"Le bal" - Irène Némirovsky
"Une haine de vieille fille à quatorze ans ? Elle sait bien pourtant qu'elle aura sa part ; mais c'est si long, ça ne viendra jamais, et, en attendant, la vie étroite, humiliée, les leçons, la dure discipline, la mère qui crie..."
Comme elle le faisait dans "Le vin de solitude", Irène Némirovsky évoque avec "Le bal" la toxicité d'une relation mère-fille.
Antoinette Kampf a quatorze ans. Ses robes étroites d'écolière enserrent ses formes naissantes, elle se prend à rêver embras(s)ements, comme dans les romances de Gabriele d'Annunzio... Dans la vraie vie, Antoinette étouffe dans la solitude et l'enfermement, reléguée dans la nursery du grand appartement familial, avec pour uniques compagnies celles de sa gouvernante française, et d'une mère constamment irritée par la présence de sa fille, méprisante et sèche, l'aiguillonnant d'incessantes brimades. Le père, vaguement affectueux, mais surtout indifférent, préfère ne pas interférer dans leurs rapports, l'éducation des filles n'est pas l'affaire des hommes...
L'adolescente a développé un sentiment de haine qui s'étend à l'ensemble des adultes, pleine d'une rancœur et d'une révolte intérieure qui ont aiguisé le regard qu'elle porte, acéré et impitoyable, non seulement sur ses parents, qu'elle juge incultes et grossiers, mais également sur le milieu au sein duquel ils évoluent, règne de l'hypocrisie et de la mesquinerie. Les Kampf, subitement enrichis grâce à un génial coup de Bourse, font partie de ces parvenus de l'entre-deux-guerres, parmi lesquels il n'est pas rare de trouver un escroc devenu homme d'affaires ou une "fille de rien" transformée en bourgeoise...
Et cette nouvelle fortune, il faut l'étaler, la faire briller... l’organisation d'un bal est donc décidée. Antoinette, jugée trop jeune, n'y est pas conviée...
"Le bal" est un bijou de concision. Malgré la brièveté de son texte, Irène Némirovsky parvient à lui donner une véritable densité. Elle fait de l'épisode de quinze jours qu'elle choisit de mettre en scène un moment représentatif de ses personnages, des liens qui les unissent et du contexte de son intrigue, dont on appréhende ainsi avec une efficace acuité tous les éléments, notamment les douloureux enjeux de la relation entre Antoinette et sa mère. Cette dernière, avide de jouir de la nouvelle existence que lui offre son changement de situation, d'oublier l'aigreur d'un passé médiocre, occulte la jeunesse de sa fille pour revivre la sienne. Elle semble vouloir annihiler toute possibilité d'épanouissement -physique comme psychologique- chez l'adolescente, qui en conçoit une frustration et une amertume terribles.
Portée avec aisance par le style simple et réaliste de ce drame, dans lequel je me suis sentie impliquée par le truchement des monologues intérieurs traduisant l'étouffement rageur d'Antoinette, j'en ai par ailleurs apprécié la chute, avouons-le, avec un plaisir quelque peu sadique...
Ah plutôt une nouvelle, c'est ciselé, c'est à lire (même si j'ai subodoré la chute)
RépondreSupprimerOui, le format est en effet celui d'une nouvelle mais toutes mes recherches sur Google le qualifie de "roman"... Mais en tous cas, il démontre un sens de la synthèse et de l'efficacité remarquable !
SupprimerJ'aime beaucoup la plume acérée et acide d’Irène Némirovsky. Dans le même registre, j'ai adoré Jezabel, ce cette auteure.
RépondreSupprimerJ'ai bien l'intention de lire Jézabel aussi ! J'ai lu il y a longtemps Suite française (avant le blog donc non chroniqué) et c'est à lire aussi, avec une thématique assez peu abordée en littérature -et pas que, d'ailleurs-, celle des liens qui se sont parfois créés entre l'occupant allemand et leurs "hôtes"... très acerbe, là encore, mais aussi très sensible..
