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Affichage des articles du juillet, 2025

"La tante Julia et le scribouillard" - Mario Vargas Llosa

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"(…) les livres sortaient de cette petite tête obstinée et de ces mains infatigables, l'un après l'autre, à la mesure adéquate, comme des chapelets de saucisses d'une machine." Varguitas, narrateur et double de l’auteur, revient sur une période de sa jeunesse.  Nous sommes dans les années 1950, et il étudie alors le droit, sans grande conviction mais avec résignation (se soumettant au souhait de sa " cancéreuse famille "), à l’université de Lima (lui aurait préféré devenir écrivain). Pour arrondir ses fins de mois, il rédige et diffuse les actualités à l’antenne de Radio Panama, des bulletins d’une minute chaque heure, ce qui lui laisse le temps de suivre ses cours à la fac, mais aussi et surtout de traîner dans les couloirs de Radio Central, dont son patron est également propriétaire. Autant Radio Panama, snob et cosmopolite, se veut moderne en diffusant essentiellement du jazz et du rock, autant Radio Central est plébéienne, voire populacière. On y pas...

"Sa majesté des mouches" - Aimée de Jongh, d’après l’œuvre de William Golding

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"- Ptêt qu'y a une bête. - Toi, Simon ? Toi, tu y crois ? - Ptêt qu'en fait, c'est nous." L’intrigue est généralement connue, même par ceux qui comme moi n’ont pas lu le roman de William Golding. Suite à un crash aérien, un groupe d’écoliers âgés de six à treize ans se retrouvent sur une île déserte. Afin d’organiser leur survie -entretien du feu, quête de nourriture…-, ils désignent un chef, Ralph, douze ans, qui peut compter sur le soutien du souffreteux "Cochonnet", dont la silhouette rondouillarde suscite les moqueries, et du timide Simon. Dans un premier temps, emportés par leur jeunesse, cette soudaine liberté et l’environnement paradisiaque, l’ambiance est au jeu et à la joie. Mais bientôt les nuits des enfants sont peuplées de cauchemars provoqués par la présence hypothétique d’une créature monstrueuse, et des rivalités naissantes, aiguisées par les velléités de domination d’un certain Jack, font basculer le groupe dans une violence croissante… L...

"Qui se souviendra de Phily-Jo ?" - Marcus Malte

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"Je ne crois pas au diable, mais je sais qu’il existe." La mort de Philip-Joseph Deloncle, dit Phily-Jo, survenue un soir de décembre 1997, fut à l’image de sa vie, à la fois poignante et grotesque. Alors âgé de trente-quatre ans, l’homme a chuté de la terrasse d’un hôtel de Dallas où se tenait, en l’honneur des lauréats d’un prix scientifique, un cocktail auquel il n’était pas convié. Accident ou suicide, voire meurtre… ? Telle est la question que se pose Gary Sanz, professeur d’université piqué d’ambitions littéraires, et narrateur. Il était par ailleurs très proche de Phily-Jo, dont il avait épousé la sœur Michelle. A la mort de celui-ci, le couple s’est vu remettre, par un avocat ressemblant à s’y méprendre à J.R. Ewing, une dizaine de cahiers rédigés par le défunt, détaillant l’extraordinaire découverte faite par ce dernier (à la hauteur, prétendait-il, de la révolution copernicienne), et les déboires qu’elle lui ont valus. Ayant trouvé le moyen, à l’aide d’une machine b...

"Qui après nous vivrez" - Hervé Le Corre

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"J’étais là quand tout a commencé vraiment à finir." Moitié du XXIème siècle, dans "un monde finissant qui n’en finit plus", où l’on s’étonne que le soleil se lève encore chaque matin... Un monde dévasté, parsemé de forêts de troncs morts, calcinés... Les êtres y survivent -ou pas- en se jetant dans l’errance, en quête d’un abri, de nourriture, tentant d’échapper aux brutes en quête de proies, auxquelles l’époque est propice. La mère de Léo n’a pas su leur échapper. Des années auparavant, il a assisté impuissant à son viol puis à son meurtre. A douze ans, il en garde un profond traumatisme et la conviction de son irrémédiable vulnérabilité, persuadé qu’il n’acquerra jamais ni la force ni la beauté de son père Marceau. Ils ne sont pas seuls. Nour et sa fille Clara, du même âge que Léo, rencontrées au cours de leurs pérégrinations, les accompagnent. Aucun désir ni aucune tendresse ne lient les deux adultes, focalisés sur un impératif de survie qui n’autorise au mieux ...

