"De Marquette à Veracruz" - Jim Harrison

"(…) il est presque terrifiant de penser qu'une panne de carburateur modifie parfois de manière radicale le cours d'une existence."

Pour s’émanciper d’une figure paternelle haïe, le narrateur, David Burkett , se lance dans une enquête familiale. Il est issu d’une lignée prospère de la région des Grands Lacs (Michigan), qui a bâti sa fortune sur l’exploitation des forêts, notoirement de manière illégale. Ses ascendants ont dévasté un demi-million d'arpents de pins blancs qui ne leur appartenaient pas. C'était à l'époque d’un mythe que certains remettent aujourd’hui en question, celui de la conquête de territoires faciles à s’approprier pour tout ambitieux dénué de scrupule. Si la haine de David se focalise essentiellement sur son père, ce n’est pas parce que ce dernier, alcoolique et paresseux, a dilapidé une partie de la fortune familiale, mais en raison de ses agissements pédophiles, pour lesquels il n’a jamais été inquiété, protégé par son statut de riche homme blanc. 

Il a passé son adolescence entre ce père repoussant et une mère mentalement absente, qui simulait une faiblesse congénitale pour se dédouaner des bizarreries de son comportement. Cynthia, sœur cadette aussi déterminée que rebelle, représentait la seule base morale solide de la famille, mais David pouvait aussi s’appuyer sur des figures masculines plus exemplaires, en la personne de Jesse, bras droit de son père d’origine mexicaine, de Clarence, l’homme à tout faire de la maison, ou encore de Fred, oncle maternel considéré comme une brebis galeuse depuis un divorce motivé par sa liaison avec une femme noire.

Le roman se découpe en trois parties, correspondant respectivement aux décennies 1960, 1970 et 1980.

Le narrateur évoque une jeunesse marquée à la fois par une attirance pour le fondamentalisme religieux -qui lui passera assez vite- et la puissance de ses désirs sexuels. Obsédé par les antécédents familiaux, c’est un jeune homme aigri, plombé d’une immense culpabilité à l’idée de profiter d’une richesse acquise aux dépens d’autochtones expulsés de leurs terres et d’un environnement saccagé pour le compte d’une poignée de riches industriels. Les motivations à l’origine de sa décision de sonder le passé des Burkett sont assez confuses. Est-il en quête de justice ou, plus égoïstement, de rédemption ?

Toujours est-il que cette enquête, pour laquelle il consulte des archives historiques ou des documents familiaux, collecte les témoignages d’habitants de la région, et séjourne longuement dans les forêts dévastées, finit par vampiriser sa vie. Le projet ne trouve pas sa forme, s’éternise, lui interdisant toute sérénité, puisqu’il est persuadé qu'il ne sera pas heureux tant qu'il ne l'aura pas fini. Il trouve quelques bouffées d’oxygène dans les parties de pêche à la truite qu’il organise avec son oncle Fred, en navigant sur les lacs, ou au contact de femmes fortes qu’ils croisent sur son parcours, dont l’énergie et l’indépendance finissent toujours par le ramener à son irrésolution et à son mal-être. C’est finalement un homme qui, parce qu’il veut racheter le péché des autres, et s’obstine à ne vivre qu’en réaction contre son appartenance à un milieu et sa hantise de ressembler à son père, se met entre parenthèses, n’ayant pas la moindre idée de son identité.

Donc il s'enlise dans son projet, et finit par y enliser aussi le lecteur… J’attendais de sa quête qu’elle acquiert une dimension plus collective, que cette douloureuse extraction des racines familiales du mal soit l’occasion de se pencher sur celles du pays, et de fracasser un mythe américain fondé sur la spoliation des autochtones et la destruction d’une partie du vivant, sous couvert d’une morale chrétienne ayant permis l’avènement d’un système inique et cupide. Or, ces éléments, bien qu’évoqués, se diluent dans les atermoiements et l’autocentrisme du narrateur.

Dommage… je crois que j’aurais aimé passer davantage de temps avec les personnages secondaires du roman, que j’ai trouvé bien plus intéressants et attachants.


D’autres titres pour découvrir Jim Harrison : Faux soleil - Dalva - Retour en terre - La route du retour - Une odyssée américaine

Un dernier pavé d’été, chez Sibylline et Moka (504 pages chez 10-18)

Commentaires

  1. Tout a été dit sur Jim Harrison mais ça reste une référence ... J'adore cet auteur mais tous ses livres n'ont pas le même niveau et c'est normal.

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    1. Je l'aime beaucoup aussi, et je te rejoins sur le fait qu'une bibliographie est forcément hétérogène. Et un Harrison, même moins bon, n'est jamais mauvais...

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  2. Je suis une grande admiratrice de Jim Harrison mais je n'ai pas lu ce roman là. Je vois que tu es un peu déçue. Je n'ai pas envie de l'être avec cet auteur.

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  3. il y a eu un âge d'or Jim Harrison, tout le monde (moi la première) lisait tous ses romans dès qu'ils paraissaient en France mais ça commence à dater un peu, ce sont la babyboomer qui se souviennent de ça. Mais le relire maintenant? Pourquoi pas? :-)

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  4. Je n'ai pas encore lu ce titre là de Jim Harrison alors je ne me précipiterai pas vu ce que tu en dis, même si tout n'est pas négatif. C'est normal de ne pas tout aimer même chez des écrivains connus, reconnus, lus et aimés...

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