"Kérozène" - Adeline Dieudonné

"A peu de choses près, notre civilisation tient sur le respect des actes de propriété. Et des déclarations TVA."

Une nuit d’été. Il est 23 heures passées. Une station-service en bord d’autoroute. En cet instant précis s'y trouvent, "en comptant le cheval mais sans le cadavre", quatorze personnes.

C'est ainsi que ça commence. Comme un rideau s’ouvrant sur un ballet dont les mouvements, composés d’une valse de gestes et de prénoms, nous sont, en l’absence de contexte, incompréhensibles. On ressent un vague paradoxe, suscité par l’opposition entre la trépidation qui émane des allers venues et des changements d’acteurs, et l’immuabilité du lieu, qui se dresse tel un phare dans l’anonymat obscur de l’autoroute. 

Adeline Dieudonné se lance ensuite, scène après scène, dans une entreprise de reconstitution. Elle s’attarde alors sur chacun des personnages, dévoilant les circonstances à l’origine de leur présence en ce lieu et à ce moment : une professeure de pole dance et influenceuse Instagram attachée à l’idéologie darwinienne, mariée à un homme dont elle ne supporte plus la mollesse ; une mannequin éprouvant une haine inextinguible des dauphins et une phobie tout aussi extrême de l’eau ; un dépanneur pratiquant la drague sur l’autoroute en s’aidant des tutos proposés par le site Pirates de la drague ; une Philippine venue se soumettre au joug de riches européens pour assurer la subsistance d’enfants qui ont fini par l’oublier… mais aussi un représentant en acariens, une vieille dame bien plus lucide qu’elle n’en a l’air, un cheval, donc… et la liste ne s’arrête pas là.

Chaque épisode est un concentré d’humour noir. L’incongru s’invite dans la réalité, les situations et les individus déraillent, poussés par de dangereuses obsessions, d’étranges perversions qu’ils pratiquent généralement sans une once de culpabilité, ou des frustrations devenues insupportables. L’auteure exhausse la dimension horrifique et déviante que prend l’expression de leurs traumatismes, mettant ainsi en évidence leur caractère aussi ridicule que terrifiant, nous livrant des scènes souvent malaisantes, et parfois très sanglantes.

On oscille entre rire et effroi… un régal !


Un autre titre pour découvrir Adeline Dieudonné : La vraie vie.

Commentaires

  1. Découvrir cette auteure est un projet ... repoussé hélas, trop à lire!

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    1. Tu as encore le temps... et ses romans sont très courts.

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  2. Je l'ai lu et aimé, il est déroutant et amusant à la fois, c'est une autrice que j'apprécie beaucoup depuis que j'ai lu "la vraie vie" qui m'avait bouleversée...

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    1. Comme toi j'ai aimé les deux, certes différents, mais qui ont en commun d'évoquer des situations tragiques, voire carrément horrifiques, sur un ton inhabituel.

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  3. La fin de ton billet m'inquiète ... et je n'avais pas été spécialement convaincue par son premier roman. Je vais attendre les suivants.

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    1. Elle en a sorti un autre après celui-là ("Reste"), que je ne lirai sans doute pas, car il a suscité pas mal de réserves, y compris parmi les lecteurs ayant apprécié ses titres précédents. Et pour apprécier Kérozène, il faut une appétence pour l'humour très noir, et le grotesque un peu glauque...

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  4. J'ai fait une tentative avec "Reste" je n'ai pas aimé du tout, je ne suis donc pas trop prête à un deuxième essai.

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    1. Comme je l'écris ci-dessus, Reste n'a pas fait l'unanimité, même parmi ses lecteurs habituels. Je reconnais que ses livres sont singuliers, par leurs sujets, et surtout par ce ton à la fois sombre et grinçant. Je trouve personnellement que c'est ce qui fait leur intérêt, mais je peux comprendre que tout le monde n'adhère pas...

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    2. Moi j’ai adoré , mais vraiment adoré «  Reste » totalement insolite, culotté et émouvant …( Une Comète)

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    3. Tu es la deuxième, avec Sandrine, à avoir été emballée... Je vais peut-être finalement me décider à le lire.