"Parce que les fleurs sont blanches" - Gerbrand Bakker

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"On dit parfois que le temps guérit toutes les blessures. Un cliché terrible, que les gens sortent quand ils ne savent vraiment plus quoi dire. C'est strictement faux en plus. Il y a des gens qui meurent de leurs blessures et, quand vous êtes mort, il n'y a plus grand-chose à guérir." Depuis le départ de la mère, leur cellule familiale est devenue exclusivement masculine. Elle est partie à l’étranger, paraît-il, avec un autre homme, sans doute en Italie, d’où elle leur envoie, cinq fois par an, à l’occasion de Noël ou des anniversaires, des cartes postales. Même le chien Daan, qui a tant pleuré son absence -comme pour les garçons, elle était sa préférée -, a fini par comprendre qu’elle ne reviendra pas. C’est donc leur père Gerard qui s’occupe d’eux, assurant le quotidien, les visites aux grands-parents et l’organisation des grandes vacances, dans une région de France chaque fois différente où ils se rendent à bord d’une vieille guimbarde à la couleur indéterminée. Eu...

"L’île des âmes" - Piergiorgio Pulixi

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"Les bons flics sont de méchants flics." Ah, la Sardaigne… ses criques aux eaux turquoise et ses pittoresques petits ports, ses grottes secrètes et ses ânes albinos… Eva Croce aurait pu y venir en touriste. Elle apprécie d’ailleurs la beauté de l’île et la manière dont le temps s’y écoule, comme s’il était plus distendu… Mais c’est pour des raisons un peu moins folichonnes qu’elle a quitté l’agitation turinoise pour Cagliari. Enquêtrice anciennement spécialisée dans les crimes sanglants, elle s’occupe dorénavant des affaires non élucidées. Officiellement, sa mutation dans la capitale sarde a pour objectif d’aider la police locale à mettre en place sa propre unité de cold cases . Officieusement, sa hiérarchie n’a guère apprécié sa tentative de dévoiler les magouilles d’une huile intouchable, et à vrai dire, cela arrangeait bien Eva de partir, pour laisser derrière elle la dévastation de sa vie personnelle. Mara Rais a aussi, en quelque sorte, été mise au placard. Son caractère...

"La neige en deuil" - Henri Troyat

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"A ce niveau de haute solitude, l'existence était belle sans raison. Le bonheur n'avait pas de cause. Tout était clair et sûr, sans qu'il fût possible d'expliquer pourquoi." Isaïe était l’un des guides alpins les plus chevronnés du pays, l’un des meilleurs. Mais il y a dix ans, un terrible accident a mis brutalement fin à sa carrière. Il a dû se soumettre au jugement sans appel de la montagne, annihilant jusqu’à l’envie même de "monter là-haut." Ce drame lui a aussi coûté une partie de son intégrité intellectuelle. Il est devenu ce qu’on appelle un homme "simple", oubliant celui, heureux et déterminé, qu’il a été. Dorénavant pétri d’angoisses, hanté par le traumatisme de sa chute, il se contente de peu : ses brebis, sa maison, et le spectacle de ces montagnes qu’il aime toujours autant, et auxquelles il ressemble un peu d’ailleurs, avec sa grande silhouette sèche mais solide et son torse large. Ce n’est pas le cas de Marcelin, de vingt-deux...

Sous les pavés, les pages - Quatrième édition !

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Villes sanctuaires, gentrification, quartiers populaires : la littérature des villes nous parle d’immigration et de résistance, de clivages sociaux, de politiques sécuritaires, de changements climatiques, des croisements des cultures aussi, qui dépassent les murs ou s’y exposent. La ville est dichotomie et utopie, elle est transgression et progression, elle dit les fractures et les liens. C’est pour encore une fois arpenter ces espaces urbains si riches, surprenants, prenants, qu' Athalie et moi organisons cette quatrième édition des lectures urbaines. L’année dernière, on pense avoir trouvé le bon rythme, celui de deux mois, entre rentrée littéraire, Feuilles Allemandes, et les pérégrinations de l’été qui peuvent être contées. Nous rappelons simplement que les participations peuvent être multiformes : balades en ville, voyages en architecture, podcasts, films, séries, fictions, non fictions, incursions photographiques ou picturales … N’hésitez pas à consulter les bilans des année...

