autres. La vieillesse du corps y est dépeinte, par la voix de la narratrice, sans jugement, les angles du squelette et les os qui saillent, les sillons de la chair abimée, la peau translucide, semblent même faire l’objet d’un amour bouleversé par la vulnérabilité ainsi révélée.
Charlotte Bourlard a, et c’est assez fascinant, le don de faire naître chez le lecteur des sentiments contradictoires, entre l’horreur que suscite l’étrange contrat régissant les rapports entre les deux femmes, et l’attendrissement face au spectacle de la relation, profonde et authentique, qui les unit.
Commentaires
Mes prochaines propositions seront plus "classiques"...