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  5. J'ai aimé "reste" qui était déjà bien bizarre, celui-ci devrait me plaire aussi.

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    1. Je me souviens en effet de ton avis positif, un des rares que j'ai lus. Tu devrais en effet adhérer à la bizarrerie de celui-là. Il m'a personnellement bien fait rire !

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  6. Tu as tout dit! J'ai également beaucoup apprécié.

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    1. C'est une excellente lecture pour ceux qui apprécient les textes décalés et l'humour féroce !

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  7. La vraie vie m'avait beaucoup plu sur le moment, mais depuis j'ai tout oublié... Ce n'est pas forcément bon signe mais comme j'aime beaucoup les nouvelles, je pourrais essayer quand même ici.

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    1. Ce ne sont sans doute pas des romans mémorables à long terme, mais le bon moment qu'ils m'ont permis de passer suffiront à me faire volontiers relire cette auteure. Et tu vois, moi qui ai tendance à oublier les fins des livres dès que je les ai terminés, celle de La vraie vie est l'une des rares dont je me souviens ...

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  8. J'avais adoré moi aussi ! Ce n'est pas un "grand" texte évidemment mais un vrai plaisir de lecture. Bon, c'est vrai, il faut aimer l'humour noir ... "Reste" m'a beaucoup déçue par contre.

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    1. Tu as tout dit, pas un chef-d'œuvre (mais en même temps, combien lit-on de chefs-d'œuvre en une vie ?!), mais l'assurance de passer un bon moment pour tous ceux qui aiment les ambiances décalées et férocement drôles... Et je vais sans doute passer, pour Reste (à moins que je ne laisse convaincre par Sandrine).

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    2. J’ai adoré ce recueil noir et jusqu’au-boutiste ! Un vrai régal comme tu dis. J’adore cette autrice!( Une Comète)

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    3. Je vois que tu parles de recueil, et je n'ai pas relevé, dans le commentaire de Sacha, le fait qu'elle évoque des nouvelles. C'est vrai qu'on peut aussi bien le considérer comme un roman que comme un recueil de nouvelles, après tout...

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  9. Un recueil de nouvelles atypique comme cette autrice … la nouvelle sur le dauphin m’a renversée. Elle est très marquante. Moi qui écris des nouvelles, je me dis que j adore ce culot d’écriture et de sujet. Une Comète

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    1. J'aime beaucoup ce terme de "culot", il définit très bien la démarche de l'auteure, qui n'a pas froid aux yeux ! J'ai passé avec ce titre un excellent moment, et je la relirai, c'est sûr..

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  10. Je n'ai pas du tout aimé son premier (des passages m'ont même mis mal à l'aise); je n'ai plus rien lu d'elle après.

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  11. je ne la connais que de nom, et non même ton billet ne me convainc pas encore de sauter le pas ! mais elle a trouvé son lectorat, donc tant mieux

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    1. J'aurais cru que ce genre était susceptible de te plaire, pourtant...

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  12. Je ne sais pas pourquoi, je ne suis pas très attirée par cette autrice. J'avais feuilleté La vraie vie, j'avais trouvé l'écriture bien ficelée, mais pour moi ça sentait un peu trop son procédé de fabrication... Il faut dire que je l'avais découverte dans un Paris Match ou un magazine du genre (dans une salle d'attente je précise 🤭) qui faisait tout un article sur "Ces femmes belges qui osent tout", article qui parlait aussi de la chanteuse Angèle, et ça a sans doute influencé mon jugement... en pas très bon 😂

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    1. J'ai cru un instant que tu faisais ton coming-out en tant que lectrice de Paris Match.. ouf ! (et dans les salles d'attente aussi, je prévois toujours d'avoir un livre :).. C'est un peu délicat de conseiller cette auteure, avec son ton particulier, et ses histoires qui flirte avec le gore... d'un autre côté, ses romans sont courts, ça peut donc se tenter sans un engagement trop important.

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