"Skiatook Lake" - Jubert & Séverac
Telle est la question qui turlupine Jack Marmont suite à la découverte du cadavre de la jeune femme sur le siège passager du véhicule pulvérisé par une tornade. Ce colosse de deux mètres, atteint d’une obésité morbide qu’il relativise en la qualifiant de simple surcharge pondérale, est depuis peu de retour à Pawhuska, sa ville natale, où son épouse a souhaité qu’ils terminent leurs carrières respectives, elle dans le social, lui au sein de la police tribale, où il officie comme chef-enquêteur.
La victime était une femme sans histoire. La disparition de sa sœur, membre active de la communauté Osage, ajoute à la dimension énigmatique et inquiétante de l’affaire. Malgré une chaleur que son embonpoint rend d’autant plus pénible pour son cœur fragile, Jack se démène pour faire la lumière sur ces événements, persuadé qu’il s’agit d’une affaire criminelle et non d’un accident. Mais entre les membres du clan naturellement méfiants envers les forces de l’ordre à qui il faut tirer les vers du nez, et les frictions avec la mairie ou le gouvernement de la tribu qui craignent les retombées néfastes d’un meurtre sur le commerce, Marmont doit s’accrocher. D’autant plus que sa hiérarchie a d’autres chats à fouetter, entre le prochain déroulement du Week-end de la Cavalcade -qui verra la population de la ville doubler, et avec elle le nombre de délits et d’infractions- et l’agitation croissante des activistes écolos de la tribu (dont le fils de Jack) qui ont décidé de s’en prendre aux éoliennes implantées sur le terrain d’un gros rancher du coin.
Mais ça tombe bien, Marmont est particulièrement tenace, et n’hésite pas si besoin -au grand dam de ses supérieurs- à recourir à des méthodes peu orthodoxes.
L’enquête, menée tambour battant, et la personnalité gentiment grincheuse du héros embarquent le lecteur sans peine. Elle est aussi l’occasion d’une incursion dans ces terres Osage dont l’histoire bien particulière insère ses fils dans l’intrigue policière. Le sous-sol de leur comté, plus riche en pétrole que tout autre aux Etats-Unis, représente pour les Osages une ressource qui les met partiellement à l’abri de la criminalité et des maux -drogue et alcoolisme notamment- qui gangrènent de nombreuses autres réserves indiennes. On comprend alors le pouvoir du Conseil minier qui répartit cette source de revenus dans la tribu, et dicte sa conduite au gouvernement de Pawhuska. La police tribale elle-même, financée avec la bénédiction dudit Conseil par les casinos Osages, n’est qu’une extension du pouvoir économique de la réserve.
En excitant les convoitises, la manne que représente le pétrole -et aujourd’hui le gaz de schiste-, est ainsi susceptible de se transformer en malédiction… Précisons par ailleurs qu’il ne protège pas les Osages de toutes les humiliations que les Etats-Unis réservent aux indiens, notamment celle de l'aberrante règle juridictionnelle qui habilite le seul FBI (au dépens de la police tribale) à enquêter sur un crime commis par un blanc sur une Indienne. Ce même FBI se contrefichant généralement du sort réservé aux autochtones, il en résulte une quasi immunité qui explique comment des milliers d’Amérindiennes, au Canada comme aux Etats-Unis, continuent chaque année de disparaître dans une totale indifférence. Et même chez les Osages, le poids d’une suprématie blanche qui s’exprime entre autres par des politiques sociales iniques et infantilisantes, génère un sentiment de déclassement qui chez les jeunes se traduit par la difficulté à concilier modernité et tradition, à se réapproprier les héritages du passé dans une démarche constructive et pourvoyeuse de dignité.
Cette riche matière permet aux auteurs d’alimenter une intrigue qui, par excès de sujets abordés, peut parfois paraître un peu foutraque, mais l’intérêt du contexte et le rythme de l’action font que l’on s’accommode facilement de ce (petit) travers.
Oui, les Osages on en a entendu parler avec l livre de D Grann (et maintenant un film)
RépondreSupprimerC'est une tribu au destin atypique. Et l'histoire de ses liens avec l'Occitanie l'est tout autant que celle qui tourne autour de leurs ressources pétrolières !
SupprimerTu as encore dégotté un bon polar, on dirait. Le sujet m'a fait penser un peu à "La Note américaine" de David Grann. Sinon, je ne connaissais pas les liens qui unissaient les les Osages et les Occitans. Le blog que tu as pointé en lien est bourré d'informations. Merci pour le partage.
RépondreSupprimerDégotté, oui, si on peut dire... c'est l'auteur lui-même qui m'a parlé de ce titre sur un salon du livre. Il était venu y présenter son dernier titre jeunesse, Les sœurs lakotas, et de fil en aiguille, on en est venu à évoquer ce polar écrit à quatre mains, ainsi que l'incroyable histoire de ces Osages venus en Europe au début du XIXème siècle...
SupprimerJe n'ai pas lu ce livre de David Grann, je devrais, mais il en sort déjà un autre en France en cette rentrée qui me plaît tout autant.
RépondreSupprimerJ'ignorais qu'Hervé Jubert écrivait aussi pour les adultes désormais.
Ah, tu parles des Naufragés du Wager ? J'ai bien l'intention de le lire aussi. Et Hervé Jubert écrit essentiellement pour la jeunesse, mais il a fait au moins deux incursions dans le polar "adulte" avec ce titre et un autre également co-écrit avec Benoît Séverac ("Wazházhe").
SupprimerLe film de Scorsese va mettre à nouveau cette communauté dans la lumière. Je n'ai pas encore lu le David Grann. J'ajoute celui-ci à la liste.
