"Les sept fous" - Roberto Arlt
"Sans aucun doute, sa vie était bizarre. De convulsives espérances le précipitaient dans la rue".
J’entame le mois latino-américain sous de bons auspices, avec un titre dont j’ai beaucoup apprécié l’originalité et l’étrange atmosphère.Nous y faisons la connaissance d’Erdosain, inventeur raté (notamment d’un procédé permettant d’immortaliser les fleurs en les figeant dans une gangue de cuivre), et employé sous-payé de la Compagnie sucrière. Déprimé par sa vie de privations et les reproches conséquents de sa femme, il a pris pour habitude de détourner des sommes qu’il dépense futilement, les laissant par exemple à des prostituées avec lesquelles il s’est contenté de bavarder. Une dénonciation anonyme sonne le glas de ses pitoyables trafics, son employeur le sommant de restituer les quelques six cents pesos qu’il lui a volés. Et un malheur n’arrivant jamais seul, sa femme le quitte pour un fat et terne capitaine.
Erdosain est un être angoissé, qui vit comme un somnambule, en attente d’un événement extraordinaire qui donnera à sa vie un tour inespéré, "une coquille d’homme mue par l’automatisme de l’habitude". Nous suivons ses déambulations en proie à une frénésie angoissée, au cours desquelles il s’invente des cauchemars éveillés, teintés de violence et de surnaturel, ou rêve de rencontres improbables avec de richissimes demoiselles, alternant fantasmes réjouissants et plongées dans le marasme.
Sa quête d’une bonne âme pouvant lui prêter de quoi rembourser sa dette à la Compagnie sucrière l’amène à visiter l’Astrologue, une de ses connaissances, sorte d’illuminé mégalo et nihiliste porteur d’un projet de réforme du monde qui sera financé par les revenus de maisons closes qu’un autre quidam, le Ruffian mélancolique, aura la charge de gérer. Erdosain se voit embarqué dans ce plan funeste, avec pour mission, en tant qu’inventeur, de produire le gaz qui devra servir à la destruction planétaire dont on brandira la menace pour s’assurer de la coopération des masses.
Il croisera au cours de son épopée délirante dans les quartiers encanaillés de Buenos Aires d’autres héros tout aussi étranges, souvent parés d’une aura inquiétante, avec lesquels il entretient des relations allant d’une courtoisie hypocrite à un nauséeux dégoût. Les observations et notes de bas de page qu’ajoute parfois au récit un mystérieux narrateur anonyme contribuent à l’atmosphère d’étrangeté qui baigne "Les sept fous".
Voilà un texte fort, oscillant entre âpreté et fantasmagorie, porté par une écriture au rythme fluide, très imagée, les angoisses et les obsessions du personnage principal étant évoquées à renforts de métaphores à la fois poétiques et horrifiques qui les exacerbent, et donnent à l’ensemble un caractère baroque.
J’ai lu, au sujet de Roberto Arlt (1900-1942) qu’on le considère porteur d’une filiation où l’on place entre autres Julio Cortázar, César Aira, Juan José Saer, ou encore Roberto Bolaño. Et c’est vrai que j’ai notamment pensé à ce dernier au cours de ma lecture pour sa manière d’exprimer à travers les affres individuelles le désenchantement du monde, sa noire folie, et ses idéologies destructrices.
"Croyez-moi, nous vivons une époque terrible. Celui qui trouvera le mensonge dont la multitude a besoin sera le Roi du Monde".
Ça a l'air bien ! C'est particulier Arlt, pas toujours évident de rentrer dans ses textes. Bon je note celui-là, qui est prometteur.
RépondreSupprimerC'est très bien oui, je lirai les Lance-flammes, qui forme avec ce titre un diptyque. Je croyais que c'est ce titre que tu avais lu, mais je viens de vérifier sur ton blog, et constate que ma mémoire me joue des tours ! Ce que je retiens c'est que tu as aimé les deux titres que tu as découverts.
SupprimerConnais pas!
RépondreSupprimer(hier, honteuse de ne pas participer, j'ai emprunté un latino américain à la bibli, on verra)
Tu me fais rire ! J'espère que cet emprunt s’avérera plus fructueux que ta précédente tentative !
SupprimerJe vois les mots rêves, fantasmes, etc, dans ton billet, et là, je suis quasiment certaine que cela ne me plairait pas. Dommage !
RépondreSupprimerOui, le personnage se perd dans des rêveries, mais cela reste un roman très réaliste, paradoxalement. Il n'y a aucune confusion entre ces "fantasmes" et la réalité.
