"Autant en emporte le vent" - Tome I – Margaret Mitchell
Encore un de ces titres dont on a tellement entendu parler qu’on a l’impression de l’avoir lu, impression confortée par les souvenirs de sa non moins (voire plus ?) célèbre adaptation filmique. Que me restait-il de cette dernière, vue il y a une bonne quarantaine d’années ? En vrac, la dimension mythique et le caractère houleux du couple O’Hara-Butler, des images d’Atlanta en feu, l’attitude choquante des sudistes vis-à-vis de l’esclavage et des noirs…
Tout cela y est bien, oui…
Nous sommes donc dans le nord de la Géorgie, au début des années 1860. Sa terre rouge est paraît-il la meilleure au monde pour cultiver le coton, ce dont profitent abondamment les planteurs qui y sont installées, pour la plupart depuis plusieurs générations, y menant une vie d’allure idéale. Immenses maisons blanches, champs paisiblement labourés, rivières paresseuses et soleil placide forment le cadre d’une existence douce et confortable, où ce qui compte -hormis de faire pousser du bon coton- est de bien savoir monter à cheval, de danser avec légèreté, d’être galant avec les dames et de tenir l’alcool comme un gentleman. Les plus riches familles forment un microcosme régi par de strictes conventions sociales, où tout le monde se connaît, et où on se marie fréquemment entre cousins. On y méprise, encore plus que les noirs, la racaille blanche que constituent les petites fermiers pauvres des environs. Quant aux premiers, ils sont considérés comme des enfants au sort enviable, puisque habillés, nourris et soignés lorsqu’ils sont malades ou âgés.
Mais cette douceur de vivre -qui ne profite qu’à certains- est menacée… dans le cadre du conflit qui oppose le Nord au Sud, la Géorgie vient de se séparer de l’Union et lève des recrues en prévision d’une guerre qui semble de plus en plus inévitable.
C’est dans ce contexte que nous faisons la connaissance du clan O’Hara, qui tranche un peu parmi l’aristocratie cotonnière de la région, puisque Gerald, le père, a posé les pied sur le continent américain alors qu’il était déjà un jeune homme. Modeste immigré irlandais, n’atteignant pas un mètre soixante, il s’est montré toutefois suffisamment entreprenant et obstiné pour monter sa propre plantation -Tara- et ainsi forcer le respect de ceux qui le considèrent depuis comme leur pair. Son mariage avec Ellen, issue d’une riche famille de Savannah et de vingt-huit ans sa cadette, a définitivement formalisé son acceptation.
L’union de cette aristocrate de la côte à la voix douce et de ce judicieux paysan irlandais à l’esprit terrien a donné trois filles, dont l’une, Scarlett, se détache par sa forte personnalité. Précisons que nous sommes à une époque et dans un milieu où les parents décident pour leurs filles, considérées comme trop nigaudes pour faire leur propre choix. La femme est corsetée, vêtue de manière à dissimuler son corps, et on attend d’elle grâce, douceur et clémence. Au sein des plantations, l’homme possède et la femme administre ; lui s’attribue tous les mérites et sa femme le loue, le soigne et le console, pardonne ses écarts et sa grossièreté.
Gerald a légué à Scarlett son énergie et sa ténacité. Enfant, elle partageait les jeux des petits noirs de la plantation ou des garçons du voisinage, grimpant aux arbres et jetant des pierres. Et si, par ailleurs rétive à toute instruction, elle a retenu des enseignements maternels les artifices pour être séduisante aux yeux des hommes, elle les utilise surtout à son profit, et pour user de son autorité sur ceux qui l’entourent. Et ils sont nombreux, attirés par son charme pétillant. Son désir de ressembler à l’efficace et imperturbable Ellen, sans doute la seule femme pour laquelle elle éprouve affection et admiration, est balayé par son caractère impulsif et rebelle. Devoir faire la sotte et passer pour une petite chose fragile alors qu’elle se sent robuste et pleine de vie, flatter des hommes qui selon elle ne lui arrivent pas à la cheville, la font bouillir. Certes charmeuse, elle peut aussi se montrer capricieuse et colérique. Egocentrique, elle éprouve par ailleurs une haute estime d’elle-même.
Seul le bel Ashley Wilkes suscite sa dévotion. Scarlett brûle d’amour pour ce paisible et beau jeune homme naturellement raffiné, qui dédaigne la chasse et le poker pour les livres et la musique, domaines pour lesquels la jeune femme est aussi ignare qu’indifférente. Ashley ayant annoncé son prochain mariage avec la fade Melanie, Scarlett, désespérée, épouse par dépit le frère de cette dernière, à laquelle elle se lie ainsi pour de nombreuses années.
