"Les vagues" - Virginia Woolf
"À qui puis-je confier la tyrannie de ma propre passion ?"
Le premier épisode prend pied dans l’enfance, avec ses passions violentes, ses larmes et ses colères. Déjà se dessine la personnalité de chacun : Bernard, moulin à paroles maladroit et impulsif, qui ne se sent exister qu’en présence des autres et adore raconter des histoires ; Suzanne, pudique et sensible, Rhoda la solitaire, complexée et timide, que la cruauté indigne ; Neville le cérébral, délicat ; la belle Jiny, lumineuse et virevoltante ; enfin Louis, qui se sent différent en raison de son accent australien.
Il y a ensuite le pensionnat, très mal vécu par Suzanne, qui sépare filles et garçons. Ces derniers y côtoient des étudiants vigoureux à la simplicité virile, dont le charismatique Perceval, pas très futé mais solaire et attachant, dont Neville est secrètement amoureux. Les six amis se réunissent à l’occasion de son départ pour les Indes.
Avec l’âge adulte, les occasions de se voir se font plus rares. Chacun trace son chemin, en quête d’épanouissement ou d’un impossible apaisement, composant chacun à sa manière avec son mal-être ou les inévitables meurtrissures infligées par la vie. Suzanne s’accomplit dans la maternité et la tenue de sa ferme, Louis trouve la respectabilité qu’il a toujours recherchée dans sa réalisation professionnelle, Jiny mène à Londres une vie de nouvelle riche…
Les événements importent peu. Le but de l’auteure est, en captant le foisonnement cérébral de ses personnages, d’en saisir surtout les résonances et d’exprimer l’inatteignable complexité des êtres. Le récit est ainsi une alternance de leurs monologues intérieurs, où se mêlent observations, sensations, et raisonnements. Le prosaïque et l’existentiel s’entrelacent. Lors des rencontres, on ne décèle pas toujours ce qui est pensé de ce qui est énoncé, la narration se déroulant en un flux ininterrompu.
La focalisation sur les six protagonistes, auxquels il convient d’ajouter Perceval, qui ne prend pas la parole, mais occupe une place importante dans le récit notamment en tant que repère commun, exclut curieusement tout le reste : des proches extérieurs à ce cercle d’amis (famille, connaissances), nous ne saurons rien. Cela crée une sorte de paradoxe, voire d’opposition, entre l’impression d’avoir parfois affaire à une entité collective, composée de la concaténation des six personnalités, et les manifestations régulières de l’incommunicabilité qui marquent leurs échanges.
Les liens créés au fil des années ont instauré des souvenirs communs et une familiarité qui permet parfois de deviner chez l’autre une émotion qu’il n’a pourtant pas exprimée. Par ailleurs, ils influencent en partie et de diverses manières -par comparaison, affinité ou encore volonté de distanciation- la perception que l’on a de soi-même. Et pourtant, il émane surtout de l’ensemble un fort sentiment de solitude et de tristesse suscitées par l’impossibilité d’atteindre à une compréhension intime et totale des expériences vécues par l’autre, et de la conscience de l’inviolabilité de notre propre subjectivité. A cela s’ajoute la mélancolie face à la fuite du temps, plus prégnante à mesure que l’on avance dans la maturité, et que l’on voit s’annoncer les premiers signes de la vieillesse.
Pourquoi n’ai-je pas encore lu ce texte de l’écrivaine ? Je le note.
RépondreSupprimerMais oui, pourquoi ? Il me semble que c'est un de ses titres les plus connus ?
SupprimerVoilà une belle présentation qui me donne fort envie de rouvrir cette œuvre remarquable, merci.
RépondreSupprimerJe vois que les lecteurs/trices de Virginia Woolf la relisent volontiers. Un jour, mon tour viendra peut-être...
SupprimerUn jour je le relirai... Elle aurait pu être mon auteur chouchou, sauf que j'ai presque tout lu..;
RépondreSupprimerJ'ai encore de la marge, avant d'avoir tout lu ! Là j'enchaîne sur un autre, pour une LC fin janvier...
SupprimerJe sais que ce n'est pas la peine moi et ce roman, je lui en veux personnellement depuis que pour passer un concours, j'ai dû en traduire un passage et me ridiculiser à la lecture de mon travail devant le jury ... J'avais opté pour la description d'une baleine, et c'était un mur de lierre ^-^
RépondreSupprimerTon commentaire m'a bien fait rire en tous cas (comme Sandrine, visiblement)... en même temps, intituler Les vagues un titre où il n'est quasiment jamais question de la mer, normal que tu aies été induite en erreur !
SupprimerDe Virginia Woolf, je n'ai lu qu'un petit texte de fantaisie que j'avais beaucoup apprécié. Ton billet donne envie de mettre le nez dans ses romans.
RépondreSupprimerIl faut essayer, c'est un peu déstabilisant au départ, mais après on s'y installe..
SupprimerJamais lu Virginia Woolf et pour une inexplicable raison, pas envie... heureusement, Athalie est là pour nous faire rire !
RépondreSupprimerC'est une auteure qui ne me faisait pas envie non plus (ce serait même plus juste de dire qu'elle m'effrayait), et j'ai beaucoup aimé le premier titre que j'ai lu, Mrs Dalloway. Pourtant j'ai ensuite laissé passer des années avant de la relire. Mais là, je suis sur une bonne dynamique, et j'essaie de ne pas prendre les murs de lierre pour des baleines (c'est facile, j'admets, quand on lit en version française !)..
SupprimerPour l'instant, je n'ai lu qu'un recueil de nouvelles de la dame, et disons que j'ai su qu'il me faudrait choisir mon moment pour attaquer un roman... Je comprends Athalie, en tout cas, qui passe son tour ! ;-)
RépondreSupprimerSs romans sont dans l'ensemble assez courts, et je trouve que son écriture exerce une indéniable fascination, une fois passées les premières pages qui nécessite toujours un petit temps d'adaptation..
SupprimerCelui-ci je ne l'ai pas encore lu. merci de m'y faire penser
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