SupprimerJe vais voir si je trouve Arlt à la médiathèque. Bolano, pas trouvé. Je lis Santagio Gamboa mais je ne sais pas si je vais continuer. C'est trop horrible !
RépondreSupprimerAh mince, tu as tenté lequel ? Je suis aussi dans un Gamboa ("Perdre est une question de méthode").
SupprimerSantiago Gamboa, Retourner en l'obscure vallée... mais depuis j'ai persévéré, je l'ai lu et c'est un roman très fort. Mais disons qu'il secoue ! J'ai déjà rédigé le billet pour mardi.
SupprimerC'est avec ce titre que j'ai découvert l'auteur et j'ai adoré, c'est en effet un roman très fort, mais c'est vrai qu'il est plus sombre que les deux autres titres que j'ai lus, qui ont une dimension humoristique que l'on ne retrouve pas dans "Retourner..."
SupprimerJe suis content de retrouver Roberto Arlt, car je l'ai un peu lu et surtout beaucoup aimé. Je pensais d'ailleurs lire ce texte que tu présentes aujourd'hui, mais j'ai oublié que je devais le faire... Grâce à toi ça me revient. :-) (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerMon billet aura été très utile, alors ! Je ne suis pas très surprise que cet auteur t'ait plus.
SupprimerJe suis comme Kathel ; en lisant ton billet, j'ai franchement l'impression que ce n'est pas pour toi. Et je suis restée sur la déception récente avec Pagatonie route 203, alors que tout le monde crie au chef d'oeuvre.
RépondreSupprimerC'est un peu particulier, mais je l'ai trouvé facile à lire, malgré son aspect un peu fantasmagorique..
SupprimerEt bien tu débutes bien ce challenge... Il pourrait m'intéresser. Il faut absolument que je trouve un livre...
RépondreSupprimerPas évident avec ce couvre-feu !! J'avais l'avantage d'avoir du stock..
SupprimerCe baroque et ces métaphores, ce délire et ces fantasmagories me font un peu peur.
RépondreSupprimerComme je l'écris ci-dessus, cela reste tout de même concret, et très accessible.
SupprimerJe ne connais pas du tout l’auteur et je vais m’empresser d’y jeter un œil .
RépondreSupprimerJ’aime beaucoup la littérature Argentine en général.
Merci pour la découverte.
Je le découvre aussi, et avec un grand plaisir, il a une voix singulière, et très prenante.
SupprimerÇa semble un peu perché et réaliste à la fois. Ce n'est pas forcément ce que j'ai l'habitude de lire (doux euphémisme), mais ça m'intrigue beaucoup. Je n'avais jamais vraiment fait attention aux différentes nationalités des auteurs que je classais dans "Amérique Latine", mais j'ai l'impression qu'il y a énormément d'Argentins (ou qu'ils sont plus traduits en français que les autres).
RépondreSupprimerOui, je me suis fait exactement la même réflexion face à la prédominance argentine, notamment par rapport au Brésil par exemple, qui est pourtant beaucoup plus grand... le Chili est pas mal représenté aussi.
SupprimerJ'ai justement profité de l'occasion offerte par cette activité pour commander des titres de pays plus "discrets" (Equateur, Costa Rica, Paraguay) et je n'avais pas fait attention, l'un d'eux est un recueil de contes pour enfants ! Je le lirai tout de même, cela permettra de varier les propositions...
J'ai un billet brésilien en cours de rédaction. Ouf !
SupprimerJe suis moi aussi au Brésil, depuis hier ..
SupprimerTu me rappelles de bons souvenirs. J'ai lu Roberto Arlt à l'université. Ça commence à dater!
RépondreSupprimerAh mais tu es une experte alors ! Ce qui est certain, c'est que je n'en ai pas fini avec cet auteur..
SupprimerL'experte s'est évaporée... La faute à cette foutue mémoire qui élague sans cesse!
SupprimerUn auteur à relire, alors !
SupprimerJe suis une novice absolue en littérature latino américaine et vais donc lire tous vos billets avec grand intérêt. Pas sûre que ce livre me plairait par contre (le côté fantasmagorie).
RépondreSupprimerJ'ai terminé ma deuxième lecture, les billets devraient arriver la semaine prochaine.
C'est un aspect qu'on retrouve assez souvent dans la littérature sud-américaine (qui aurait inventé le "réalisme magique") mais elle propose aussi bien d'autres genres et d'autres styles. Je te souhaite en tous cas de belles découvertes, et attends tes billets avec impatience !
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