"Roman" - Vladimir Sorokine
"Est-il rien de plus beau, de plus charmant et de plus simple qu’un bouquet d’herbes et de fleurs des champs, au temps brûlant de la fenaison ?"
Cela commence comme un classique russe du XIXème siècle. Enfin non. C’EST, pendant la majeure partie de l’ouvrage (plus exactement 80 %, j’ai calculé), un classique russe du XIXème siècle.
Me voilà donc partie en compagnie de Roman, jeune trentenaire et personnage principal de l’intrigue, qui quitte la carrière d’avocat qu’il a à peine entamée en ville, pour regagner son hameau natal de la Roide-Combe, où il compte se faire peintre. Il y est accueilli les bras ouverts par son oncle Anton et sa tante Lidia, qui sont aussi ses parents adoptifs. Dans les premiers temps de son séjour, il espère ardemment tomber sur l’indépendante et impétueuse Zoïa, son amour de jeunesse. Mais lorsqu’il la rencontre enfin, accompagnée d’un fiancé falot dont le seul attrait est, selon les propres dires de la jeune femme, qu’il a accepté de l’emmener vivre à l’étranger, il réalise finalement que ses sentiments se sont éteints.
La narration est fortement empreinte de romantisme. Le héros exprime et analyse ses émotions avec un penchant pour l’exaltation, et c’est avec beaucoup de lyrisme qu’il évoque un environnement rural qui littéralement l’enchante.
Là, je commence à m’interroger sur le sens d’un tel texte, écrit dans les années 1980… j’avais repéré ce titre chez Goran, il y a bien longtemps, et je ne me souvenais ni de son résumé ni de ce qui m’avait motivée à le noter. Je jette donc un œil sur la quatrième de couverture, qui se conclue par l’annonce d’une bascule fracassante et "un dénouement stupéfiant qui laisse le lecteur effaré". De quoi relancer -et c’est un euphémisme- ma motivation !
Alors je continue.
Partie de pêche, partie de chasse, cueillette de champignons, moujiks travailleurs aux manières simples, samovars et festins élaborés… tous les ingrédients de ce qui fait l’âme russe sont mis en scène, abondamment dépeints. A vrai dire, je prends goût au récit. Les personnages sont bien campés. J’apprécie la verve de l’oncle Anton, ancien acteur de théâtre qui déclame des vers à tout bout de champ, le nihilisme du docteur Kliouguine qui joue sans cesse les rabat-joie avec sa vision pessimiste du monde et son dégoût des hommes, la gentillesse timide du prêtre de la paroisse, les frasques de Niguedandouille (bizarre, ce surnom, quand même), sorte d’idiot du village… Tout cela est bien léché, et a même parfois (sans doute parce que je sais que l’auteur est contemporain) des allures d’exercice de style. L’écriture est toute en circonvolutions, souple et éloquente, mais décidément surannée. Chacun joue parfaitement sa partition, dans un décor de Russie éternelle, avec quelques moments quand même un peu caricaturaux : Roman qui se bat avec un loup, Roman qui brave le danger pour sauver une icône restée dans une maison en flammes… On l’a compris, Roman est le symbole du héros romantique. Il ne manque plus que l’histoire d’amour… mais ça y est, elle arrive. La jeune fille est d’une agaçante merveilleuse pureté morale… les deux amoureux sont en adoration l’un pour l’autre, au point d’en devenir étrangement mièvres.
Là je commence à m’inquiéter… c’est que j’arrive bientôt à la page 500, et que le roman en compte un peu moins de 600. J’ai eu le temps de tout imaginer quant à la fameuse bascule. Et là, vlan ! Elle est là, d’un seul coup, presque au détour d’une phrase… et j’ai beau avoir tout imaginé, je n’ai rien vu venir, je ne m’attendais certainement pas à ÇA… la claque est magistrale… j’hésite entre l’horreur et la fascination, et surtout, je cherche le sens de ce que je lis, et je continuerai de le faire une fois la dernière page refermée.


Rhaaaa, je sentais le billet qui allait se terminer comme ça ! Franchement, tu donnes très envie mais 500 pages de roman russe, je ne m'en sens pas capable.
