"Stella et l’Amérique" - Joseph Incardona

"La seule façon qu'elle avait trouvée de n'appartenir à personne était de se donner à tout le monde."

Stella Thibodeaux n’a pas encore vingt ans. L’auteur le dit lui-même : elle n’est pas très futée, et pas exactement belle… Elle est en revanche éminemment désirable, et surtout, elle a un incroyable don, ainsi qu’elle le réalise lorsqu’un de ses clients, affublé d’une grave pathologie qui le défigure, ressort de leurs ébats en parfaite forme physique. Car je ne vous l’ai pas (encore) dit, mais Stella est une prostituée -et on va voir par la suite que ce détail a son importance. C’est chez elle presque une vocation. Elle officie dans un camping-car qui lui permet de suivre de ville en ville une troupe de forains parmi lesquels elle compte sa seule amie, une vieille voyante mexicaine, traitant les hommes qu’elle y reçoit avec beaucoup d’humanité.

Un autre de ses clients ayant à son tour miraculeusement guéri d’une incurable maladie à l’issue de sa passe, s’en confesse au père Brown, un drôle de curé affublé de la gueule et de la carrure du Robert Mitchum de "La nuit du chasseur" (ça aussi, c’est Incardona qui le dit), qui a conservé d’une précédente carrière chez les Navy Seal des réflexes de soldat d’élite et quelques armes. Le Vatican est aussitôt prévenu, et accueille dans la joie cette nouvelle d’une possible sanctification -voilà enfin l’occasion de revigorer un catholicisme vacillant et de redorer l’image de l’Eglise- jusqu’à l’annonce de la profession de la candidate… Evêques et prélats ne tardent pas à trouver une solution : pour pouvoir faire de Stella une sainte, il faut d’abord en faire une martyre, et lui construire un nouveau passé. Et comme le Vatican s’efforce de suivre la marche de la modernité, il faudra que sa fin soit "spectaculaire, atroce et virale" et que la moitié de la planète puisse la suivre sur son smartphone. Pour ce faire, il engage duo de tueurs à gages qui ne dépareillerait pas dans un film des frères Coen…

S’ensuit une course poursuite lançant les sanguinaires Bronski (1239 âmes à leur actif en 34 ans de carrière) aux trousses de Stella, que le père Brown, regrettant amèrement d’avoir averti Rome, a pris sous son aile et poussée à la fuite. Un autre protagoniste s’insère dans ce périlleux ballet, en la personne de Luis Molina, journaliste d’origine hondurienne (ce qui lui vaut de basses moqueries, y compris de la part de l’auteur), qui a la particularité d’être dénué de l’habituel détachement cynique propre aux grands reporters. Molina rêve d’obtenir le Pulitzer, et l’histoire de Stella est l’occasion rêvée. 

L’idée de prendre comme figure centrale du roman une "sorte de vierge à l’envers dont l’existence remet en question 2000 ans d’histoire corsetée par un christianisme bigot", est en soi réjouissante. C’est l’occasion pour l’auteur de moquer une religion catholique romaine muée en une multinationale à l’organisation quasi mafieuse, avec ses espions, ses intellectuels, ses investisseurs et ses banques. Ses hauts représentants, concupiscents, envieux, rageurs, en prennent eux aussi pour leur grade. Et puis l’ensemble est aussi drôle que trépidant, pimenté d’une dimension caricaturale évidemment volontaire et d’apartés malicieuses de l’auteur à l’attention du lecteur, qui font la singularité du texte.
 

Je partage l’avis de Violette, qui regrette juste que ce roman soit si court.

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Commentaires

  1. Je l'ai lu, que dis je, dévoré (oui, trop court ^_^) mais eu la paresse du billet, comme bien souvent...

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    1. Et moi j'ai failli ne pas le finir, je l'ai oublié dans la salle de petit déj d'un hôtel lors d'un déplacement, alors que j'en avais lu un tiers... Je l'ai finalement racheté, mais ma lecture a été un peu chaotique !

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  2. Je n'ai pas eu l'occasion de lire cet auteur ; ce roman a l'air bien déjanté, je pense qu'il arrivera à la bibliothèque. Je pourrai tenter.