C’est ainsi que les deux femmes se retrouvent, leurs époux respectifs ayant rejoint le front, à vivre sous le même toit, celui d’une tante de Melanie à Atlanta, d’où est originaire cette dernière. Scarlett a quant à elle rejoint la ville pour échapper à l’ennui.
Née depuis peu, d’abord comme terminus de ligne de chemin de fer, Atlanta a l’irrévérence et la fougue de sa jeunesse. Obstinée et impétueuse, dégageant une sorte d’énergie primitive, la ville ressemble à la jeune femme. Loin des lignes de combat, elle sert, avec ses voies ferrées, de lien entre les armées de la Confédération et le sud plus lointain d’où elles tirent leur approvisionnement. On y compte des bars et des maisons de débauche par dizaines ; réceptions, bals et ventes de charité s’y déroulent chaque semaine, sous la houlette de dames patronnesses qui décident de ce qui est convenable ou non.
Melanie, élevée en bonne fille sudiste à se dévouer aux autres, s’adapte parfaitement aux obligations sociales de sa caste, soignant les combattants blessés et faisant bénéficier tous ceux qui l’entourent -y compris sa belle-sœur à qui elle voue une affection sans bornes, ignorant la haine qu’elle reçoit en retour- d’une gentillesse et d’une générosité inaltérables. Scarlett aussi se plie, pour faciliter son intégration, aux corvées humanitaires, mais ronge son frein, souhaitant la mort de ces soldats puants et gémissants, et furieuse de devoir se soumettre au long isolement que le veuvage impose aux femmes. Car à peine mariée, elle s’est retrouvée veuve de son soldat d’époux, puis mère d’un petit garçon pour lequel elle éprouve peu d’affection.
C’est alors que Rhett Butler entre en scène… Ah, Rhett…
Brièvement aperçu au début du récit, le temps d’être informé de la dimension sulfureuse du personnage et d’un face-à-face quelque peu houleux avec notre héroïne, on le retrouve donc à Atlanta. L’homme est élégant mais empreint d’une assurance insolente et d’une sorte de voracité qui lui confèrent un charisme presque inquiétant. Son intelligence acérée lui permet de percer à jour l’insuffisance et l’hypocrisie, qu’il prend un malin plaisir à pointer de manière subtile, tout en restant extrêmement courtois. C’est aussi un homme de plaisirs, que la morale puritaine qui bride les femmes répugne. Parmi la bonne société d’Atlanta dévouée à la sacro-sainte Cause confédérée, il choque mais s’en moque, assumant son désintérêt pour une guerre selon lui perdue d’avance, mais qui lui permet par ailleurs de s’enrichir. En bon opportuniste, conscient qu’il y a "autant d’argent à tirer du naufrage d’une civilisation que de son édification", il s’est fait forceur de blocus, ce qui arrange bien ses détracteurs et leurs épouses, qui peuvent grâce à lui se procurer denrées de luxe et belles toilettes.
Il convainc Scarlett, en qui il reconnaît une de ses semblables, que s’enterrer vivante n’a pas de sens, et de remiser son veuvage au placard pour se plonger dans l’effervescence d’Atlanta…
Elle, toujours obsédée par Ashley, dont on ignore le sort, peine à démêler les rapports qui la lie à cet homme aussi excitant qu’agaçant, qu’elle est le seul à ne pouvoir ni contrôler ni déstabiliser, et qui souvent la met en rage avec sa franchise et son humour moqueur.
Mais peu à peu, la guerre se rapproche. Le Sud, dépendant du seul coton, n’est pas armé pour le conflit, et voit sa jeunesse fauchée…
J’ai eu au départ un peu de mal à rentrer dans l’intrigue, agacée par ce milieu sudiste dont le racisme et le conservatisme font frémir, et par le personnage égocentrique et suffisant de Scarlett. Puis j’ai progressivement été prise par les rebondissements et le foisonnement de l’histoire, impatiente qu’arrivent les scènes culte que j’avais gardées en mémoire, comme celles des confrontations entre Rhett et Scarlett, pimentées par l’esprit du premier, et la susceptibilité souvent ridicule de la seconde. Fresque historique, "Autant en emporte le vent" capte parfaitement la dimension crépusculaire du mode de vie de ce Sud, archaïque, quasi féodal. Le roman est aussi le portrait sans complaisance d’une femme que son égoïsme et sa sécheresse irritent autant que son refus de se soumettre aux diktats d’une société ultra patriarcale suscite l’admiration. Et puis ce Rhett, là, il ne serait pas un peu féministe ?!
Dans le film Rhett est vieux et la prend quasiment de force...