RépondreSupprimerJe n'ai jamais rien lu de tel, et je ne suis pas sûre de devoir recommander ce livre ... mais je ne peux rien dévoiler !
SupprimerToi, tu sais faire bouillir l'eau dans la cocotte ! Mais j'hésite quand même :il faut tenir 500 pages !
RépondreSupprimerSi tu aimes les classiques russes et la veine romantique, les 500 pages devraient bien passer... le problème, le mien en tous cas, c'est que j'attendais la fameuse bascule, et j'étais donc impatiente.. j'ai plus ou moins compris la volonté de l'auteur, mais il a une manière très radicale de l'exprimer - oui, je fais bouillir encore un coup !!...
SupprimerJe ne la sens pas trop cette histoire qui bascule à la dernière minute ; je serais tentée d'aller y voir en douce .. et puis je viens de commencer un pavé de 700 pages (pour ton challenge).
RépondreSupprimerComme je l'écris ci-dessus, je ne sais pas si je dois conseiller ce titre, d'autant plus que c'est un pavé, qui n'est pas sorti en poche (et je doute qu'il le soit un jour) .. si tu le trouves en bibli, et que tu veux assouvir ta curiosité sans y passer quelques heures, lis un peu le début, quelques passages au milieu, puis rends toi page 483, lis jusqu'à la page 500, et ensuite tu n'as plus qu'à feuilleter jusqu'à la fin !
SupprimerC'est intrigant, bien évidemment, mais quitte à lire un roman russe du XIXème, j'aimerais autant attaquer Guerre et paix !
RépondreSupprimerTu as raison, si le but est de lire du roman russe du XIXème, il y a de quoi faire avec de "vrais" classiques. L'intérêt du roman de Sorokine est ailleurs...
SupprimerJe me demandais bien qu'elle allait être ton point de bascule à toi ! Mais le héros romantique exalté et la pure jeune fille, je crains le pire ... Pas certaine de tenir 500 pages d'une récriture d'un roman russe mais super curieuse de connaître le fin mot de l'histoire en même temps !
RépondreSupprimerJe te renvoie dans ce cas à ma réponse à Aifelle ! Une expérience inédite en tous cas, et un peu difficile à digérer...
SupprimerUn roman russe façon XIXe écrit en 1980, et qui plus est avec un fin fracassante ? Je vais voir si je peux le trouver en numérique, ce sera moins lourd....
RépondreSupprimerJe vois que j'ai aiguisé ta curiosité... je serais vraiment curieuse d'avoir un autre retour de lecture en tous cas, tant cette expérience a été étrange, et assez dérangeante à vrai dire...
SupprimerUn revirement de dernière minute que tu n'as pas vu venir, voilà qui doit en effet surprendre surtout sur un pavé de plus de 500 pages. Je ne sais pas si je suis tentée ou pas, je ne connais pas cet auteur mais tu m'intrigues :)
RépondreSupprimerCe n'est même pas un revirement de dernière minute, puisqu'après cette "bascule", il reste encore plus de 100 pages à lire... mais quelles pages !!
SupprimerJe vais faire un très mauvais jeu de mots, mais cette lecture ressemble fort à des montagnes russes. Pas sûre d'avoir envie de tenter l'expérience...
RépondreSupprimerDisons plutôt qu'on est dans une vaste plaine soudain interrompue par un gouffre vertigineux, dans lequel on nous pousse...
SupprimerAdo/jeune adulte, j'aurais adoré. Maintenant, je ne sais pas trop si j'apprécierais... En revanche, tu m'as intriguée avec la fin !
RépondreSupprimerEt même si la lecture est plutôt plaisante pendant les 80 premiers % du livre, il vaut surtout pour cette fin... c'est ce qui le rend unique... et à mon avis inoubliable.
SupprimerComme tu ne le recommandes pas vraiment, je ne vais pas m'attarder sur ce titre.
RépondreSupprimerC'est délicat de le recommander, il est tellement "spécial"...
SupprimerRhaa mais moi ça me tente terriblement ce roman qui laisse perplexe tout le long et dont une phrase à la fin fait tout basculer. Par contre, 600 pages, ça calme vite.^^
RépondreSupprimerJe savais que j'allais titiller ta curiosité et ton appétence pour les textes sortant des sentiers battus.. bon la c'est carrément une sortie de route fracassante que nous impose l'auteur. Et comme précisé à Manou, la phrase qui fait basculer n'est pas complètement à la fin : après elle, il faut encore lire une centaine de pages complètement.. je ne sais pas comment les décrire..
