"Le cimetière de Prague" - Umberto Eco
"Quelqu'un a dit que le patriotisme est le dernier refuge des canailles : qui n'a pas de principes moraux se drape d'habitude dans une bannière, et les bâtards se réclament toujours de la pureté de leur race. L'identité nationale est la dernière ressource des déshérités. Or le sentiment de l'identité se fonde sur la haine, la haine de qui n'est pas identique. Il faut cultiver la haine comme passion civile. L'ennemi est l'ami des peuples. Il faut toujours quelqu'un à haïr pour se sentir justifié dans sa propre misère."
Lui-même peine à se définir, aux prises avec une amnésie qu’il tente de contrer en racontant son passé, dont le souvenir lui revient par bribes, dans un journal. Sa tâche est contrecarrée par les interventions, dans ce même journal, d’un Abbé Dalla Picola, qui semble s’introduire, lors de ses absences, dont on ne sait si elles sont physiques ou spirituelles, dans son appartement. L’intrus débloque les portes les plus réticentes de sa mémoire, corrige certains de ses souvenirs.
Les prises de parole d’un troisième quidam, Narrateur omniscient qui guide le lecteur en remplissant les vides et en synthétisant certains échanges, parachève la structure labyrinthique d’une intrigue à la véracité par ailleurs fluctuante.
Voilà pour la forme. Le fond est tout aussi dense.
Umberto Eco nous fait traverser la deuxième partie du XIXème siècle, entre France et Italie, nous plongeant au cœur de ses grands événements, du Risorgimento à l’affaire Dreyfus, en passant par la guerre franco-prussienne ou la Commune de Paris. Notre Capitaine s’immisce dans les remous de l’Histoire comme un poisson dans l’eau. Opportuniste et retors, il se fait faussaire, agent de propagande ou espion, s’infiltre dans les mouvements révolutionnaires pour les discréditer, puis n’hésite pas à flouer ses commanditaires. Dénué de toute morale, c’est l’argent qui le motive, notamment parce qu’il est un moyen d’assouvir son obsession pour la bonne chère, dont l’évocation fait à maintes reprises saliver le lecteur. S’il est sans morale, Simonini est porté par une conviction, celle d’un complot juif à l’origine de tous les maux du monde, qu’il s’efforce, à sa modeste échelle, de déjouer… Cet antisémitisme s’insère dans le texte avec une insistance qui résonne comme un signal d’alarme.
L’auteur introduit ainsi dans les arcanes de l’Histoire un personnage fictif qui en devient un des acteurs, et côtoie des célébrités bien réelles du monde politique ou culturel. C’est ainsi notamment qu’il rencontre Alexandre Dumas lors d'une expédition en Sicile, ou qu’il fréquente un certain médicastre nommé Sigmund Froïde, qui se prétend peu attiré, dans le cadre de sa profession, par le sujet du sexe (!).
Ecrit à la manière des feuilletons du XIXème siècle, auxquels il se réfère fréquemment en évoquant entre autres Eugène Sue, le roman mêle érudition et divertissement, multiplie clins d’œil et rebondissements. C’est, il faut le dire, assez étourdissant, jusqu’à ce que les redondances de l’intrigue et des mécaniques doctrinales du héros finissent par rendre l’ensemble un peu indigeste.
C'est bien, tu me confirmes dans ma non-envie de le lire... Trop de brillant et pas assez de roman, trop d'arcanes de l'histoire pour mon goût.
RépondreSupprimerLes bons gros romans d'Eco... J'en ai lu, mais pas celui là...
RépondreSupprimerAh ben zut, c'était bien parti jusqu'à ton dernier mot !
RépondreSupprimerJ'avais commencé ce roman, et je l'avais trouvé trop confus pour moi. Hélas avec Eco, je n'ai jamais retrouvé cet immense plaisir de lecture que m'avait procuré Le nom de la rose !
RépondreSupprimerEt déjà un deuxième pavé ! Je viens juste de terminer le premier ...