RépondreSupprimerJe ne l'ai jamais lu mais très envie de le lire, surtout pour cette évocation de la guerre et d'Atlanta. Un monument qui a forgé l'image du Sud idyllique (et pourtant ! C'est la guerre qui révèle l'héroïne !). J'attends la suite !
"Dans le film Rhett est vieux"... : ça c'est dans le Tome II, et encore, ce n'est pas tant qu'il est vieux mais très très fatigué... "et la prend quasiment de force..." : il y a (toujours dans le tome II) une scène certes assez violente, mais c'est un peu plus compliqué que ça, dans le bouquin du moins. J'ai gardé peu de souvenirs du film, mais c'est vrai que ce que j'ai retenu de ma lecture, c'est surtout la chute de ce monde sudiste, dont la plupart des représentants sont assez pathétiques, finalement.
SupprimerJ'ai lu le livre quand j'étais adolescente, je ne m'en souviens plus vraiment. Par contre, j'ai revu le film récemment et la scène de viol conjugal m'a choquée. Je ne sais pas si tu entreras dans plus de détails à ce sujet en parlant de la deuxième partie ?
RépondreSupprimerNon, je ne détaillerai pas, car elle est plutôt vers la fin. Ce qui est certain, c'est que les relations entre Rhett et Scarlett prennent à un moment un tournant terrible, et que la violence est mutuelle, c'est très triste à vrai dire...
SupprimerJe retrouve bien mes impressions dans ta chronique, même si ma lecture remonte à fort loin et était dans une autre traduction. J'ai surtout gardé le souvenir d'un Sud à bout de souffle, incapable de sortir de son système esclavagiste et engoncé dans des conventions sociales quasi victoriennes, Scarlett et Rhett incarnant les réalistes qui peuvent s'en sortir. Et oui, j'y ai vu du féminisme moi aussi :-D.
RépondreSupprimerComme toi, j'ai été marquée par cette atmosphère de monde qui s'éteint sans vouloir l'admettre (aspect qui pour le coup sera plus détaillé dans la 2e partie :). Pour l'aspect féministe, je m'y attendais avec le personnage de Scarlett mais beaucoup moins -voire pas du tout- avec celui de Rhett, qui a une vision des femmes bien plus moderne que la plupart de ses contemporains...
SupprimerBravo pour cette participation en deux temps deux billets! ;-)
RépondreSupprimerJ'ai une vieille édition en deux volumes "livre de poche" depuis des décennies... Je serais curieux de la confronter avec cette "nouvelle traduction".
Cela fait des années que je n'ai pas revu le film.
Je n'ai pas encore lu la BD Gone with the Wind (1er tome paru l'an dernier), je vais l'emprunter cet après-midi en bibli, merci pour l'idée, tiens!
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
La nouvelle traductrice a "adouci", dit-elle, certains passages (notamment trop racistes). On peut lire à ce sujet l'article, intéressant, de Marianne : https://www.marianne.net/culture/autant-en-emporte-le-vent-les-ambiguites-d-un-chef-d-oeuvre.
SupprimerEt j'ignorais qu'il existait une version dessinée, tu me rends très curieuse...
Je l'ai relu il y a quelques années et j'ai bien fait. Je l'ai nettement plus apprécié que dans ma jeunesse. Le film est spectaculaire mais réducteur par rapport au livre.
RépondreSupprimerC'est vrai que le roman impressionne par son foisonnement et, par moments, par son ambivalence (je pense surtout aux relations entre Rhett et Scarlett). J'ai aussi été surprise de la tonalité très sombre en fin de récit.
Supprimerle livre de ma jeunesse et aussi celle de ma mère et une de mes filles a aimé ! quelle transmission ! je l'ai lu et relu et je suis toujours prise par cette histoire . Mais je n'ai plus envie de le relire j'ai trop lu de livres sur la réalité du Sud des Etats-Unis pour plaindre Scarlett
RépondreSupprimerJe ne l'ai pas vraiment plainte non plus. J'ai admiré sa capacité à s'adapter, sa force physique et mentale, mais elle est tellement égoïste et superficielle.. ce qui ne m'a pas empêché d'apprécier grandement ma lecture.
SupprimerLes classiques, ça marche toujours! C'est pour ça qu'ils sont devenus des classiques.
RépondreSupprimerC'est vrai, je le vérifie à chaque fois que j'en lis un !
SupprimerIl y a trèèèèèèès longtemps, ma soeur m'a emmené voir ce film au cinéma. Qu'est-ce que je me suis ennuyé ! Je n'ai jamais trouvé un film aussi long et ennuyeux. Alors, le livre, en plus un pavé, non merci.
RépondreSupprimerJe n'essayerai pas de te le vendre, puisqu'il est en effet très long, bien qu'on ne s'y ennuie pas :).