RépondreSupprimerEt je suppose que ce film aura du succès... le roman de Jubert et Séverac est un bon moyen d'en savoir plus sur les Osages si l'on n'a pas envie de lire l'essai de Grann, qui est dense.. un autre polar traitant du même sujet a été réédité cette année et semble également très bon, si l'on en croie cet avis : https://www.nyctalopes.com/le-sang-noir-de-la-terre-de-linda-hogan-nuage-rouge-editions-du-rocher/
Supprimerquelle horreur le sort de ses femmes indiennes , j'ai déjà lu un roman sur ce sujet.
RépondreSupprimer(PS je ne reçois plus les avis par mail de tes articles donc je ne vais sur ton blog que lorsque tu mets un commentaire sur le mien, ce n'est pas volontaire mais j'oublie sinon, pourtant j'aime bien ton blog)
Oui, c'est révoltant.. J'ai depuis un moment sur ma pile un essai d'Emmanuelle Walter sur le sujet, mais j'avoue que j'ai du mal à l'en sortir...
Supprimer(PS Je t'ai envoyé une invitation à t'abonner aux notifications de publication d'articles à ton adresse : contact@luocine.fr, tu souhaites que je remette l'autre adresse que tu m'avais donnée ?, que j'ai effacée par inadvertance des paramètres, ce qui explique que tu ne reçoives plus de notif)
Je n'ai lu de Séverac qu'un seul titre (très bien : Trafics) et depuis, je veux y revenir, tu me prouves encore qu'il ne faut plus tarder.
RépondreSupprimerAh tiens, je ne connais pas le titre que tu as lu. J'ai aimé les 3 référencés sur ce blog (avec peut-être une petite préférence pour 115) et j'ai sur ma pile son dernier paru en poche, qui a reçu un accueil très positif, Le tableau du peintre juif (je le garde pour les lectures de l'Holocauste, fin janvier).
SupprimerJe n'ai jamis entendu parler de ses "osages". je vais regarder en médiathèque. Et j'ai vu des chroniques top sur les naufragés du wager (en priorité de meslectures si je le trouve)
RépondreSupprimerTu as le choix pour les découvrir, entre le film de Scorcèse, l'essai de Grann ou les deux polars cités ici ! Et comme pour toi, le dernier Grann est sur le podium de mes souhaits de lectures de la dernière rentrée littéraire.
SupprimerJ'ai lu tous les Grann dont évidemment celui sur les Osages et comment les Blancs se sont empressés de leur voler leurs richesses ... Grann est un journaliste d'investigation qui sait raconter des histoires, pour les romans ou polars, je préfère lire des auteurs eux-mêmes natifs mais tu le vends bien !
RépondreSupprimerJe n'ai lu que La note américaine, et un recueil noté chez toi je crois, dont j'ai oublié le titre.. je suis impatiente de découvrir son dernier. Quant à ce titre, les auteurs ont pour l'écrire passé plusieurs mois dans la réserve Osage.
SupprimerJ'ai beaucoup aimé les naufragés du Wager donc j'ai envie de lire Le livre de David Grann. On parle beaucoup des Osages, en ce moment, avec le film de Scorcese .
RépondreSupprimerOui, le sujet est d'actualité, et je compte bien aller voir le film ! Tout comme j'ai bine l'intention de lire "Les naufragés du Wager" comme je l'ai écris suite à ton billet...
Supprimersignature du précédent billet
RépondreSupprimerJe t'avais reconnue...
SupprimerC'est vrai que ce roman aborde énormément de thématiques mais j'espère aussi bien m'y retrouver que toi . Les horreurs et les injustices commises contre les amérindiens sont révoltantes, c'est un véritable génocide en col blanc.
RépondreSupprimerTu devrais en effet y trouver ton compte, l'intrigue est rondement menée, et l'ensemble est enrichissant..
SupprimerJ'ai justement vu hier soir Killers of the flower moon, magnifique et révoltant. (Je n'ai pas lu le livre de David Grann par contre). Cette lecture viendrait à pic pour compléter cette découverte de la communauté Osage et des injustices dont elle a été et est victime.
RépondreSupprimerSi tu peux, lis aussi l'essai de Grann, il comprend des aspects passionnants qui n'ont pas été intégrés dans le film, notamment toute la partie concernant le FBI naissant, et la personnalité atypique de son enquêteur..
SupprimerEn effet, cet aspect était survolé et ça m'intéresse beaucoup aussi. Ce David Grann semble bourré de talent en plus de bien choisir ses sujets.
SupprimerTout à fait, son dernier titre a l'air tout aussi excellent, et j'ai bien l'intention de le lire..
Supprimerpareil ! je suis fan de lui !! il peut me remettre à cheval au niveau de la lecture
SupprimerJe me disais, aussi, que cela faisait un moment que tu n'avais pas publié...
SupprimerJe suis fan de Séverac, qui est en plus est un gars absolument génial. leur collaboration (entamée avec Wazhazhe, aussi à propos des Osages) est super. Tous ses romans le sont ;)
RépondreSupprimerJe confirme, pour le gars génial ! J'ai acheté ce titre sur ses conseils, après qu'il ait pris le temps, pendant 20 bonnes minutes, sur un (petit) salon du polar, de me raconter l'histoire qui lie les Osages et l'Occitanie, ainsi que celle de la genèse de ce titre.
SupprimerJ'ai de côté son dernier titre sorti en poche, "Le tableau du peintre juif", qui sur un sujet complètement différent, semble faire une belle unanimité..