"La mélancolie de la résistance" - László Krasznahorkai
"On se demandait si la fin du monde n'était pas imminente".
Il s'agit de se fondre dans le rythme... ne pas tenter de contrer cette logorrhée constituée de longues phrases à propositions multiples -véritables leçons de ponctuation !-, emboîtant idées principales et digressions.
Il s'agit de se fondre dans le rythme... ne pas tenter de contrer cette logorrhée constituée de longues phrases à propositions multiples -véritables leçons de ponctuation !-, emboîtant idées principales et digressions.
Il faut laisser László Krasznahorkai vous prendre par la main pour vous entraîner dans cette effrayante sarabande qui, vous verrez, n'est pas si abrupte qu'il y paraît de prime abord... Il s'agit de se fondre dans son rythme...
Vous êtes parachutés dans un lieu aux contours vaguement définis, parce qu’innommé, et que vous êtes laissés dans l'ignorance quant à l'époque à laquelle se déroulent les faits. L'auteur nous place ainsi dans un semblant d'égalité avec ses personnages, qui ont toutes les peines du monde à reconnaître leur ville depuis que des phénomènes insidieux mais pesants l'ont peu à peu transformée : accumulation de détritus sur les trottoirs attirant des hordes de chats retournés à l'état sauvage, raréfaction de l'éclairage public, pénurie de chauffage, magasins quasiment vides, température glaciale -il règne dans les rues désertées un moins 17 persistant- ...
Cette atmosphère de déréliction et d'incertitude angoissée est accentuée par l'arrivée en ville de forains exhibant le colossal cadavre d'une baleine naturalisée, qu'a précédé une inquiétante réputation : la troupe aurait semé la panique dans les bourgades précédemment traversées, en y attirant des bandes de voyous avides de saccage.
Ses personnages, eux aussi singuliers, chacun à sa manière, réagissent à cet univers que l'auteur parvient à rendre à la fois impalpable et oppressant en adoptant des comportements disparates.
A l'instar de la plupart de ses concitoyens, Mme Pfaum a décidé qu'elle ne mettrait plus un pied dehors tant qu'y traîneront ces malfrats qu'elle a eu l'occasion de croiser en rentrant de la gare, la dernière fois qu'elle est allée rendre visite à sa sœur.
Son fils Valuska, à l'inverse, parcourt en sa qualité de postier la ville de long en large, gardant toutefois les yeux baissés en permanence, sans doute pour ne pas laisser le désordre ambiant investir ses pensées tournées vers un cosmos qui le passionne, l'obsède, même. Considéré par la communauté -y compris par sa mère, qui lui voue un mépris haineux- comme un dégénéré, Valuska, certes décalé parce d'une désarmante naïveté, est le protégé de M. Eszter. Cet ancien directeur du conservatoire de musique, dans une volonté de se retirer de la société des hommes dont il ne supportait plus la mesquinerie, l’auto-complaisance et les basses ambitions, vit enfermé dans sa vaste demeure déliquescente, restant la plupart du temps allongé... il est de même -officieusement- séparé de sa femme, matrone ultra-énergique et autoritaire, qui bénit sans doute ces temps de menaçante ambiguïté, où elle trouve enfin l'occasion de se faire valoir. Nommée présidente du Comité des femmes nouvellement créé, elle a l'intention à ce titre de lancer un projet de grand nettoyage de la ville..
Si Valuska est le seul individu qui trouve grâce aux yeux de M. Eszter, qui éprouve pour lui une pure affection, c'est parce qu'il est un vivant symbole de l'innocence et de la générosité que l'homme aurait selon lui perdues en accédant à la connaissance.
"La mélancolie de la résistance" est malheureusement en partie le récit de la perte de cette innocence : au contact de la violence gratuite perpétrée par les hordes de sauvages qui, sous l'ascendance d'un pseudo Prince des ténèbres, font déferler leur brutalité sur la ville, Valuska fait preuve d'une passivité curieuse -bien qu'au départ un peu effrayée- qui se mue bientôt en une tacite adhésion. Brusquement éclairé sur la nature d'un monde qu'il cesse alors de considérer comme un lieu enchanteur, il comprend soudain la dimension dérisoire des notions de bien et de mal. La seule loi incontestablement réelle est celle du plus fort, une vérité que Valuska accepte avec une sorte de détachement ravi...