SupprimerJe l'avais lu ado et j'en garde encore un souvenir fort. J'avais adoré ! Ah Rhett, comme tu dis.:) Il faudrait que je le relise un jour. Finalement, ton activité aurait aussi bien pu démarrer cet été avec ces billets anticipés.^^
RépondreSupprimerJe crois l'avoir lu aussi ado, mais j'avais oublié... c'est en constatant les réminiscences très fortes suscitées par certains passages que j'ai compris qu'il s'agissait sans doute d'une relecture ! Ce qui n'a pas gâché le plaisir.. et tu as raison, on a déjà de quoi alimenter l'activité "Sous les pavés", on considèrera les billets correspondants comme des "avant-premières" !
SupprimerOh, ça fait des années que je pense lire Autant en emporte le vent sans jamais réussir à me décider vraiment. Même la traduction récente chez Gallmeister ne m'a pas suffisamment motivée. Ton billet est une piqure de rappel mais j'attendrai la prochaine session des pavés et des épais de l'été pour lire les 2 tomes.
RépondreSupprimerBonne idée ! Je ne peux pas comparer les deux traductions, mais le texte tel qu'il est rendu ici est vraiment très fluide.
Supprimerj'ai vu le film, mais pas lu le livre, c'est une bonne idée de lecture !
RépondreSupprimerComme presque toujours, le texte est plus foisonnant, et plus complexe que le film. Je m'attendais notamment à détester Rhett Butler, et pas du tout...
SupprimerComme tout le monde je pense, j'ai vu le film quand j'étais ado. Je n'ai jamais lu le livre par contre. Tu me donnerais presque envie de le lire (presque, j'ai beau être friande de pavés généralement, l'épaisseur de ceux-ci me rebute un peu j'avoue). On verra....
RépondreSupprimerC'est un pavé qui se lit facilement, grâce à sa dimension très romanesque, et la fluidité de l'écriture..
SupprimerDeux pavés, en fait, qui se lisent bien et donnent plus de détails que le film
RépondreSupprimerhttps://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2021/05/autant-en-emporte-le-vent.html
J'ai comparé la VF et la VO, intérssant (quand je pense que je l'avais lu aussi en VO, franchement)
Tu es trop forte ! Je n'ai pas accès à ton lien (grrr), mais j'ai le vague souvenir d'avoir lu ton billet lors sa publication..
SupprimerUn beau pavé ! Vu mais jamais lu.
RépondreSupprimerIl me semble qu'il y a dans le roman une ambivalence (de certains personnages) et une complexité qu'on ne retrouve pas vraiment dans le film, mais je l'ai vu il y a très très longtemps...
SupprimerJ'avais laissé un commentaire, en tout cas j'avais cru...
RépondreSupprimerSi, si, tu en as bien laissé un, c'est juste que j'ai peut-être tardé à le valider :)
SupprimerLu à la trentaine avec plaisir. Vu et revu le film, qui m'enchante toujours pour le côté cinématographique et jeu d'acteur mais depuis mon premier visionnage, enfant, mon point de vue a bien sûr beaucoup changé...
RépondreSupprimerJe reverrais bien le film, maintenant...
SupprimerComme souvent, le livre est bien mieux que l'adaptation cinématographique qui en a été faite.
RépondreSupprimerOui, le roman est à la fois plus ample et plus précis...
SupprimerLu il y a très longtemps ... Je me souviens surtout de ma surprise d' avoir été passionnée par ce titre ( et ensuite le film, que j'ai dû voir vingt fois ...) Je ne m'explique toujours pas cette passion d'ailleurs : je pense que Butler n'y était pas pour rien ^-^.
RépondreSupprimerLorsque j'ai vu cette nouvelle traduction, j'ai été tentée et ta note me donne vraiment envie maintenant. Je pense que j'étais passé à côté de l'ambivalence et du crépusculaire, en étant ado.
Je ne m'attendais pas non plus à être aussi ferrée, et oui, le personnage de Rhett a vraiment qq chose de magnétique... mais c'est surtout que le contexte et les personnages sont plus complexes que ce à quoi je m'attendais (notamment dans le Tome 2).
SupprimerJ'ai d'abord lu le livre quand j'étais ado et relu avant de voir le film qui n'était plus projeté en France à l'époque. J'ai aimé les deux. Rhett Butler, Féministe ? Je n'aurais pas dit cela mais oui, dans une certaine mesure.
RépondreSupprimerC'est une question à mettre en lien avec l'époque du récit, bien sûr.. j'ai notamment été assez surprise par sa conviction qu'elles ont autant droit que les hommes à l'indépendance et au plaisir..
Supprimer