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  3. Je n'avais pas été follement emballée par La soustraction des possibles, et je n'ai pas été tentée d'en lire un autre titre ... Ton dernier paragraphe pourrait bien me faire changer d'avis !

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    1. Il est différent de La soustraction des possibles, plus loufoque, et bien plus court, bourré de références cinématographiques. Un très bon moment de lecture, distrayant, drôle...

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  4. Je connais déjà cet écrivain dont j'ai lu et apprécié le roman précédent. Stella et l’Amérique était dans les suggestions des bibliothécaires de ma ville mais j'avais d'autres chats à fouetter... cela fait plusieurs bons avis successifs que je lis à propos de ce roman. Je le remets dans ma liste au cas où je serais en panne d'idée pendant les vacances d'été.

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    1. Très bonne idée, de le lire pendant les vacances !

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  5. Je n'ai encore jamais lu cet auteur, ce n'est pas faute de l'avoir noté, pourtant !
    Ce roman me tente encore plus que ses précédents par son idée de départ originale.

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    1. Et comme il est court, il permet de tester l'auteur en légèreté !

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  6. Je signerais tout de suite pour un autre roman de même qualité, c'était vraiment jouissif... Merci pour ton lien :)

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    1. Il n'y a plus qu'à souhaiter qu'Incardona réécrive un titre de cet acabit...

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  7. Tout à fait d'accord avec ce "l’ensemble est aussi drôle que trépidant, pimenté d’une dimension caricaturale évidemment volontaire et d’apartés malicieuses de l’auteur à l’attention du lecteur, qui font la singularité du texte." Un bien bon bouquin !

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    1. Je crois d'ailleurs que c'est ton billet qui m'a convaincue de le lire...

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  8. Pas certaine d'adhérer à cet humour malgré votre enthousiasme à tous...

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    1. Je comprends, l'impact de l'humour sur le lecteur est en effet très variable, moi qui n'accroche pas par exemple à celui d'Echenoz suis bien placée pour le savoir.. il faut essayer, de préférence avec celui-là, qui est très court. Tous les titres d'Incardona ne sont pas de cette veine burlesque, ceci dit (il a même écrit au moins un titre très sombre).

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  9. Les avis tous positifs donnent envie.

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    1. Si tu accroches à l'humour d'Incardona, c'est l'assurance de passer un moment très distrayant..

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  10. Je suis tentée sans être sûre d'apprécier cet humour, mais l'idée de départ est simplement géniale donc je tenterai pour me faire un avis.

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    1. Bonne idée, et comme tu as dû le comprendre, il est très court...

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  11. Je vois assez bien l'univers et la plume d'Incardona, l'ayant expérimenté avec La soustraction des possibles. Je pourrais revenir à lui, mais sans urgence toutefois.

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    1. Celui-ci est plus déjanté que "La soustraction..." mais on y retrouve un peu le même ton, oui, entre malice et irrévérence. Personnellement, j'aime beaucoup.

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  12. L'histoire a l'air originale et audacieuse. Le fait que ce soit court aurait tendance à me pousser à tenter cette lecture qui ne semble pas manquer d'humour.

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    1. Oui, c'est drôle, et échevelé ! Une lecture très divertissante.

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  13. Je l'ai noté récemment après avoir lu la chronique de Violette justement. Enfin j'ai noté l'auteur car ce titre là n'est pas présent dans les rayons...L'histoire a l'air amusante, et comme je n'ai jamais lu cet auteur, ce serait l'occasion. Merci pour ta chronique

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    1. J'ai aimé tout ce que j'ai lu de cet auteur, mais comme Alex le souligne, chacun de ses titres est différent. On sent dans celui-là son envie de s'amuser, qui devient communicative... Derrière les panneaux... est à l'inverse très noir, par exemple, mais j'avais aimé l'intrigue originale et l'écriture taillée au cordeau.

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  14. Un de mes auteur chouchou qui sait me surprendre à chaque nouveau roman.

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    1. Tu as raison de le souligner, je trouve moi aussi qu'Incardona a un réel talent pour se renouveler d'un titre à l'autre, tout en conservant sa singularité.
      Et j'essaie désespérément de laisser des commentaires chez toi depuis quelques jours, sans y parvenir...

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