SupprimerBeau pavé! Il te fait égaler ton score de l'année dernière et je sens que tu vas te doubler toi-même
RépondreSupprimer:-D
Oui, alors que ce n'était franchement pas prémédité.. il m'en reste deux pour lesquels je vais essayer de publier les billets avant le 23... (j'en ai même un 3e, mais tant pis, c'est trop juste, ce sera un pavé d'automne pour Moka !).
SupprimerJe me doutais que tu allais être cruelle et nous laisser le bec dans l'eau quant au dénouement.
RépondreSupprimerJ'ai programmé un fils de notre temps aujourd'hui parce que le 15 il y a le rv européen de Cléanthe ; https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2025/09/odon-von-horvath-un-fils-de-notre-temps.html
Ce n'est pas de la cruauté, au contraire : il n'y a aucun intérêt à lire ce livre si on sait ce qui nous attend...
SupprimerEt j'ai vu ton billet, oui, pour le 15, merci !! Je reviendrai te lire lundi.
Voilà qui attire forcément la curiosité. Mais, du coup, je n'ai pas compris pourquoi tu as été un peu colère : parce qu'il a fallu attendre 500 pages pour avoir la bascule ou parce que cette bascule ne te plait pas ?
RépondreSupprimerDisons que la bascule est tellement violente qu'on en veut un peu à l'auteur, et puis j'ai eu au départ du mal à la comprendre.. avec le recul, je me suis apaisée, notamment en pensant plus ou moins comprendre son intention..
SupprimerGoran(qui manque à la blogosphère) et Dominique (trop discrète en ce moment) comme références ! pas mal! je le dis souvent je commence presque toujours les romans par la fin, parce que je n'aime pas les effets de surprises dans les romans. Mais là 700 pages à lire cela me freine, surtout qu'à part cette surprise tu ne sembles guère convaincue.
RépondreSupprimerC'est en tous cas une lecture que je n'oublierai pas de sitôt... et à mon avis, lire d'abord la fin ferait fuir n'importe quel lecteur ou lectrice... tu peux passer, donc !
SupprimerDe cet auteur, j'avais lu "Soupe de cheval" qui ne m'a pas laissé un souvenir inoubliable.
RépondreSupprimerJe l'ai lu aussi, et j'avais apprécié de mémoire, même si comme toi, je n'en ai pas retenu grand-chose. celui-là, comme tu l'auras compris, est TRES différent..
SupprimerC'est donc ce qu'on appelle une chute, et une belle chute ! J'ai ressenti cela dans plusieurs romans - je me souviens de La bête et la belle, de Thierry Jonquet ou du merveilleux La petite fille de Monsieur Linh, de Philippe Claudel...
RépondreSupprimerBonne après-midi.
Je n'ai pas lu les deux titres que tu évoques, mais tu éveilles ma curiosité... Bonne journée à toi.
SupprimerIls valent vraiment la peine. La petite fille de Monsieur Linh est gravée dans ma mémoire. Bon week end.
SupprimerMerci, bon week-end à toi aussi. Et j'ai noté les deux titres (avec d'autant plus de facilité que j'ai lu d'autres romans de ces auteurs, que j'ai beaucoup appréciés)..
Supprimermoi je me suis arrêtée au nom du hameau : Roide-Combe ? on est en France ou en Russie ? je ne lis jamais de roman russe traduit en français car (excepté Babel) je n'ai jamais lcompris le principe pris des traducteurs français de tout franciser même les prénoms (Anna Karenina qui devient Anne ... ) ou de supprimer certains diminutifs (en russe, un prénom peut avoir plusieurs diminutifs) bref je râle .. du coup, je passe mon chemin ! désolée... (les traducteurs anglophones conservent les noms russes pour les noms de famille, les lieux, etc.) et c'est bien mieux (mais c'est mon avis personnel)
RépondreSupprimerDisons qu'ici, une fois que l'on arrive à la dernière partie de l'ouvrage, tout ce qui précède n'a plus vraiment d'importance....
Supprimer