Bizarrement à part "Le nom de la rose" que j'ai lu plusieurs fois (et j'ai vu aussi le film évidemment), je n'ai jamais rien lu d'autre d'Umberto Eco. Il faut y remédier c'est certain et tu m'en donnes envie.
RépondreSupprimerCe roman m'a laissé (pour toujours, je crois bien) un sentiment ambivalent. D'un côté, le malaise lié au souvenir d'une lecture laborieuse, dans un univers confus à l'ambiance glauque, que j'ai fini par abandonner après avoir pourtant tenté désespérément de m'y accrocher.
RépondreSupprimerDe l'autre, l'éblouissement d'un voyage en Egypte et de cette descente du Nil pendant laquelle j'avais échangé la version hyperpoche (format très pratique en voyage à une époque où les liseuses n'existaient pas) de Les visages, de Jesse Kellerman pour ce pave (grand format !) d'Eco avec un autre voyageur qui venait de le terminer et se trouvait à court de lecture.
[Fin de notre séquence nostalgie]
Je ne pense pas qu'il soit pour moi !
RépondreSupprimerj'avais lu avec plaisir le NOm de la Rose puis les divers essais de lire Eco m'ont rebutée Le Pendule de Foucault trop brillant trop touffu trop difficile et les autres sont complètement sortis de ma mémoire.
RépondreSupprimerJ'ai lu ce roman, il y a une dizaine d'années, mais il se trouve que j'en ai gardé des notes. Cela m'a permis de constater que nos avis sur ce livre ce rejoignent en de nombreux points. L'ouvrage est érudit, dense, parfois redondant... je l'avis trouvé puissant mais sans réussir à l'aimer.
RépondreSupprimerTu as commencé par me donner très envie. Et puis, quand je lis tes dernières lignes, du coup, je ne sais plus... Mais bon, un gros pavé pour un moment de vacances. Et le sujet est d'actualité par ces temps de ténèbres.
RépondreSupprimerMince, ta dernière phrase me freine... j'avais dans l'idée de le lire, après mon coup de coeur pour Le nom de la rose, mais là, le côté indigeste...bof bof!
RépondreSupprimerDe l'auteur, je n'ai lu que "Le nom de la rose" il y a belle lurette !
RépondreSupprimerPourquoi n'ai-je plus rien tenté après, je n'en sais rien.
Vu la façon dont tu termines ton billet, je pense que je vais oublier celui-ci...
Comme d'autres, je n'ai lu que Le nom de la rose, beaucoup aimé... et là, j'étais ferrée quand tu as parlé d'Eugène Sue, mais le personnage antipathique, et l'ensemble indigeste ? Non, j'ai bien assez à lire ! :)
RépondreSupprimer@Nathalie = c'est bien résumé, il y a dans ce titre pas mal d'éléments en trop, comme si l'auteur avait voulu faire rentrer 20 kilos de bagages dans une valise cabine...
RépondreSupprimer@Keisha = pour l'instant, entre Le Nom de la rose, que j'ai adoré, et ce titre, qui malgré ses qualités, m'a laissé une impression mitigée, je balance = relirai-je un jour Eco ? Je ne sais pas, j'ai quand même l'impression que l'ensemble de son œuvre est assez ardue.
RépondreSupprimer@Sandrine = ma lecture aussi était bien partie, et ce roman a tout de même de grandes qualités (sa forme labyrinthique, son côté feuilletonesque notamment), mais à un moment l'intrigue s'essouffle, et tourne en rond (on a compris que le héros était antisémite et qu'il tirait profit de toute situation toujours plus ou moins de la même manière).
RépondreSupprimer@Athalie = il est confus car trop profus je crois... dommage, j'aimais beaucoup cette idée d'introduire un personnage romanesque dans tous les grands événements d'une période d'Histoire, mais à un moment, la répétition des ressorts d'intrigue a fini par provoquer l'ennui.
RépondreSupprimer@Manou = tu peux en effet tenter, comme je l'écris ci-desus c'est un roman avec de belles qualités. Mais il est trop long et un peu trop "plein", à mon avis. Je serais ceci dit très curieuse d'avoir un autre avis.
