"Celles qu’on tue" - Patrícia Melo

"En réalité, le mariage est le gibet de la femme."

La narratrice, avocate à São Paulo, vient de mettre un terme à sa relation avec Amir, un homme pourtant drôle, intelligent, et instruit. Mais un homme potentiellement violent, à qui elle a refusé de laisser une autre chance après une première gifle. Parce qu’elle sait que la première n’est jamais la dernière, un savoir qu’elle a acquis au prix d’un lourd traumatisme, celui de l’assassinat, dont elle a été témoin, de sa mère par son père. Pour mettre la plus grande distance possible entre elle et son ex, qui la harcèle de SMS, elle part à Cruzeiro do Sul. Chargée par son cabinet, qui souhaite mettre en évidence la manière dont l’état, en entretenant les inégalités de genres, cautionne les violences faites aux femmes, de suivre une campagne de jugements de féminicides, elle va y assister au procès de trois fils de bonnes familles, inculpés de viol et d’assassinat sur la personne de Txupira, une jeune indienne Kuratawa.

Dans un pays où la vie des indigènes a "la même valeur que celle des fous de l’asile ou des enfants qui font la manche aux feux rouges", l’issue est prévisible. La rumeur prend parti pour les assassins, et l’absence criante d’implication des autorités dans l’enquête conforte leur impunité. Les rares personnes qui s’efforcent de rendre justice à Txupira -une avocate générale pugnace et une courageuse journaliste- font l’objet de menaces. Une situation emblématique de la condition des femmes, que tout -les pères, l’Etat, le système judiciaire, la culture, la pornographie, l’économie de marché-, pousse les hommes à haïr et à mépriser, à considérer comme des sous-citoyennes. Et si Txupira, parce qu’elle était noire et misérable, cumulait les critères de risques, aucune femme n’est à l’abri de la violence masculine, qui transcende les classes sociales et les générations. 

"Être une femme est dangereux" et tout homme recèle la possibilité d’une brutalité à exercer à son encontre, telle est la conclusion que semble imposer le texte de Patrícia Melo, et que martèlent les extraits du carnet que tient son héroïne, y listant d’innombrables cas de maltraitances, comptes-rendus laconiques mais glaçants de faits divers, qui mettent en évidence la multiplicité et la futilité des prétextes à battre, à violer, à tuer : un diner trop cuit, une remarque mal perçue…

Quelques respirations viennent entrecouper l’abominable constat, à l’occasion d’incursions dans une forêt profuse et organique, provoquant d’intenses sensations, et où la narratrice trouve une forme d’exutoire. Amenée dans son village maternel par un métis indigène avec lequel elle a sympathisé à Cruzeiro del Sol, elle expérimente, sous l’emprise de substances hallucinogènes, des fantasmagories dans lesquelles des femmes cruelles et vengeresses torturent et tuent des coupables de féminicides.

"Celles qu’on tue" laisse du Brésil une image de cauchemar, territoire ravagé par les injustices et la violence s’exerçant contre les femmes, les minorités, les pauvres, l’environnement…

Asphyxiant.



Commentaires

  1. Constat désespérant, mais hélas sans aucun doute réaliste. Je n'ai pas l'estomac pour lire ça en ce moment.

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    1. D'autant plus réaliste qu'il me semble que la liste de faits divers dont l'auteur parsème son récit sont réels... et c'est fort déprimant, oui.

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  2. Sans doute un bon roman, mais quand même, tu ne donnes pas vraiment envie...

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    1. C'est un très bon roman, oui. Mais il est désespérant et au moment de rédiger mon billet, j'avais lu entretemps d'autres titres sur le même thème (de manière involontaire), et je crois que je commençais à saturer...

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  3. Anonyme5.5.25

    Euh non… pas envie d‘être asphyxiée :(… trop, trop dur, là. ( Une Comète)

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    1. Je comprends, j'avoue avoir refermé ce titre complètement déprimée...