SupprimerC'est justement par Suite Française, que j'ai abordé Irène Némirovki. Mais je ne sais pas pourquoi, je l'ai trouvé moins caustique que les romans que j'ai lus ensuite (dont David Golder, qui lui a valu d'être taxée d'antisémitisme). Je me souviens avoir été visiter l'exposition qui lui était consacrée il y a quelques années au Mémorial de la Shoah. C'était vraiment passionnant.
SupprimerJe n'en doute pas... Je note aussi David Golder, alors..
Supprimerun bijou le mot est juste mais un bijou un rien empoisonné :-) c'est un livre que j'ai offert à mes filles, mes petites filles
RépondreSupprimerla version audio est excellente
Oui, mais c'est un poison que l'on a tendance à déguster !
Supprimerj'ai presque honte, je ne l'ai toujours pas lu alors qu'il est dans ma PAL depuis des lustres...
RépondreSupprimerPourquoi honte ? J'ai sur mes étagères des titres qui y traînent depuis des années, sans que cela m'empêche d'en ajouter de nouveaux très régulièrement ! Ceci dit , pour celui-là, le pas est facile à franchir parce qu'il se lit très vite !
SupprimerOhlala, toujours pas lu cette auteure alors que c'est en projet depuis un bail. Je voulais commencer par Suite française mais je pourrais bien démarrer par celui-là.
RépondreSupprimerLes deux sont très bons, la caractéristique de celui-ci étant qu'il se lit en une petite heure !
SupprimerImplacable. Glaçant. Un grand roman d'Irène Némirovsky, je trouve.
RépondreSupprimerJe n'ai lu à ce jour que 3 de ses titres, et je les ai tous aimés. Là où elle fait très fort, avec Le bal, c'est qu'elle parvient, en une intrigue très restreinte, à restituer tout un univers et à nous donner l'impression d'avoir passé du temps avec ses personnages..
Supprimerj'ai étudié ce texte quelques années avec des 3ème et ça fonctionne très bien avec de thèmes qui leur sont proches. Très bon.
RépondreSupprimerCela ne me surprend pas, c'est court mais dense, l'écriture est très fluide, et en effet, c'est une intrigue qui doit parler à de jeunes adolescents..
SupprimerTon avis donne très envie, je me le note (mais quand aurais-je le temps de lire tout ce que je souhaite découvrir ?) bonne journée à toi !
RépondreSupprimerCelui-là peut se caser facilement, lors d'un trajet en train ou même en bus !
SupprimerIrène Némirovsky est quelqu’un que je souhaite lire depuis longtemps, mais je ne pense pas commencer par ce titre (Goran : https://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerJe n'ai lu que trois de ses romans, mais si j'en crois les avis consultés sur ses autres titres, je crois que tout est bon, chez Némirovsky. Si tu prévois de lire Jézabel ou David Golder, fais-moi signe, on peut se caler une LC.
SupprimerJ'ai beaucoup aimé ce très court roman, mordant à souhait. J'ai trouvé l'analyse psychologique de Némirovski très fine.
RépondreSupprimerNous sommes d'accord, elle parvient en peu de pages à rendre ses personnages consistants.
SupprimerJe vais lire Suites Françaises dans pas longtemps et je sais déjà que je vais adorer cette autrice. Du coup Le bal est aussi sur ma liste. Je crois que c'est très autobiographique d'ailleurs, Irene était detestee de sa mère et elle haïssait sa mère.
RépondreSupprimerC'est avec Suite française que je l'ai découverte, et je pense en effet que tu ne seras pas déçue... et oui, la relation entre Irène et sa mère était compliquée, et l'a inspirée dans plusieurs de ses romans (Le vin de solitude, notamment, à une forte connotation autobiographique, et c'est un roman glaçant...).
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