"Crasse rose" - Fernanda Trías
"Pour toi qu’est-ce qui compte le plus, la liberté ou la vie ?"
Mais avant de savoir ce qu’est cette "Crasse rose", on se familiarise avec un mystérieux Vent Rouge qui charrie chaleur, odeurs nauséabondes, et une épidémie mortelle qui a contraint une petite ville portuaire au confinement. Lorsqu’il tombe, c’est pour faire place à un brouillard couleur sang lui aussi, qui installe une atmosphère aussi surréaliste qu’angoissante. Le quotidien, surchargé de mesures de sécurité - garder les fenêtres fermées, faire bouillir l’eau deux fois avant de la consommer…- est rythmé par les alertes annonçant ce vent délétère. Les corps des malheureux qui n’ont pu y échapper sont récupérés par des taxis pour être déposés devant le Clínicas, hôpital-sanatorium où sont accueillis tous les malades.
Ne sont restés là que ceux qui n’avaient pas les moyens de se réfugier dans leurs maisons de campagne ou leurs villas sur les hauteurs. Parmi eux la narratrice, qui relate sa survie au jour le jour, notamment sa lutte pour trouver une autre nourriture que les boîtes de Carnomax produites en masse et à bas prix par l’usine de la ville -notre "Crasse rose"-, agglomérat de restes de viande extraite de carcasses d’animaux centrifugées.
Le reste de son temps est accaparé par les personnes dont elle s’occupe : sa mère, installée dans une villa abandonnée dans un quartier lointain de la ville, femme manipulatrice et prompte au jugement avec laquelle les relations sont tendues ; Max, son ex-mari qui, par une inexplicable inconscience est sorti pendant une alerte et tombé malade. Son état étant stationnaire, il est interné, avec ceux que l’on considère comme des raretés statistiques, au "Pavillon des chroniques" du Clínicas. Et puis il y a Mauro, garçon atteint d’un syndrome dont la manifestation la plus spectaculaire est une monstrueuse insatiabilité constituant un trou sans fond qui absorbe tout y compris lui-même. Moyennant finances, elle en a la garde sur des périodes d’un mois au cours desquelles elle surveille l’enfant, tente de le distraire de sa faim et de lui donner un cadre que ses parents détruisent lorsqu’il rentre pour quelques jours chez lui.
L’absence d’explication sur les origines et les circonstances de l'épidémie entretient un sentiment de confusion qui crée comme une osmose avec l’atmosphère brumeuse qui pèse sur la ville. L’orientation prise par le récit est surtout intime et existentielle, se focalisant sur la psychologie de la narratrice plutôt que sur les détails de cet univers apocalyptique. L'héroïne, qui restera anonyme, est comme engluée dans une sorte d’indécision voire de léthargie, tourne en rond dans le carrousel du passé, se complait dans les souvenirs d’un monde qui allait mieux. Elle dissimule à sa mère, qui l’exhorte à partir, le fait qu’elle a déjà mis suffisamment d’argent de côté pour le faire, parce qu’elle est incapable de s’imaginer ailleurs. Alors elle attend, piégée dans un présent qu’on dirait figé, en espérant que le pire n’advienne pas. C’est ainsi sur les effets de la catastrophe sur les individus que s’attarde surtout "Crasse rose". Non pas tant sur la manière dont on y survit, que sur la difficulté à se (re)définir dans un contexte de fin du monde.
Tu avais annoncé la couleur et en effet, ce roman est bien sombre lui aussi.
RépondreSupprimerEt le pire reste à venir...
SupprimerComme tu le sais, je n'ai pas persévéré dans ma lecture, désolée. Je ne suis pas allée très avant mais l'installation m'a semblé vraiment longue et ce qu'elle présente de l'histoire ne m'a pas incitée à en savoir plus...
RépondreSupprimerL'ensemble du récit est assez lent, on est pris dans quelque chose de figé, de vaseux... tu as donc sans doute bien fait de ne pas persévérer.
SupprimerEffectivement, tu annonçais du noir ... Tu tiens parole ! Mais même si elle est habile, la plongée semble vraiment asphyxiante.
RépondreSupprimerOui, et c'est une asphyxie lente, dont on a l'impression qu'elle ne finira jamais... comme je l'écris ci-dessus en réponse à Sacha, le prochain billet sera encore plus sombre...
SupprimerDans ce genre de contexte, je préférerais un personnage actif plutôt que léthargique... ça ne m'inspire guère...
RépondreSupprimerL'héroïne est active pour certaines choses, en lien avec l'immédiateté du quotidien, comme de s'occuper de Mauro, par exemple, mais elle semble éviter en revanche toute prise de décision quant à la direction générale de sa vie..
Supprimerouf en voilà qui ne me tente pas , donc renoncement facile !
RépondreSupprimerJe sais qu'en ce moment tu fuis le noir, donc je confirme : tu peux passer ton chemin !
Supprimerça me tenterait assez, s'il n'y avait cette mise en place un peu longue... dans ton prochain billet, tu vas nous proposer quelque chose d'encore plus glauque, si j'ai bien compris ?
RépondreSupprimerCe n'est pas que la mise en place est longue, en fait toute l'intrigue est prise dans un rythme qui englue, assez lent, qui reflète l'indécision de la narratrice. Cela ne m'a pas gênée, mais il faut savoir qu'en s'engageant dans ce récit, on lira davantage un roman psychologique que post-apocalyptique.
SupprimerEt le prochain, je ne m'en suis pas encore remise, mais il faut dire que ce n'est pas une fiction, ce qui rend son sujet d'autant plus glaçant... par contre, c'est un récit que je recommande !
Je crois comprendre que "la crasse rose" n'a pas de résolution ni d'explication à la fin. Les personnages léthargiques m'énervent un peu en général. Au bout d'un moment j'ai seulement envie de les secouer. Je me demande ce que tu vas nous sortir la prochaine fois puisque c'est pire ...
RépondreSupprimerNon, il n'y a aucune explication sur le contexte, sur comment on y est arrivé. L'intrigue est entièrement centrée sur la narratrice et la manière dont elle réagit à cet environnement. Je pense en effet qu'elle t'agacerait..
SupprimerEt pour la prochaine fois, réponse jeudi ..
J'avais bien aimé ce roman : "Une dystopie loin des effets de peur ou d’angoisse liés à la situation dramatique mais plutôt axée sur l’angle psychologique de la narratrice, ce qui en fait un roman de belle qualité."
RépondreSupprimerFigure-toi que je viens juste de me rappeler que c'est chez toi que j'avais noté ce titre ! Et je rejoins parfaitement ta conclusion, comme tu l'auras compris.
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