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  4. C'est déprimant pour le Brésil et pour l'humanité en général car ce fléau est hélas bien trop répandu, comme l'impunité dont bénéficient le plus souvent les hommes... Merci pour ton billet qui m'évite une lecture difficile tout en résumant très bien la situation.

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    1. C'est complètement désespérant, même si heureusement, les choses ont évolué ces dernières années, mais dans certains pays, la situation est encore dramatique.

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  5. Un roman tellement dur et réaliste qu'il en est déprimant, oh là là, ce n'est pas que je veuille me voiler la face mais pas en ce moment, non, c'est trop dur. Merci de l'avoir lu pour nous cela me permet de noter l'autrice que je ne connaissais pas. Contente de te retrouver en tous les cas...

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    1. Je comprends, j'ai moi aussi fait une pause depuis, en me tournant vers d'autres thématiques, d'autant plus qu'après celui-là, j'ai lu deux ou trois titres un peu dans la même veine... et je suis contente de te retrouver aussi !

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  6. Tu n'as pas choisi la facilité ; un roman dur sûrement à lire pour découvrir l'envers du décor brésilien !
    PS : je suis obligée de changer de navigateur pour déposer des commentaires sur ton blog.

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    1. Le Brésil qu'il nous est donné à voir y est en effet désespérant, d'un point de vue social, écologique.. la violence y est omniprésente.

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  7. C'est le genre de livres difficiles dont la lecture semble néanmoins nécessaire ou du moins, importante. Je ne sais pas si j'aurai le courage de m'y plonger mais grâce à toi, j'en aurai eu au moins un aperçu.

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    1. Oui, une lecture difficile par son sujet, et l'actualité qu'il rappelle. Mais c'est un très bon roman, Patricia Melo a une écriture frappante.

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  8. Je me souviens avoir eu le choix entre ce titre et Gog Magog quand j'ai voulu découvrir cette autrice il y a deux ans. Je suis contente d'avoir opté pour le deuxième.:)

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    1. Je suis allée relire ton billet, et c'est un titre visiblement très différent. L'idée de départ m'évoque celle de "Fraternité" de Luc Dagognet, que j'ai lu l'an dernier, et qui commence aussi avec un héros misophone en guerre avec son voisin...

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  9. Intéressant pour le cadre et le sujet traité. Merci de nous avoir fait découvrir ce livre

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    1. Il est également intéressant d'un point de vue littéraire...

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  10. Un roman qui semble intéressant, merci pour la découverte !

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    1. Il est certes intéressant, mais surtout très fort. Et puis il a le mérite de se dérouler dans une région du Brésil que l'on n'explore pas souvent (du moins en ce qui me concerne), et sur laquelle on en apprend beaucoup, d'un point de vue socio-économique, culturel et historique.

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  11. J'espère qu'après une telle lecture asphyxiante, tu as pu reprendre ton souffle.

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    1. Pas tout de suite parce que j'ai enchaîné avec des lectures dans la même veine, dont plusieurs abordent aussi la thématique des violences faites aux femmes, mais depuis, oui, j'ai changé de braquet, même si je ne me suis pas non plus plongée dans des choses très gaies, mais c'est une habitude chez moi..

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  12. quelle horreur du quotidien ! si je tombe sur ce livre je le lirai mais j'ai peur aussi de me confronter à ce genre de violence

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    1. C'est en effet effrayant... mais je me dis que le fait d'en parler permets une prise de conscience qui peut-être, fera avancer les choses... et il y a encore beaucoup à faire.

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  13. J'étais persuadée d'avoir lu cette autrice, mais mon blog me dit que non ! Ton avant dernier paragraphe me fait à moitié sourire, si les respirations sont des fantasmagories mettant en scène des tortures, je n'ose imaginer le reste !

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    1. C'est franchement plombant, oui.... et ces "respirations" ont un côté sadique, mais libérateur..

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  14. Ca me tentait bien jusqu'à ce que tu dises "asphyxiant"... Pas forcément la bonne période pour moi...

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    1. Ce n'est pas une lecture qui remonte le moral, c'est certain...

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