"Le voyage de Hilary Byrd" – Carys Davies

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"L’opinion de Jamshed, c’était que Mr Byrd ressemblait à un scarabée. Un scarabée sur le dos, agitant en tous sens ses bras et ses jambes, se balançant d’un côté, puis de l’autre pour tenter de se remettre à l’endroit." Hilary Byrd est décalé. Décalé par rapport à son époque, et sans doute l’était-il aussi dans la petite ville du Royaume-Uni qu’il a quittée pour une ancienne station britannique du sud de l’Inde. On s’étonne d’ailleurs de cet exil volontaire, en constatant sa naïveté, son absence d’aisance dans les relations sociales, sa détestation des conflits et de toute complication. Mais l’on comprend, grâce aux longues lettres qu’il écrit à sa sœur Wyn -qui s’est toujours occupée pour lui " de tous les désagréments "-, qu’affronter la modernité et l’incivilité croissante du monde occidental était devenu une trop grande source d’anxiété.  Sa rencontre avec le Padre, dans le train à destination de Mettupalayan, a été une bénédiction. L’homme lui a proposé de loge...

"La plus secrète mémoire des hommes" - Mohamed Mbougar Sarr

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"(Mais Dieu n'entendait rien car Dieu s'était crevé les tympans pour survivre et sauver sa santé mentale.)" Entendre Mohamed Mbougar Sarr se revendiquer de Roberto Bolaño en évoquant ce roman en a rendu la lecture évidente… Son titre est d’ailleurs extrait d’un passage du remarquable " Les détectives sauvages ". Comme dans le roman de l’auteur chilien, l’intrigue de "La plus secrète mémoire des hommes" a pour cœur une quête littéraire, qui se matérialise par celle d’un écrivain mystérieux. T.C. Elimane n’aura laissé à la postérité, en plus de ses mystérieuses initiales, qu’un seul livre, "Le labyrinthe de l’inhumain", avant de disparaître sans laisser de traces. Né au Sénégal, c’est grâce à une bourse d’études qu’il arrive à Paris en 1938. La parution de son ouvrage, "chef-d'œuvre d'un jeune nègre d'Afrique", suscite de vives réactions. Davantage considéré comme un phénomène littéraire que comme un écrivain, on le re...

"Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans" - Anne Plantagenet

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"… ce n’est pas la personne de Letizia qui a attiré l’attention, c’est son absence." C’est parce qu’elle a entamé un travail de recherche sur son grand-père italien et ouvrier qu’Anne Plantagenet suit le tournage du film En Guerre, de Stéphane Brizé. C’est là qu’elle rencontre, fin 2017, Letizia Storti. Ouvrière à l’usine pharmaceutique UPSA d’Agen, elle fait partie des acteurs non professionnels engagés par le réalisateur. Sans qu’elle sache trop pourquoi, cette femme un peu ronde qui porte des écharpes colorées et des lunettes ostentatoires la touche. Si elle la remarque, c’est parce que Letizia, au départ simple figurante, se met en première ligne, exprimant un besoin d’exister coûte que coûte, de sortir du lot au risque de se faire détester par le groupe. Ça plait bien, en revanche, à Stéphane Brizé, qui laisse faire. Elle la revoit à Cannes où le film est nominé, mais c’est plus tard que nait leur relation, à l’occasion d’un récit que l’auteure prépare pour la revue XXI,...

"Le blues des phalènes" - Valentine Imhof

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"Bobbie était déjà méchamment attaqué. Ce qu’il s’enfilait tous les jours avait fini par lui griller la cervelle aussi sûrement que s’il l’avait mise à frire dans une poêle pleine de saindoux." D’abord, le récit remonte le temps à partir de 1935. C’est l’année où nous faisons la connaissance de Milton. En ces temps de Grande Dépression, il a choisi de se mettre à l'écart des cohortes de cueilleurs à un cent de l'heure et des convois de désespérés qui affluent pour fuir la misère (et qui la retrouvent partout). Et il se fout bien que le monde soit dans la tourmente, tout cela ne le concerne plus, il a depuis longtemps tourné le dos aux hommes. Réfugié depuis dix-huit ans dans les ruines d’une bourgade abandonnée après l’épuisement de sa mine d’argent, il n’a remis qu’une fois les pieds en ville. C’était en 1929, il s’est rendu à Chicago pour contempler l’apocalypse et se réjouir de la ruine de sa famille de millionnaires. Fils d’un richissime homme d’affaires dont il é...