RépondreSupprimer@Autist Reading = tu repasses quand tu veux pour déposer ce genre de commentaire, j'aime beaucoup ! J'espère que l'autre voyageur a été plus chanceux avec ect échange = personnellement, j'ai adoré Les visages..
RépondreSupprimer@Thaïs = je n'ai lu que deux titres de l'auteur, et ce n'est pas celui que je recommanderais pour le découvrir.. en revanche, si tu n'as pas lu Le Nom de la rose, je t'encourage à le faire, il est excellent !
RépondreSupprimer@Miriam = il y a semble-t-il unanimité (exception faite de Keisha peut-être ?) sur le fait qu'hormis Le Nom de la rose, c'est un auteur difficilement accessible... parce qu'il aurait tendance à pêcher par excès d'érudition ? Je crois que je vais m'arrêter là, en tous cas.
RépondreSupprimer@je lis je blogue = c'est un roman impressionnant, mais qui aurait vraiment gagné à être "allégé", je crois.
RépondreSupprimer@Cleanthe = sa lecture peut se tenter. Et après tout, je suis allée jusqu'au bout (même si à la fin j'en avais marre !), parce que certains aspects sont tout de même très réussis. Il y a cette ambiance évoquant les romans feuilleton du XIXème, et puis revoir cette période d'Histoire ne m'a pas fait de mal !
RépondreSupprimer@Choup = il ferait 300 pages, je t'inciterait à tenter quand même, mais là...
RépondreSupprimer@Philippe D = cela t'évitera une lecture un peu trop longue, voire fastidieuse dans sa dernière partie..
RépondreSupprimer@Kathel = la balance entre ses aspects positifs et ses lourdeurs penchent un peu trop du côté de ces dernières pour que je tente de te convaincre de changer d'avis..
RépondreSupprimerJ'ai un faible pour cet écrivain aussi mon avis n'est peut-être pas objectif mais j'avais aimé ce roman : "Pour conclure, un gros livre qui se lit comme du Dumas pour l’ampleur des aventures et des personnages et si parfois on perd un peu pied ce n’en est que plus grisant. On retrouve aussi toute l’érudition d’Eco à travers les faits historiques et les quelques mots rares (mais pas trop, ici) dont il a l’habitude de parsemer ses ouvrages et qui font mon régal."
RépondreSupprimercimetière et Prague sont deux mots qui m'attirent d'emblée mais ta conclusion et le fait que ce soit un pavé me freinent complètement.
RépondreSupprimerC'est curieux, ta citation d'ouverture me fait penser à une impression que j'ai eue récemment. Mais où? Était-ce peut-être en suivant les infos???
RépondreSupprimerSinon, je n'ai jamais lu Eco et je ne suis pas non plus très pressée de le lire par rapport à d'autres auteurs. J'espère que ta lecture suivante t'aura davantage plu.
@Le Bouquineur = je suis d'accord sur tous les points que tu évoques. Mais je trouve que le roman souffre d'un problème de "dosage", et que ce qui est au départ en effet grisant, finit par lasser.
RépondreSupprimer@Violette = je chercherais d'autant moins à te convaincre qu'à aucun moment le roman ne nous emmène à Prague !
RépondreSupprimer@Passage à l'Est! = c'est en partie pour ça que je l'ai choisie, et il y a d'autres passages qui résonnent curieusement avec l'actualité, dans le roman... (sans doute parce que certains sujets sont intemporels, malheureusement).
RépondreSupprimerEt sinon, il faut lire Le Nom de la rose !
comme tout le monde, ta dernière phrase ...
RépondreSupprimeren ce moment, je suis noyée sous le travail et je lis beaucoup moins, je n'ai donc pas du tout envie de m'embarquer dans un pavé parfois indigeste mais merci pour le partage.
J'ai adoré l'anecdote d'August Reading
@Electra = tu peux passer, en effet...
RépondreSupprimerÇa me donne envie de le lire. Très bien choisie la citation en ouverture.
RépondreSupprimer@Anne-yes = comme tu l'auras compris, je l'ai trouvé un peu trop long, ou trop dense... mais c'est un roman original, et par moments palpitant.
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