J'ai préféré, du même auteur, Guerre et guerre, qui fût un immense coup de cœur, parce que que je l'ai trouvé profondément bouleversant. Mais j'ai aussi aimé ce roman foisonnant, -pas toujours, je l'admets, facile d'accès-, où chaque mot, soigneusement choisi et justement placé, participe à la cohésion et à la richesse du texte. J'ai aimé cette angoissante précarité dont László Krasznahorkai imprègne la réalité de son récit. On en retire la gluante sensation d'une menace sourde et omniprésente, s'insinuant dans les moindres recoins de son intrigue.
Bref, je suis loin d'en voir terminé avec ce singulier hongrois...
Ses personnages, eux aussi singuliers, chacun à sa manière, réagissent à cet univers que l'auteur parvient à rendre à la fois impalpable et oppressant en adoptant des comportements disparates.
A l'instar de la plupart de ses concitoyens, Mme Pfaum a décidé qu'elle ne mettrait plus un pied dehors tant qu'y traîneront ces malfrats qu'elle a eu l'occasion de croiser en rentrant de la gare, la dernière fois qu'elle est allée rendre visite à sa sœur.
Son fils Valuska, à l'inverse, parcourt en sa qualité de postier la ville de long en large, gardant toutefois les yeux baissés en permanence, sans doute pour ne pas laisser le désordre ambiant investir ses pensées tournées vers un cosmos qui le passionne, l'obsède, même. Considéré par la communauté -y compris par sa mère, qui lui voue un mépris haineux- comme un dégénéré, Valuska, certes décalé parce d'une désarmante naïveté, est le protégé de M. Eszter. Cet ancien directeur du conservatoire de musique, dans une volonté de se retirer de la société des hommes dont il ne supportait plus la mesquinerie, l’auto-complaisance et les basses ambitions, vit enfermé dans sa vaste demeure déliquescente, restant la plupart du temps allongé... il est de même -officieusement- séparé de sa femme, matrone ultra-énergique et autoritaire, qui bénit sans doute ces temps de menaçante ambiguïté, où elle trouve enfin l'occasion de se faire valoir. Nommée présidente du Comité des femmes nouvellement créé, elle a l'intention à ce titre de lancer un projet de grand nettoyage de la ville..
Si Valuska est le seul individu qui trouve grâce aux yeux de M. Eszter, qui éprouve pour lui une pure affection, c'est parce qu'il est un vivant symbole de l'innocence et de la générosité que l'homme aurait selon lui perdues en accédant à la connaissance.
"La mélancolie de la résistance" est malheureusement en partie le récit de la perte de cette innocence : au contact de la violence gratuite perpétrée par les hordes de sauvages qui, sous l'ascendance d'un pseudo Prince des ténèbres, font déferler leur brutalité sur la ville, Valuska fait preuve d'une passivité curieuse -bien qu'au départ un peu effrayée- qui se mue bientôt en une tacite adhésion. Brusquement éclairé sur la nature d'un monde qu'il cesse alors de considérer comme un lieu enchanteur, il comprend soudain la dimension dérisoire des notions de bien et de mal. La seule loi incontestablement réelle est celle du plus fort, une vérité que Valuska accepte avec une sorte de détachement ravi...
J'ai préféré, du même auteur, Guerre et guerre, qui fût un immense coup de cœur, parce que que je l'ai trouvé profondément bouleversant. Mais j'ai aussi aimé ce roman foisonnant, -pas toujours, je l'admets, facile d'accès-, où chaque mot, soigneusement choisi et justement placé, participe à la cohésion et à la richesse du texte. J'ai aimé cette angoissante précarité dont László Krasznahorkai imprègne la réalité de son récit. On en retire la gluante sensation d'une menace sourde et omniprésente, s'insinuant dans les moindres recoins de son intrigue.
Bref, je suis loin d'en voir terminé avec ce singulier hongrois...
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