"Jeu blanc" - Richard Wagamese
"Je découvris qu’être quelqu'un que l'on n'est pas est souvent plus facile que de vivre sa propre vie."
Lorsque nous faisons sa connaissance, Saul Indian Horse, âgé d’une trentaine d’années, est en cure de désintoxication alcoolique. Il a décidé de raconter son histoire.
Ses plus vieux souvenirs sont ceux d’une enfance passée dans la forêt, au sein d’une petite bande dont sa grand-mère Naoni est la matriarche. Ils vivent en quasi-autarcie, dans la terreur de l’étranger blanc qui peut à tout moment venir enlever les enfants pour les placer à l'école. C’est ce qu’il advient de Rachel et Benjamin, sœur et frère de Saul. Incapable de surmonter cette perte, leur mère tombe dans un mutisme dont elle ne sort que pour prononcer le mot "école". Ses parents devenus alcooliques, ils entament une vie d’errance et de misère, d'un village de tentes à l'autre, en quête de boisson. Sa grand-mère le prend sous son aile ; elle lui apprend à chasser, lui raconte des histoires ojibwé, le tient éloigné des adultes lorsqu’ils sont sous l'emprise de l'alcool.
Puis, dans des circonstances que je n’évoquerai pas ici pour ne pas déflorer toute l’intrigue, Saul se retrouve seul, et envoyé à St Jerome’s Indian Residential School, un pensionnat. Il ne reverra jamais sa famille.
"Tout ce que je connaissais d’indien disparut au cours de l’hiver 1961, quand j’avais huit ans. (...) St Jerome’s vola toute la lumière de mon monde".
Là, on force les petits indiens à renier leurs racines et leur identité, à vivre dans l'humiliation et les violences. Enlevé à sa forêt et à son peuple, Saul découvre les corrections, les menaces, les besognes incessantes et l'épuisement, les maladies qui suscitent l'effroi. Le pire, ce sont les assauts nocturnes, ces bruissements mystérieux et terrifiants qui laissent, au matin, des enfants brisés. Il voit certains de ses camarades mourir, de tuberculose, de grippe, de pneumonie, de suicide. Il n'y a jamais d'enterrement : les corps disparaissent, simplement. À force d’entendre dénigrer leur peuple et leur famille, mépriser leur mode de vie et leurs rituels, les pensionnaires finissent par se considérer comme des êtres inférieurs.
"Cette impression d'être indigne, c'est l'Enfer sur terre."
Saul apprend à disparaître en lui-même, à s'isoler. Puis il découvre le hockey, grâce au Père Gaston Leboutilier, qui détonne par sa jeunesse, son sens de l'humour et sa gentillesse. L’homme décèle chez le jeune Ojibwé un don pour ce sport, une vision du jeu hors norme, et le prend sous son aile. Pour Saul, plus qu’une découverte, c’est une libération, la communion avec quelque chose de bien plus grand que lui. Sa douleur de la perte et sa solitude s’effacent avec le lustre de la glace, l'air froid, le bruit de la crosse.
Son ascension est fulgurante, Saul connaît son heure de gloire. Puis il est confronté au racisme.
Arrive un moment où, à travers ce à quoi le renvoient ceux qui ne voient en lui que l’indien, et non le joueur talentueux, il est contraint de s’interroger sur la propre image qu’il a de lui-même. Le jeu est devenu un combat violent, à l’encontre de sa vision du sport, et il n’y trouve plus aucune joie. Il se rend compte qu'il se perd, se sent démuni face à la colère qui bouillonne en lui, à cette part de rage qui ne l’a jamais quitté ; il réalise que sa vie n’a jusqu’alors été qu’une fuite en avant, pour échapper à ses souvenirs, et échapper à lui-même. Et c’est sans doute l’épreuve la plus difficile qui l’attend, mais aussi la seule qui pourra le sauver, que celle qui l’amènera à faire la lumière sur les ténèbres de son histoire personnelle.
Commentaires
Rien à voir, mais quand tu rentreras de ton périple en Creuse, tu verras que Brize arrête le challenge des pavés de l'été. On s'était dit qu'on ferait une lecture commune du "Clou" (pas certaine du titre, je l'avais noté sur un de mes trop nombreux carnets ...) On maintient ?
nathalie
J'allais t'écrire aussi, pour Le clou (c'est bien ça). Oui, on maintient (j'ai déjà trouvé le livre en librairie !). Dis-moi ce qui t'arrange comme date, je verrais bien ça pour début juillet ?